22 janvier 2012
Tu écris toujours ? (69)
Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres
(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le bimestriel Le Magazine des livres n°33, décembre 2011/janvier 2012.)
Vous écrivez et vous voulez devenir célèbre ? J’espère que votre esprit fatigué par les blêmes nuits passées à infliger vos turpitudes à la mémoire d’un pauvre ordinateur qui ne vous a pourtant rien fait de mal ne conçoit pas sérieusement un tel projet.
Sachez en effet que la plupart des écrivains comblés par la notoriété puis la célébrité n’ont plus qu’un désir une fois leur fortune faite : se faire oublier. Mon voisin, auteur d’un unique best-seller, est aujourd’hui si las des contraintes de la vie publique qu’il passe désormais son temps à essayer de disparaître. Son rêve le plus cher, devenir l’homme invisible. Rendez-vous compte que ce forçat du succès aussi couvert d’honneurs qu’un poitrail de maréchal soviétique peut l’être de médailles n’a plus qu’une seule ambition, devenir un anonyme comme vous, oui comme vous qui désirez bêtement devenir comme lui ! Le mal qu’il se donne pour tenter de se faire oublier, je ne vous dis que ça. Les vacances dans la Creuse, la cabane au Canada avec les ours qui viennent se goinfrer dans la poubelle, la résidence principale au fond d’une combe jurassienne où l’on doit escalader un épicéa columnaire de quarante mètres pour profiter de cette merveille technologique qu’est un téléphone mobile dans lequel on aboie « t’es où, tu fais quoi ? » histoire de se rappeler un instant ce qu’est la civilisation, l’obligation d’engager une gouvernante, l’austère Madame Tumbelweed non pas laide mais au physique, comment dire... difficile à seule fin de se protéger de la tentation des amours ancillaires en ces contrées reculées, le remords d’avoir cédé, d’autant plus cuisant que la tentation était faible, les longues veillées d’hiver quand la télévision numérique tombe en panne à cause de la neige accumulée sur l’antenne parabolique, la compagnie parfois superflue du chat Sir Alfred lorsqu’il est en proie à ses crises de météorisme provoquées par l’ingestion excessive de taupes qu’on pourrait croire acharnées à continuer les activités fouisseuses de leur séjour terrestre jusque dans l’intestin du pauvre félin (il le sait pourtant qu’il ne doit pas avaler les deux pattes de devant surdimentionnées et coriaces à force de creuser des galeries et d’élever des monticules), sans parler des courses (en aucun cas dans les attributions de la gouvernante) à la supérette du village où l’on finit par se demander si la flambée du prix de la boîte de cassoulet industriel ne s’expliquerait pas par l’alignement du cours du fayot sur celui du pétrole.
Ah, c’était bien la peine d’en arriver là, de noircir deux cents petits feuillets qu’un éditeur accepta de faire imprimer en gros caractères après avoir imposé à l’auteur d’insérer les mots « amour » et « enfant » dans le titre du futur best-seller finalement et fort stupidement intitulé L’Amour est enfant de poème, le mot « poème » ayant été arraché de haute lutte par mon voisin à l’époque où il n’avait pas encore fait ses adieux définitifs aux amis de la poésie. De guerre lasse l’éditeur avait cédé, en gage d’exorbitante concession à un de ces caprices d’auteur qui peuvent coûter des quintaux de retours, surtout si le produit est destiné aux têtes de gondoles des linéaires d’hypermarchés.
Voilà ce que risque de vous apporter cette célébrité que vous enviez tant à mon malheureux voisin. Sur mon conseil avisé, cet homme à bout, désormais fasciné par les phasmes qu’il collectionne en raison de la capacité de ces insectes à se confondre avec les brindilles, en est aujourd’hui réduit à se documenter sur des machines à dédicacer à distance, l’une inventée, dit-on, par la romancière Margaret Atwood, l’autre encore plus récente, permettant toutes deux d’envoyer un autographe à un lecteur à l’autre bout du monde en restant bien planqué derrière l’ordinateur.
Pour me remercier de cette excellente idée qui l'a conduit à s’équiper au plus vite, mon voisin m’a justement invité ce soir à une démonstration de dédicace virtuelle suivie du fameux canard à l’orange de Madame Tumbelweed. D’après le fumet que je hume depuis ma fenêtre, ce délice encore invisible pour l’instant n’aura quant à lui rien de virtuel. Encore heureux.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit. Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
La suite de mon feuilleton dans le Magazine des livres n°34, février-mars-avril 2012, qui vient de sortir en kiosques : Conseils aux écrivains tentés par la politique.
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12 décembre 2011
Tu écris toujours ? (68)
La suite de mon feuilleton Tu écris toujours ? dans le Magazine des livres n°33 actuellement en kiosques : titre de ce nouvel épisode : Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres. Sommaire.
TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
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23 novembre 2011
Tu écris toujours ? (67)
Conseils aux écrivains qui ont des problèmes
(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le bimestriel Le Magazine des livres n°32 (septembre/octobre 2011)
L’autre jour, madame Tumbelweed, que je soupçonne d’être la concubine plus que la gouvernante de mon voisin écrivain, n’a rien trouvé de mieux à faire que de me confier ses états d’âme, ce qui prouve au moins qu’elle en a une ou, du moins, quelque chose d’équivalent. Elle m’a affirmé tout net que les écrivains sont des types à problèmes, commettant ainsi non seulement un impair puisqu’il m’arrive à moi aussi d’écrire bien que personne ne soit au courant, mais encore au pire un pléonasme, au mieux une redondance. Cela se discute mais aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur parce que je rentre de vacances. D’ailleurs, je discute peu, de préférence avec les gens qui sont toujours d’accord avec moi, et je dois dire que l’échange avec madame Tumbelweed a épuisé en quelques minutes une grande partie de mes réserves annuelles de conversation. Malgré ses qualités évidentes (cette dame cuisine le canard à l’orange comme un chef et met un point d’honneur à se raser le visage de près tous les matins pour n’être point confondue avec son frère jumeau) madame Tumbelweed n’a pas la langue dans sa poche, ce dont on doit tout de même se réjouir de la part d’une personne au physique déjà bien assez difficile. De ce fait, qu’elle puisse être la maîtresse de son employeur m’intrigue au plus haut point mais peut expliquer, s’il en était besoin, pourquoi on désigne une institutrice par le terme de maîtresse : c’est pour dissuader les petits garçons d’en prendre une lorsqu’ils seront des hommes mariés.
Mais ne nous égarons pas dans la mangrove des relations amoureuses entre personnes qui, comme disait Jacques Lacan, veulent offrir à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose qu’elles n’ont pas.
Revenons au reproche que madame Tumbelweed adresse aux écrivains, lesquels n’écriraient pas une ligne s’ils n’avaient point de problèmes. Du coup, il n’y aurait pas d’écrivains, pas de livres, pas de littérature, pas de rentrée littéraire, pas de Prix Goncourt, Renaudot, Femina, Interallié, Médicis et Jeux Floraux de l’Amicale des Anciens Mutilés du Travail Bénévole de la Commune de Corneille-en-Désert. Évidemment, il y aura toujours de beaux esprits pour rêver d’un monde sans rien. Patience, ce monde viendra lorsque le soleil aura enflé au point de devenir une géante rouge qui gobera notre planète comme un gourmet aspire un ortolan. En attendant cet événement reposant et définitif, il nous faut compter, n’en déplaise à madame Tumbelweed, sur tous les humains problèmes qui viennent s’étaler de manière impudique dans notre bonne vieille littérature et dans celle d’avant-garde aussi. Ceci dit, comme l’affirmait un de mes anciens supérieurs hiérarchiques avant d’être mis au placard puis viré de son entreprise à laquelle il avait presque tout donné, ce qui entre nous est une drôle d’idée, « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions. » Comme madame Tumbelweed, j’aurais plutôt tendance à penser l’inverse tout en nuançant : l’absence de solution est parfois la solution.
Bien. Redescendons un peu des cimes de la philosophie et examinons la solution qui peut nous permettre à nous autres écrivains d’endosser un costume plus seyant que celui de « type à problèmes » , non pas pour plaire à madame Tumbelweed et à ses nombreux frères et sœurs spirituels mais simplement pour nous faciliter la vie en société. Tout repose sur un sommeil de qualité. La plupart des écrivains qui produisent des œuvres soporifiques sont de mauvais dormeurs et par conséquent de mauvais coucheurs. Le mieux est à mon avis de se référer au modèle que nous offre Mère Nature pour peu que nous soyons capables d’en observer la fabuleuse ingéniosité. Prenons un exemple classique. Vous êtes un écrivain insomniaque ? Inspirez-vous du loir et voyez comment cet astucieux mammifère rongeur sait se reposer toute la journée en dormant comme un loir. Attention cependant. On peut lire sur le site instructif http://www.marchelibre.be : « la peau qui entoure la queue du loir est susceptible de se déchirer lorsque l'animal est saisi par là. Le prédateur se retrouve alors avec un fourreau garni de poils et la proie qu'il convoitait a eu le temps de s'échapper. Les vertèbres caudales mises à nu finissent par se dessécher et par tomber. Il n'est pas rare de trouver, dans la nature, des animaux mutilés de la sorte qui semblent mener une vie parfaitement normale. »
Moi-même je me dis souvent qu’en ce qui concerne mes rythmes de sommeil perturbés, il me faudrait imiter le loir. Pour le sommeil seulement...
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit. Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
La suite du feuilleton dans le Magazine des livres n°33 qui vient de sortir en kiosques : Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres.
Photos : - quand quelqu'un a eu besoin des roues de ma voiture, à l'époque où j'habitais en ville.
- Visite d'un loir au-dessus de la porte d'entrée, chez moi à la campagne.
16:01 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, littérature, humour, lafont presse, écrivain, auteur, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris, problème, solution, maîtresse, concubine, loir, sommeil, blog littéraire de christian cottet-emard, condition d'auteur, voiture, roue, pneu, jante, vol, trafic, prix goncourt, renaudot, femina, interallié, médicis, jeux floraux