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03 janvier 2016

De la procrastination littéraire (ou comment je n'écris pas mon journal intime)

magazine des livres n°24,tu écris toujours ?,christian cottet-emard,éditions le pont du change,lyon,feuilleton,miège,feuilleton d'un écrivain de campagne,lafont presse,blog littéraire de christian cottet-emard,humour,journal intime,procrastination,paresseux,marsupialJe ne sais plus quelle année de la décennie 2000, l’idée d’écrire mon journal intime m’effleura. Après tout, de nombreux auteurs s’imposent chaque jour cet exercice, alors pourquoi pas moi et pourquoi pas vous ? Si j’avais déjà commencé, je vous conseillerais sur le champ d’en faire autant mais vous comprendrez que je m’abstienne de formuler avec plus de conviction un conseil que je n’ai pas encore mis en œuvre moi-même pour des raisons indépendantes de ma volonté.

Tout d’abord, il est excessif d’affirmer que je caressais ce projet car, je le répète, il s’agissait d’une simple idée qui m’effleura et l’on ne peut, que je sache, disposer d’assez de temps pour caresser quelque chose qui ne fit que vous effleurer. À ce stade d’un raisonnement auquel ne peuvent accéder que les caractères enclins à une certaine qualité de vie contemplative, je préfère me contenter d’expliquer pourquoi la première page de mon journal intime est encore vierge aujourd’hui.

Le jour où cette idée se manifesta, je n’étais pas dans mon état normal. J’étais en pleine forme, débordant d’énergie et de soif d’entreprendre. Peut-être avais-je bu trop de café. Si je me souviens bien, c’était la Toussaint, donc pas question de me lancer dans une nouvelle activité en plein milieu d’un jour de fête. Après les fêtes, il y a toujours des restes mais pour ma part, le lendemain, il ne me restait déjà presque plus d’énergie, peut-être parce que c’était le jour des Défunts. Par la suite, revenu à mon état normal, j’hésitai : un journal intime... Est-ce vraiment une bonne idée ? Je décidai de me donner quelques jours pour faire le point. On ne fait jamais assez le point mais encore faut-il bien le faire, c’est-à-dire y consacrer du temps. Faire le point à la va-vite ? Allons, allons ! Ce serait trop facile. Cette fois-ci, je m’appliquai encore plus que d’habitude. Je fis le point cinq jours d’affilée et à la fin, j’étais presque décidé mais c’était sans compter avec l’Armistice de 1918. Travailler un onze novembre ? Jamais !

Le lendemain, 12 novembre, Saint Christian, constitue pour moi une date plus propice à la réception de nombreux témoignages d’affection qu’à la concentration nécessaire à cette activité hautement intellectuelle qu’est la rédaction d’un journal intime. Du 12 novembre, on a vite fait d’arriver sans s’en apercevoir au 24 qui est pour moi entièrement consacré à l’ouverture de mes cadeaux d’anniversaire. Je me vois mal dire aux gens en ce jour spécial : « merci, vous êtes gentils mais maintenant, je dois vous laisser pour rédiger mon journal intime. »

N’allez cependant pas croire à mon renoncement. Il ne faut jamais renoncer. Moi, je préfère ne rien faire du tout plutôt que de renoncer. Ainsi m’abîmai-je, chaque soir avant d’aller au lit, dans la contemplation du grand cahier de mon futur journal intime ouvert à la première page. Je déposai même sur ma table de chevet une lampe de poche dont le discret faisceau m’eût éventuellement permis de me lever, à la faveur d’une insomnie, pour me rendre à l’écritoire sans me cogner dans le noir et sans réveiller mon épouse. Par malchance, sur une bonne vingtaine de nuits, je ne connus durant cette période que dix minutes d’insomnie, à peine le temps d’appuyer sans résultat sur l’interrupteur de la lampe de poche, d’ouvrir le boîtier pour constater qu’il ne contenait pas de pile et de me rendormir aussitôt jusqu’à une heure plus habituellement réservée à l’apéritif qu’au petit déjeuner.

Novembre me laissant encore quelques jours, je ne désespérai point de fixer un bel instantané de ma vie sur la surface immaculée de mon cahier tout neuf. Hélas, le temps que je prenne conscience de ce délai qui m’était offert, le premier dimanche de l’Avent me surprit en pleine méditation sur cette incroyable accélération du temps qui permet à Noël d’arriver chaque année alors qu’on se demande comment Pâques devint si vite un souvenir. Tout cela pour dire que j’ai l’habitude, pendant les quatre semaines de l’Avent, de m’imprégner de l’esprit de Noël et, à la rigueur, de faire un peu le point.

Cette année, en ces heures printanières où je vous parle, j’observe depuis ma fenêtre mes frères les grands frênes qui sont les premiers arbres à se débarrasser de leurs feuilles et les derniers à s’en revêtir. N’ayant toujours pas trouvé comment débuter la rédaction de mon journal intime, j’ouvris au hasard celui d’un écrivain célèbre et je lus : « aujourd’hui, il a plu et les enfants sont venus déjeuner. » Trop fort !

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), épisode inédit en volume mais paru dans Le Magazine des Livres en 2010. 
Retrouvez d'autres épisodes de mon feuilleton dans l'édition en volume de Tu écris toujours ? publié aux éditions Le Pont du Change.

Photo de paresseux empruntée ici

 

01 juin 2014

Conseils aux écrivains assignés à résidence

magazine des livres n°9,tu écris toujours ? feuilleton,presse,édition,résidence,auteur,écrivain,blog littéraire de christian cottet-emard,humour,humeur,résidence d'auteur,résidences d'écrivains,ateliers d'écriture,animations littéraires,social et littératureEn ce moment, je suis agacé par ces propositions d'animations à caractère plus ou moins social qu'on propose aux auteurs de mon profil, c'est-à-dire aux auteurs qui ne tirent pas leur revenu principal de leurs livres. En  ce qui me concerne, je pense que le rôle d'un écrivain n'est pas de faire du social, de l'animation ou de la pédagogie. Que certains y trouvent plaisir et intérêt, pourquoi pas ? Mais dans le cas des résidences d'auteurs, par exemple, n'oublions pas que ce dispositif était à l'origine créé pour aider quelques temps un auteur à écrire à l'abri des contingences matérielles et non pas pour animer des ateliers d'écriture dans des zones sensibles et des pays à risques ou à célébrer les traditions à la mords-moi le nœud d'un terroir. Comme il vaut mieux rire de toute cette hypocrisie plutôt que de se mettre martel en tête, je remets en ligne cet extrait de mon livre Tu écris toujours ? dans lequel j'avais abordé ce sujet.       

 TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 LyonBON DE COMMANDE  Épisode également publié dans le Magazine des Livres n°9.

Conseils aux écrivains assignés à résidence

Vos lecteurs vous ont oublié, les libraires ont laissé vos livres prendre la poussière, vos éditeurs ne vous connaissent plus, vos voisins croient que vous vous êtes reconverti dans la brocante parce que vous aussi vous prenez la poussière, et seul votre banquier vous envoie du courrier ? Pas d’inquiétude ! Vous avez dépensé tout l’argent des bourses d’aide à l’écriture et vous avez mangé à tous les râteliers de la subvention ? Pas d’affolement ! Votre dossier de presse se résume à dix lignes dans l’hebdomadaire local « La Sarsouille (*) libérée » sous une photo du président de l’association crématiste parce que la vôtre est passée dans le compte-rendu de l’assemblée générale de ladite association ? Pas de panique ! Il vous reste une solution, entrer en résidence.

Vous quitterez vos pantoufles avachies, votre vieux Mac qui déborde, votre cafetière italienne en surchauffe, l’araignée qui s’obstine à tisser sa toile entre votre tête et le plafond dans le laps de temps qu’il vous faut pour enchaîner deux phrases et vous sauterez dans un train à destination d’une province inconnue où vous attend votre nouvelle résidence, et pas n’importe laquelle, une résidence d’auteur s’il vous plaît. À vous la vie de château ou de gîte rural tout équipé avec vue sur les culbutes de lapin de garenne. La résidence d’écrivain, vous n’en rêviez point, ils vous l’ont mitonnée quand même.

C’est tout expliqué sur le papier : « l’auteur reçu en résidence mettra à profit son séjour au cours duquel il sera logé dans un ancien pigeonnier du dix-huitième siècle (classé aux Monuments Historiques) et rémunéré sur la base d’un forfait mensuel pour élaborer en synergie avec les acteurs du développement local un projet d’écriture visant à valoriser tout à la fois la tradition d’un terroir et la modernité d’une région certes en phase optimale de développement socio-économique mais plus que jamais soucieuse d’harmoniser dans le respect des différences et par la recherche permanente d’un consensus les aspirations à un équilibre entre l’habitat urbain et l’habitat rural. »

Vous n’allez pas louper ça quand même ? Bon, d’accord, c’est loin, le pigeonnier se trouve à au moins trente kilomètres de chez vous, vous n’avez jamais quitté votre quartier et vous êtes attaché à vos racines mais sachez-le, les écrivains, comme tous les travailleurs, sont désormais assujettis à la mobilité professionnelle géographique. Au cas où vous ne l’auriez pas su, le vingt et unième siècle a commencé et... Pardon ? Le vingt et unième siècle et la mobilité géographique, vous vous asseyez dessus ? Une telle position peut se concevoir mais il vient de se produire un événement dont les conséquences vont inévitablement vous conduire à accepter sans réserve la résidence d’écrivain.

Cela concerne votre mécène, cette veuve de vieille noblesse à qui vous faites un peu de lecture mais qui, en tout bien tout honneur contre de menus services dont le plus contraignant se limite à promener Sacha le Chiwawa, règle parfois quelques factures, oui, c’est cela, la duchesse, eh bien on l’a retrouvée morte dans son lit, archi sèche ! Et qui hérite ? Sacha le chiwawa.

Vous résiderez donc, et si vous êtes allergique à la fiente de pigeon même fossilisée — désolé c’est classé, on ne peut pas l’enlever — rien ne vous empêche de postuler pour un vingtième étage au Canada. À cette hauteur, vous ne risquerez pas de vous faire boulotter par un ours, d’ailleurs, ils ne se mangent pas entre eux si vous voyez ce que je veux dire. Vos confrères ont trouvé l’appartement confortable et ils pourront vous confirmer qu’au vingtième, les oscillations d’un gratte-ciel sont imperceptibles, même dans le blizzard. Rassurez-vous, vous n’aurez pas le mal de mer et pour votre incurable vertige, c’est simple, ne regardez point par la fenêtre, vous aurez tout le loisir de reprendre cette activité qui vous passionne tant dès votre retour de résidence.

Pensez au bilan positif de tout le travail qu’entre temps vous serez fier d’avoir accompli : élimination de la concurrence dans l’oeuf en quelques ateliers d’écriture animés à votre manière et contribution à la création d’emplois avec l’embauche, dès votre départ de la résidence, de deux couples de techniciens de surface organisés en trois huit pour la désinfection des lieux car vous n’autorisez personne à procéder au ménage de votre bureau.

Et je ne parle pas de ce grand moment d’émotion qu’éprouveront vos hôtes, lors du décollage de votre avion, tant ils auront partagé avec vous la joie de votre retour au pays natal...
Toujours pas décidé ? Eh bien vous n’avez qu’à derechef vous trouver une autre duchesse, de préférence sans chiwawa.

(*) Rivière moins connue que la Seine (N.D.A).

 

 

07 avril 2014

De l’effet d’aspirateur dans les salons du livre locaux

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Si vous publiez de temps en temps quelques ouvrages et que vous sacrifiez une des premières journées ensoleillées pour participer à un salon du livre dans une petite ville, prenez vos précautions. Assurez-vous qu’un tout frais lauréat du Prix Goncourt ne soit pas catapulté au même moment dans la salle des fêtes, même s’il s’agit d’un homme sympathique et talentueux, car vous et vos consœurs et confrères serez alors à coup sûr victimes de l’effet d’aspirateur.

Au début, tout est calme lors de votre arrivée au salon. Si peu de monde qu’on a largement le temps de déballer les cartons et de bavarder en buvant le café jusqu’en fin de matinée. Normalement, il en est ainsi toute la journée. Peu importe, vous le savez, vous n’êtes pas venu pour vendre des livres mais pour papoter avec les amis, les rares visiteurs du salon et les gentils organisateurs.

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Mais voici qu’une vague de public surgit d’on ne sait où puis vient déferler sous vos yeux encore embués de plumitif qui n’a pas l’habitude de se lever tôt. Par Jupiter, du monde ! Que se passe-t-il ? Rien de grave mais quand même : atterrissage de Pierre Lemaitre, lauréat du prix Goncourt en plein milieu de la salle des fêtes.

Début de l’effet d’aspirateur avec pour première conséquence la transformation immédiate de 99 % des exposants en hommes et femmes invisibles (les autres étaient aux toilettes donc déjà invisibles de toute façon...)

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Quelques discours et remises de médailles plus tard sur la scène dominant l’armée des ombres, deuxième phase de l’effet d’aspirateur : tous les petits sous peinant à sortir de poches déjà peu garnies et peu pressés de se laisser échanger contre les livres de dizaines d’hommes et de femmes encore en état d’invisibilité s’envolent dans une même direction, celle du libraire du salon qui se désole de n’avoir point pu faire affréter un semi-remorque rempli du livre élu. Tout s’est passé très vite et les exposants du salon redeviennent tous visibles, y compris ceux qui étaient aux toilettes évidemment. Ouf!

Pas de quoi se réjouir trop vite cependant car vient s’abattre sur les malheureux la troisième phase de l’effet d’aspirateur qui engloutit la foule en cinq minutes pour l’emmener très loin au large du salon où les exposants désormais plus nombreux que les visiteurs pourront continuer en toute intimité de boire du café, grignoter de délicieux cakes aux olives et attendre la signature finale du livre d’or... À l’encre sympathique.

Photos : Pierre Lemaitre à l'Espace Malraux à Nantua (Ain) dimanche 6 avril 2014. (Photos Christian Cottet-Emard).