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18 mars 2020

De la migraine

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La migraine n’est pas seulement une maladie d’écrivain, elle touche aussi les journalistes et probablement d’autres créatures. Parfois, j’ai l’impression qu’elle tourmente même Sir Alfred, le chat de mon voisin, lorsqu’il multiplie les aventures. Et les céphalopodes ? Souffrent-ils de la migraine ? On peut se poser la question et toute une série du même genre mais à quoi bon se casser la tête ?

À propos de tête, je me demandais, attablé à une terrasse de café en cette fin de matinée, à quoi pouvait bien ressembler celle de la journaliste avec qui j’avais rendez-vous pour lui parler d’une chose aussi importante pour l’humanité souffrante qu’un pet de souris mais à laquelle j’accorde tout de même un peu d’intérêt : la parution de mon dernier livre. Lors du contact téléphonique, j’avais proposé à la rédactrice de l’attendre en ce lieu si propice à l’échange culturel qu’est le bistrot en arborant un signe de reconnaissance, le Républicain Populaire Libéré du Centre ouvert à la page culturelle. Cette idée pourtant originale faillit échouer.

En effet, on était lundi et la page culturelle avait disparu au profit de la publication des résultats d’un tournoi interdépartemental de pétanque particulièrement endiablé. Cet inconvénient eût été négligeable si la moitié des clients du bar n’avaient pas tous décidé le même jour de déplier le Républicain Populaire Libéré du Centre en s’hydratant le gosier. La localière finit tout de même par me reconnaître au milieu de tous ces passionnés de pétanque. Sans doute ne ressemblais-je point à un lecteur régulier de son journal. J’en conclus que mon idée de signe de reconnaissance avait finalement fonctionné mais à l’envers. Qu’importe ? La vie n’est pas un exercice de mathématiques dont le résultat pourtant juste est considéré comme faux s’il n’est pas établi au moyen du bon raisonnement.

Je vis donc se plier sur la chaise en face de moi une grande jeune femme au style neurasthénique. Elle s’excusa de garder au visage ses larges lunettes noires en raison d’une migraine qui avait dû lui déclencher pour quelques temps des humeurs aussi chagrines que celles d’une araignée veuve noire privée de son amant qui est aussi, ne l’oublions pas, son déjeuner. À certains moments, la vie nous dépossède de tout. « Bienvenue au club des migraineux ! » lançai-je pour dédramatiser.

Les lunettes descendirent d’un cran et deux yeux sombres noyés de douleur coulèrent en direction de mon insignifiante personne, fait remarquable quand on sait que le vrai migraineux en crise n’est plus en mesure de s’intéresser aux affaires du monde puisque pour lui, plus rien n’existe, pas même le monde, rien que la migraine.

Un pâle sourire s’évada sous les verres fumés : « alors vous aussi ? » Connexion en cours ! « Hélas... » répondis-je d’un air contrit. Il faut toujours se mettre à la portée de son interlocuteur. Jai lu cette recommandation dans un manuel intitulé « Bien communiquer avec les autres » écrit par un ancien directeur des ressources humaines devenu moine trappiste puis ermite des montagnes quelque part dans l’Himalaya où il a auto-édité tous ses autres livres à tirage limité sur feuilles de papier de riz humectées à la bave de lama et reliées avec des poils tressés du même animal. Pourquoi du papier humecté à la bave de lama ? Je préfère ne pas m’étendre sur un sujet aussi dégoûtant juste avant le repas.

« Que prenez-vous pour soulager votre migraine ? » s’enquit la journaliste. Nous nous livrâmes alors à un échange d’une rare intensité sur le thème des différents mérites et inconvénients de l’effervescence et des anti-inflammatoires combinés aux trucs et astuces permettant de tenir le fléau à distance au moins quelques minutes.

« Dans nos activités littéraires, c’est embêtant la migraine » assénai-je au bout d’une heure de considérations pharmaceutiques, dans l’espoir de rappeler à la journaliste que nous n’étions pas là pour préparer l’assemblée générale des meurtris de la casquette mais pour présenter mon livre aux lecteurs avides. La jeune femme opina du chef qu’elle avait semble-t-il encore plus douloureux qu’à son arrivée et me demanda pardon de devoir prendre congé car elle risquait de s’évanouir.

Elle oublia sur la table l’exemplaire dédicacé de mon ouvrage qu’elle avait reçu en service de presse et m’abandonna au moment où je sentis naître au fond de mes yeux un mal pesant. Contagieuse, avec ça ! Quelques jours plus tard, je lui téléphonai pour solliciter un autre rendez-vous mais elle m’expliqua qu’elle avait finalement trouvé ma prose « un peu trop prise de tête » (selon son expression) pour les lecteurs d’une rubrique locale.

Si j’avais su, j’aurais écrit un livre moins brillant, baissé un peu le niveau, mais que voulez-vous, je doute fort d’en être capable.

- Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? inédit.  Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change.

Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°25 (juillet-août 2010).

 

04 février 2020

Auteur local, auteur furtif, écrivain et fromage de chèvre.

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Il est très difficile de dire à quelqu’un qui sort à peine de l’adolescence et qui veut se lancer dans l’écriture littéraire qu’il ne faut pas trop s’occuper de promotion et d’animation, qu’il s’agisse de lectures en public ou d’animation d’ateliers d’écriture. En ce qui me concerne, je trouve cette responsabilité d’autant plus écrasante que je ne suis évidemment pas sûr d’avoir raison.

À l’époque où je participais à des salons, j’étais presque certain de me trouver dans cette situation pénible auprès d’un jeune homme ou d’une jeune femme à qui je me voyais mal citer Jim Harrison, le genre d’écrivain qui n’est pas vraiment dans le registre de la séduction : « Beaucoup de gens croient que toutes les manifestations sociales entourant la littérature font partie de la littérature. Mais c’est faux. Seule compte l’œuvre proprement dite. »

À partir de cinquante ans, on le comprend facilement mais à vingt ou trente, c’est plus compliqué. Question de tempérament aussi... Le mien ne me porte pas vers les pince-fesses, sauf, à la rigueur, si l’on y trouve à boire et à manger avec suffisamment d’espace vital pour éviter les embouteillages de bedaines,  les collisions de popotins, les refus de priorité au carrefour du bar et du buffet, les brouillards d’haleines chargées et les averses de postillons parfois très consistants. Même dans ce cas, je ne suis guère disert puisque je suis bien trop occupé à ne pas renverser mon verre et à goûter à toutes ces bonnes choses. Quand j’étais petit, on m’a toujours expliqué qu’il ne fallait pas parler la bouche pleine. Les bonnes manières ont du bon, elles permettent en un tel cas de ripailler en silence et en toute bonne conscience.

Dans un salon, parmi les différents publics qui vous accostent pour d’autres raisons beaucoup moins avouables que l’achat de vos livres, certains profils sont moins sympathiques que les jeunes vocations littéraires et poétiques. Il s’agit des auteurs plaintifs. Je veux ici parler d’auteurs et non d’écrivains. Un écrivain est un auteur qui a réussi en qualité, en quantité ou les deux à la fois. Dans l’idéal, c’est aussi un auteur qui laisse aux autres la faculté et la gentillesse de lui attribuer le label d’écrivain ou de poète. On trouve dans cette noble catégorie l’auteur furtif, l’homme ou la femme d’un seul livre et qui finit par se taire puis disparaître des radars. C’est souvent un écrivain, et un bon.

L’auteur plaintif est fréquemment un auteur local qui se plaint de sa librairie locale et de sa médiathèque municipale qui n’en font jamais assez pour ses livres. Qu’il ait de bonnes ou de mauvaises raisons de le penser, il ne devrait pas s’en formaliser. Est-ce si important d’être reconnu comme auteur local ? Je ne crois pas. J’en ai déjà parlé ici et . En effet, S’il est un lieu où l’on n’aura confiance ni en vous ni en vos livres, c’est bien votre région natale. Si vous ne voulez pas la quitter, faites-en le cadre de romans noirs que vous publierez sous pseudonyme afin d’exciter la curiosité d’un public qui se détournera si vous écrivez sous votre vrai nom. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal et naturel.

Comment voulez-vous être pris au sérieux dans votre activité littéraire par quelqu’un qui a pu vous voir en culottes courtes et qui a pu être par exemple votre professeur témoin de votre échec scolaire avant de devenir adjoint délégué à des affaires culturelles déjà mal en point dans votre bourgade ? Et vous, prendriez-vous au sérieux cette même personne dont la promiscuité des petites villes vous a donné accès à toutes les anecdotes amusantes ? Bien sûr que non.

Cela me fait penser à cet épisode que m’a raconté un écrivain furtif. Il avait un cousin qui élevait des chèvres et produisait d’excellents fromages dont il approvisionnait avec succès plusieurs points de vente de sa région. Fort de cette réussite, il eut envie de personnaliser sa production en faisant imprimer des étiquettes et du papier d’emballage à son nom inscrit en belles lettres rouges, une manière bien compréhensible de signer ses fromages qui méritaient d’être considérés comme, toute proportions gardées, ses créations. Il se mit alors à perdre des ventes car malgré la qualité constante de ses fromages, beaucoup moins de gourmets qui l’avaient connu la morve au nez dans son enfance eurent envie de continuer à les goûter.

J’ai un peu de mal avec cette dénomination d’auteur local qui frise le pléonasme. On est toujours l’auteur local de quelque part ou, plus inquiétant, de quelqu’un. Si je me dispute avec un auteur plaintif, je peux très bien le traiter d’auteur local et si le ton monte, d’autres noms d’oiseaux bien pires comme supporter par exemple. Moi-même, je ne fais pas exception à la règle. Si je ne m’aime pas en auteur local, comment pourrais-je aimer les autres auteurs locaux ? Tout cela, voyez-vous, c’est comme l’amour et la nourriture, tout dans la tête !

© Éditions Orage-Lagune-Express

 

01 février 2020

Conseils aux auteurs locaux

Un deuxième tome de mes chroniques humoristiques sur la condition d'auteur paraîtra dans l'année. Le premier tome intitulé Tu écris toujours ? avait été publié en 2010 aux éditions Le Pont du change où il est encore disponible. Le Magazine des livres de l'époque avait publié la totalité de ces chroniques sous forme de feuilleton illustré. Voici un épisode de ce second volume.

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Si vous voulez mon avis, et même si vous ne le voulez pas, il faut absolument éviter de devenir un auteur local. J’en profite au passage pour préciser que mes conseils s’adressent aussi aux femmes car la vie sur la planète Terre est suffisamment compliquée pour que j’en rajoute une couche en m’imposant d’écrire « il faut éviter de devenir un (une) auteur (e) local (e). Et ne me parlez pas d’écrivaine ou pire d’autrice alors que nous n’arrivons pas à prononcer poétesse en public sans nous couvrir de ridicule.

Le ridicule qui, comme chacun sait ne tue pas, peut quand même envoyer un écrivain au tapis, l’un des moyens les plus sûrs pour l’infortuné plumitif étant de se retrouver dans la peau de l’auteur local. Tel est votre cas ? Je le savais. Comment ? Je l’ai lu dans la presse locale elle aussi, et je l’ai vu dans les rayons de la bibliothèque municipale où vos livres sont tous marqués du signe de l’infamie, souvent une petite étiquette d’un vert bien fluorescent pour que personne ne puisse ignorer votre déchéance. Sur l’étiquette, on peut lire la mention AUTEUR LOCAL en lettres capitales noires au cas où la bibliothèque serait fréquentée par une écrasante majorité de daltoniens en attente d’une double opération de la cataracte.

Sans vouloir vous affoler, je dois juste vous dire qu’il vaut mieux découvrir un poulet sans tête dans votre lit, boire à votre insu un philtre de désamour contenant de l’extrait de lombricompost lyophilisé, parler le grec ancien d’une voix gutturale dans votre sommeil alors que vous n’avez fait que Lettres modernes ou attraper le mauvais œil lancé par vos anciennes conquêtes  bien décidées à vous pourrir la vie en recourant à la science du Professeur Onvatataké, Grand Marabout au travail rapide et soigné (départ immédiat et définitif de l’être aimé) avec effet garanti sans facture au bout d’un certain temps, plutôt que de subir la malédiction d’être étiqueté auteur local.

Comment en êtes-vous arrivé là ? Vous avez forcément commis une erreur, même infime, allons, cherchez bien, dans votre âge tendre par exemple. N’auriez-vous pas, dans la fleur de vos seize ans, envoyé un service de presse de votre premier recueil de poèmes à un localier lui-même poète à ses heures et président de l’Amicale pétanque le reste du temps ? À moins que vous n’ayez trouvé plus judicieux d’en offrir aussi un exemplaire à la bibliothèque municipale ? J’en étais sûr, cela commence toujours ainsi une carrière d’auteur local. Après, impossible d’arrêter la machine infernale et hop, emballé c’est pesé, une étiquette verte ! Auteur local un jour, auteur local toujours !

Allons, allons, ne vous morigénez pas outre mesure, vous étiez dans l’adolescence, le temps des erreurs de jeunesse. Ah bon, un peu plus vieux ? Quel âge ? Ah, tout de même... Euh... Eh bien disons que l’erreur est humaine, même dans la force de l’âge. Finalement, on peut dire que vous avez su rester jeune. Au fait, vos poèmes, chez qui les avez-vous publiés ? À compte d’auteur à l’époque où vous avez fait valoir vos droits à la retraite ? Alors là, évidemment, difficile de faire plus auteur local. Je me trompe ou vous le faites exprès, juste pour me contrarier ?

Qu’importe, je vous soupçonne de bien pire car ce n’est pas au vieux sage qu’on apprend à faire des grimoires. N’auriez-vous pas laissé traîner une petite chose régionaliste dans ce piège redoutable qu’est le fonds local de la bibliothèque municipale ? Je pense à un opuscule qui fleure bon l’érudition et le terroir comme une monographie sur la construction et la rénovation du dernier four banal dans le hameau de Corneille-en-Désert après l’exode rural ou, par exemple, un machin intitulé La crise de l’artisanat oyonnaxien du peigne et de l’ornement de coiffure au temps de Charles le Chauve.

On s’amuse comme on peut mais sachez que le fonds local d’une bibliothèque se comporte comme une plante carnivore. La victime est attirée, emprisonnée puis digérée. La seule différence entre l’insecte et le livre de l’écrivain local, c’est que si ce dernier connaît un jour le succès avec un chef-d’œuvre, l’opuscule oublié dans un rayon poussiéreux peut être tout aussi rapidement restitué par le piège alors que  l’auteur n’en a plus du tout le désir.

Je conseille donc au jeune écrivain prématurément choyé par la bibliothèque de sa bourgade qui se réjouit d’une première reconnaissance en tant qu’auteur local de privilégier la littérature orale en pratiquant l’heure du conte pour les bambins et la conférence Terres de contrastes pour leurs arrière-grands-parents car, ne l’oubliez pas, vos paroles s’envolent mais vos écrits, pour le meilleur et pour le pire (surtout le pire), restent.