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22 mars 2020

Carnet / Contemplation et prédation

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Avec le moins de spiritualité possible, la contemplation est mon deuxième état naturel, celui que favorise la nature autour de ma maison, ce qui ne m’empêche jamais de garder un œil aux aguets car mon premier état est la vigilance. Il faut équilibrer les deux. J’aime les arbres mais je ne vais pas me ridiculiser, comme certains illuminés, à les embrasser. Les pauvres, ils n’ont rien demandé !

En outre, la vénération béate de la nature est une spécialité de ceux qui ont perdu le contact avec elle au point d’oublier qu’ils en font partie. Dame nature n’est pas notre bonne ou notre mauvaise fée, elle n’est que la nature et nous la voyons à l’œuvre en ce moment plus qu’à un autre lorsqu’elle nous oblige à nous confiner parce qu’elle nous rappelle que parmi les prédateurs, il peut parfois nous arriver de perdre le premier rang. 

L’état contemplatif me dispense le plus souvent de cueillir des fleurs, de prélever quoi que ce soit. En cette période durant laquelle la loi oblige à rester chez soi, on peut penser aux promenades passées et futures.

Dans le vallon où miroite un des lacs que j’affectionne, le printemps réveille des prairies entières de jonquilles et de narcisses suivis de près par d’énormes boutons d’or qui laisseront à leur tour la place aux fastueuses floraisons de l’été. En avril, on peut même y admirer des érythrones qu’il faut bien prendre soin de ne pas piétiner et bien sûr de ne pas emporter car de toute façon, ils sont trop petits et trop fins. 

Si je suis tenté de ramener un petit échantillon floral à la maison, je me documente sur les espèces qu’il est totalement interdit de cueillir et sur celles pour lesquelles un petit bouquet est toléré. Pour ces dernières, la législation autorise ce que la main peut contenir.

De toute façon, les fleurs sauvages sont comme beaucoup de gens, elles dépérissent hors de leur milieu naturel et se fanent très vite lorsqu’elles sont emprisonnées. Le plus beau à ramener chez soi est l’image de leur profusion inscrite dans l’esprit ou dans la mémoire de l’appareil photo.

Nous autres humains avons le réflexe de prédation car nous sommes des prédateurs, telle est notre condition que nous n’avons pas choisie. C’est pourquoi la vision splendide d’un gros canard qui se pose près des roseaux dans une gerbe d’écume installe deux images en même temps dans mon esprit, celle de la beauté de l’oiseau et celle du confit accompagné de pommes de terre rissolées dans sa graisse sans oublier la bouteille de Pécharmant qui va avec.

Même scénario quand je vois sauter hors du lac un poisson qui gobe sa proie dans la lumière irisée d’un beau jour, indissociable de son fumet de cuisson pendant que je débouche une Roussette du Bugey ou un Bourgogne blanc.

Le souvenir d’un faisan aux quatre choux accompagné d’un Crozes-Hermitage rouge dégustés au restaurant au début des années 90 me revient chaque fois que j'en vois un qui vient se réfugier dans mon pré. Chez moi, il ne risque rien car je ne chasse pas mais cela ne m'empêchera pas de l'imaginer sur son lit de choux avec un Barbaresco ou un Barolo à portée de tire-bouchon.

Lors de ce repas professionnel de la fin du siècle dernier qui ne me disait rien parce que je devais le prendre en compagnie de quelques-uns de mes chefs du temps où je travaillais dans la presse, j’ai réussi sans difficulté à oublier tout simplement la présence de ces individus sans intérêt en me concentrant sur ce plat et ce vin qui les effaçaient littéralement de mon champ de vision et pourrais-je même dire de ma vie. Comme l’écrit Jim Harrison dans son livre Un sacré gueuleton, « le sombre pouvoir de la bouffe nous hante » .

 

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