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11 août 2019

Tu écris toujours ? (Conseils aux écrivains attirés par la lumière)

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Méfiez-vous de votre vocation poétique, n'essayez pas de rattraper un TGV en voiture et faites livrer vos havanes à domicile.

Par paresse, je n’ai pas participé à beaucoup de concours littéraires. L’un des rares à me tenter fut le Prix de Poésie de la Fondation de la Vocation décerné en présence de feu son président, patron de Publicis, Marcel Bleustein-Blanchet. Je devais me dépêcher car j’étais à un an de la limite d’âge fixée à trente ans. Plus notre espérance de vie augmente, plus la limite d’âge vient vite borner nos horizons. À ce TGV-là, nous autres humains finirons par être trop vieux pour naître, comme les Shadoks. O tempora, o mores !

 

Après avoir envoyé une suite de proses poétiques, je reçus une lettre marquée du trèfle à quatre feuilles, insigne de la noble maison. Le cœur ne battant pas plus vite que d’habitude car je ne m’illusionnais pas sur mon succès, je décachetai l’enveloppe qui me tomba des mains de stupéfaction à la lecture de la lettre : « Comme suite à votre candidature au Prix de Poésie 1988, j’ai le plaisir de vous annoncer que votre manuscrit a été sélectionné avec cinq autres pour l’attribution du prix. Nous vous en félicitons vivement car il y avait un très grand nombre de recueils de poèmes. Mais il va de soi qu’un seul candidat recevra ce prix le 9 juin prochain... Je vous propose de bien vouloir m’appeler afin d’envisager votre présence. »

 

J’exigeai un jour de congé de la hiérarchie du quotidien lyonnais mal nommé où se délitait ma vocation littéraire et je sautai dans ma Lada de ces temps héroïques. La machine consentit à me transporter d’Oyonnax jusqu’à la gare de Bourg-en-Bresse où j’arrivai juste à temps sur le quai désert pour voir s’éloigner mon très ponctuel TGV en direction de la capitale littéraire de la France. Par Jupiter ! Je me ruai de nouveau vers la malheureuse Lada à peine remise de l’expédition au pays des Ventres jaunes et lui commandai non sans une certaine brutalité qui eut pour effet de faire grincer l’embrayage et gémir les roues arrières motrices (comme dans un film d’espionnage des années 70 visualisé au ralenti) de me véhiculer aussi sec à la gare de Mâcon. Plus abonné aux tortillards qu’aux bolides des grandes lignes, je caressais le fol espoir de rattraper ce maudit TGV qui soufflerait peut-être trois minutes à Mâcon. Bernique. Le prodigieux engin s’était déjà téléporté vers les cieux de moins en moins probables de ma gloire parisienne. A-t-on besoin de trains à trop grande vitesse qui partent à l’heure pour nous pourrir la vie ? Je vous le demande. Qu’à cela ne tienne, je fis rugir le moteur révolté de ma Lada pour retourner en vitesse à Bourg-en-Bresse où j’eus tout juste le temps de grimper dans un autre TGV en partance vers la ville lumière. Je réalisai au passage que j’aurais prolongé la vie de ma voiture et gagné en sérénité si j’avais tout simplement attendu ce deuxième train sur place, mais avec l’émotion...

 

Cette montgolfière émotionnelle se dégonfla comme une baudruche sur la terrasse avec vue sur l’Arc de Triomphe où avait été dressé le buffet de réception. Tout se passa très vite. Je vis la Rolls de Marcel qui se garait tout en souplesse en bas de l’immeuble, en double file, et le chauffeur qui patientait. À l’évidence, le fondateur de Publicis n’avait pas vocation à s’éterniser. Il distribua un sourire collectif, une poignée de main individuelle et un chèque à un jeune homme timide tandis que la maigre assistance, s’étant répandue en applaudissements convenus, songeait sérieusement à rendre un hommage mérité au buffet. Ne me séparant jamais de mon petit Fujika, je craquai deux ou trois photos sous le regard blasé et un brin moqueur du romancier Didier Martin, membre du jury, je crois, dont l’œil avisé avait sans doute repéré en mon insignifiante personne un candidat malchanceux qui tentait de cette manière d’adopter une contenance. La gêne confuse qui m’assaillait ne provenait pas de mon échec, à un cheveu près, au Prix de la Vocation, mais plutôt de ma présence absurde à cette réception. Je m’aperçus en effet, entre deux coupes d’un champagne aux bulles un peu amères, que sur les cinq candidats sélectionnés, je n’en comptais que deux présents à la fête : le lauréat et moi- même. Quelle mystérieuse prescience avait dissuadé les trois autres de se déplacer ? Peut- être l’expérience, s’ils avaient tenté leur chance les années précédentes ? Ou avais-je fait les frais d’un défaut d’organisation ? Je ne le saurai jamais.

 

Peut-être me reprochera-t-on de ne pas être très « sport » en regrettant de m’être coltiné plus de quatre heures de train pour applaudir un rival inconnu mais que voulez- vous, le billet aller-retour était à ma charge malgré « l’invitation » de la Fondation, ce qui hissait le cours de la cacahuète à celui du caviar. Fasciné par ma propre naïveté, à vingt-neuf ans tout de même, je trouvai la force de serrer la main du jeune homme timide et m’éclipsai.

 

Mes pas me portèrent vers la première cave à cigares où je dénichai les bagues dorées de mes bons vieux Por Larrañaga, histoire de me remettre la tête à l’endroit. Dans le TGV, en jetant un coup d’oeil à mes emplettes, je remarquai que le sac qui les contenait portait la marque du drugstore Publicis. Entretenant les feux de la Vocation, la puissante enseigne avait fait de l’œil à un aspirant-poète jusque dans sa province, l’avait attiré comme un papillon sous la lumière pour réussir en prime à lui fourguer des havanes. Je rentrai chez moi sonné, non pas d’avoir trinqué en présence du fastueux Marcel mais les jambes sciées par l’entêtant cocktail « Vocation-Poésie-TGV » (à consommer avec beaucoup de modération).

 

(Extrait de mon recueil de chroniques humoristiques sur la condition d'auteur Tu écris toujours ?, éditions Le Pont du Change.)

Cet épisode du feuilleton a aussi été publié en 2008 dans Le Magazine des livres n°11.

 

15 novembre 2018

Radio

J'ai retrouvé cette archive radiophonique sur internet, Les mots migrateurs, une émission qui présentait mon livre Tu écris toujours ? (éditions Le pont du change). On peut écouter ici puisque ce livre est toujours disponible chez l'éditeur.

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Un autre rendez-vous radiophonique plus contemporain : lundi 19 novembre sur Radio B. Je l'annoncerai plus en détail dans quelques jours. On parlera avec Christian Lux dans son émission L'Art, c'est pas du Lux, de mon dernier livre Poèmes du bois de chauffage.

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03 janvier 2016

De la procrastination littéraire (ou comment je n'écris pas mon journal intime)

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Tout d’abord, il est excessif d’affirmer que je caressais ce projet car, je le répète, il s’agissait d’une simple idée qui m’effleura et l’on ne peut, que je sache, disposer d’assez de temps pour caresser quelque chose qui ne fit que vous effleurer. À ce stade d’un raisonnement auquel ne peuvent accéder que les caractères enclins à une certaine qualité de vie contemplative, je préfère me contenter d’expliquer pourquoi la première page de mon journal intime est encore vierge aujourd’hui.

Le jour où cette idée se manifesta, je n’étais pas dans mon état normal. J’étais en pleine forme, débordant d’énergie et de soif d’entreprendre. Peut-être avais-je bu trop de café. Si je me souviens bien, c’était la Toussaint, donc pas question de me lancer dans une nouvelle activité en plein milieu d’un jour de fête. Après les fêtes, il y a toujours des restes mais pour ma part, le lendemain, il ne me restait déjà presque plus d’énergie, peut-être parce que c’était le jour des Défunts. Par la suite, revenu à mon état normal, j’hésitai : un journal intime... Est-ce vraiment une bonne idée ? Je décidai de me donner quelques jours pour faire le point. On ne fait jamais assez le point mais encore faut-il bien le faire, c’est-à-dire y consacrer du temps. Faire le point à la va-vite ? Allons, allons ! Ce serait trop facile. Cette fois-ci, je m’appliquai encore plus que d’habitude. Je fis le point cinq jours d’affilée et à la fin, j’étais presque décidé mais c’était sans compter avec l’Armistice de 1918. Travailler un onze novembre ? Jamais !

Le lendemain, 12 novembre, Saint Christian, constitue pour moi une date plus propice à la réception de nombreux témoignages d’affection qu’à la concentration nécessaire à cette activité hautement intellectuelle qu’est la rédaction d’un journal intime. Du 12 novembre, on a vite fait d’arriver sans s’en apercevoir au 24 qui est pour moi entièrement consacré à l’ouverture de mes cadeaux d’anniversaire. Je me vois mal dire aux gens en ce jour spécial : « merci, vous êtes gentils mais maintenant, je dois vous laisser pour rédiger mon journal intime. »

N’allez cependant pas croire à mon renoncement. Il ne faut jamais renoncer. Moi, je préfère ne rien faire du tout plutôt que de renoncer. Ainsi m’abîmai-je, chaque soir avant d’aller au lit, dans la contemplation du grand cahier de mon futur journal intime ouvert à la première page. Je déposai même sur ma table de chevet une lampe de poche dont le discret faisceau m’eût éventuellement permis de me lever, à la faveur d’une insomnie, pour me rendre à l’écritoire sans me cogner dans le noir et sans réveiller mon épouse. Par malchance, sur une bonne vingtaine de nuits, je ne connus durant cette période que dix minutes d’insomnie, à peine le temps d’appuyer sans résultat sur l’interrupteur de la lampe de poche, d’ouvrir le boîtier pour constater qu’il ne contenait pas de pile et de me rendormir aussitôt jusqu’à une heure plus habituellement réservée à l’apéritif qu’au petit déjeuner.

Novembre me laissant encore quelques jours, je ne désespérai point de fixer un bel instantané de ma vie sur la surface immaculée de mon cahier tout neuf. Hélas, le temps que je prenne conscience de ce délai qui m’était offert, le premier dimanche de l’Avent me surprit en pleine méditation sur cette incroyable accélération du temps qui permet à Noël d’arriver chaque année alors qu’on se demande comment Pâques devint si vite un souvenir. Tout cela pour dire que j’ai l’habitude, pendant les quatre semaines de l’Avent, de m’imprégner de l’esprit de Noël et, à la rigueur, de faire un peu le point.

Cette année, en ces heures printanières où je vous parle, j’observe depuis ma fenêtre mes frères les grands frênes qui sont les premiers arbres à se débarrasser de leurs feuilles et les derniers à s’en revêtir. N’ayant toujours pas trouvé comment débuter la rédaction de mon journal intime, j’ouvris au hasard celui d’un écrivain célèbre et je lus : « aujourd’hui, il a plu et les enfants sont venus déjeuner. » Trop fort !

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), épisode inédit en volume mais paru dans Le Magazine des Livres en 2010. 
Retrouvez d'autres épisodes de mon feuilleton dans l'édition en volume de Tu écris toujours ? publié aux éditions Le Pont du Change.

Photo de paresseux empruntée ici