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22 janvier 2024

Et la poésie dans tout ça ?

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Au fait, le Printemps des poètes ? On en parle déjà presque plus ! Comme chaque année, ce gros ballon plein de vide s’est dégonflé avant même le début de la kermesse, un peu comme dans un gag de Benny Hill. On en retient déjà que la bile des pétitionnaires et la récupération politique autour de Sylvain Tesson qui n’a même pas eu besoin de bouger un sourcil et qui peut dire merci à tout le monde, notamment à ceux qui le stigmatisent, pour ce surplus de publicité au profit d’une notoriété déjà solidement établie.

On peut quand même trouver du sens à cette tempête dans un verre d’eau. 

D’un côté, nous avons une gauche sectaire et moribonde qui sait qu’elle a perdu la bataille des idées et qui n’a plus d’autres armes que les manifs et les pétitions pour alimenter les derniers sursauts de sa dépouille, ce qui la pousse à désigner des boucs émissaires. De l’autre, nous avons la droite la plus bête du monde pour laquelle la culture n’est qu’une branche de l’industrie et dont le critère de qualité n’est que le chiffre, ce qui la conduit à ne reconnaître l’existence d’un artiste, d’un écrivain, qu’à l’aune du profit qu’il dégage. 

Conclusions : les auteurs signataires de la tribune n’existent pas ou sont mauvais parce qu’ils sont inconnus du grand public et Sylvain Tesson est le plus grand écrivain de notre temps parce qu’il tire à 500.000 exemplaires, sans doute parce qu’il a du talent mais aussi parce qu’il est massivement soutenu par le marketing de l’industrie du livre, par tous les grands médias. 

On peut donc en déduire que finalement, les choses sont à leur place, la maison bien rangée. Dans les ténèbres une masse de plumitifs ratés rongeant leur frein, crachant leur bile, et dans la lumière une poignée de vainqueurs plébiscités. Une vision bien sommaire…

Ce serait oublier une des nouvelles donnes de l’édition d’aujourd’hui et dont on peut prendre la mesure en prenant connaissance du Palmarès exclusif Le Figaro/GFK publié dans Le Figaro littéraire du 18 janvier 2024. 

Connaissez-vous Mélissa Da Costa ? (1 275 325 exemplaires vendus). Virginie Grimaldi ? (1 062 582 exemplaires vendus). Maud Ankaoua ? (801 018 exemplaires vendus). Ce palmarès, souligne Mohammed Aïssaoui, l’auteur de l’article du Figaro, est une photographie de ce que les Français lisent vraiment. Et de préciser : nombre de ces auteurs, surtout les romancières, sont passés sous les radars de la critique littéraire et des médias traditionnels : on ne parle pas d’eux ou presque pas. L’article précise que Mélissa Da Costa a débuté par l’autoédition et Virginie Grimaldi par l’internet. 

Voilà de quoi réfléchir en dehors des sentiers battus de la polémique.

18 janvier 2024

Conseils aux écrivains qui s’installent à la campagne

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Les villes connaissent un tel développement qu’on finit par y rencontrer trop d’êtres humains. Le contact humain est comme toutes les bonnes choses, il ne faut point en abuser. Aussi avez-vous décidé d’écrire à la campagne. Bien, mais n’oubliez pas que les êtres humains peuplent aussi les zones rurales. Vous pourriez en croiser un lors de vos promenades, y compris dans les forêts les plus profondes.

 

Lors d’une rencontre inopinée avec un autochtone, préférez le classique bonjour au problématique holà mon brave ! peu prisé des ruraux du vingt-et-unième siècle et encore moins des néo-ruraux, vous savez, les citadins en rupture qui construisent à côté de leurs fermes rénovées des yourtes, des wigwams ou des tipis pour y animer des stages avec hébergement Feng shui tels que Développement personnel et lombriculture, Tondre la chèvre angora ou Reconnaître une  empreinte de dinosaure. Si l’autre promeneur ne vous a pas détecté, vous pouvez toujours vous carapater dans un taillis ou vous dissimuler derrière un buisson mais j’attire votre attention sur les risques d’une telle stratégie en période de chasse, surtout si vous avez jugé opportun d’étrenner ce jour-là Loden et chapeau tyrolien à plume.

 

La vie à la campagne ne nécessite pas d’habit particulier mais ce n’est pas une raison pour survoler tout nu le potager comme des néo-ruraux de ma connaissance qui proposent un stage Accro-branche et sauna finlandais. N’en rajoutez pas trop dans l’élégance rustique. Le costume de tweed n’est pas indispensable, au comptoir de la supérette locale, à l’achat d’une baguette, d’une bouteille de rouge et d’un fromage surpris en flagrant délit de tentative d’évasion. Misez plutôt sur de bonnes chaussures adaptées aux longues soirées d’hiver pour lesquelles je recommande les pantoufles à motifs écossais de la marque J’y vais (100 % laine avec semelles antidérapantes) bien que les dérapages en pantoufles soient assez rares. À la campagne, la tentation est grande de chausser les pantoufles en permanence. Si vous avez tendance à les porter même pour les courses à la supérette, reprenez-vous tant qu’il est encore temps. Peut-être avez-vous besoin de vacances en ville ?

 

Venons en maintenant aux problèmes de voisinage auxquels vous pouvez être confronté car le voisin est une espèce humaine si répandue qu’il a conquis même les territoires les plus reculés avec, évidemment, une prédilection pour votre espace vital personnel. Ces problèmes portent le plus souvent sur des aspects triviaux de l’existence que je m’excuse par avance d’avoir à traiter auprès de mes très littéraires, estimables et distingués lecteurs et lectrices.

 

Ainsi que cela se produit aussi en ville, les animaux de compagnie sont à l’origine des tensions les plus fréquentes mais la vie en zone rurale doit vous conduire à une plus grande circonspection. Par exemple, dans le cas d’une pollution organique de votre pelouse, avant d’accuser votre voisin le plus proche, je veux dire l’animal domestique de votre voisin, inspectez avec attention l’objet du délit dont le coupable n’est peut-être qu’une bête sauvage. Pour l’identifier, je ne connais pas de meilleur ouvrage que le Guide des traces d’animaux de messieurs Preben Bang et Preben Dahlström (éditions Delachaux & Niestlé) que vous ouvrirez en dehors des heures de repas aux chapitres intitulés Laissées, crottes et fientes et pelotes de réjection comportant des doubles pages  avec des illustrations grandeur nature.

 

Puisque nous évoquons les animaux, admettons une fois pour toutes que l'écrivain de la campagne n’a pas obligatoirement besoin d’un chien. Si vous tenez absolument à vous faire photographier en compagnie d’une de ces créatures en vue de la publication de votre portrait dans le hors-série Écrivains et terroirs d’un célèbre magazine animalier, empruntez ou louez le canidé.

 

C’est ce qu’avait fait mon proche voisin, jadis auteur à succès, qui s’était ainsi entiché après usage d’un Saint-Bernard excessivement baveux dont les vieux jours furent gâchés par l’arrivée à la maison du chat Sir Alfred. Je pense que la principale qualité du Saint-Bernard se limite au tonnelet d’eau de vie qu’on lui attachait au collier dans le bon vieux temps. On doit pouvoir aisément se procurer le tonnelet sans le Saint-Bernard.

 

La campagne, source d’inspiration ? Voyez les réactions de votre éditeur. S’il ne donne plus signe de vie depuis l’envoi de vos nouveaux manuscrits (un recueil de poèmes intitulé Le Vieux biniou, une monographie traitant du hameau de Corneille-en-Désert après l’exode rural et une biographie du justement méconnu Aimé Duchemin, poète à ses heures et rien de spécial le reste du temps), posez-vous la question.

 

Extrait de Tu écris toujours, manuel de survie à l'usage de l'auteur et de son entourage. (Édition intégrale).

Pour les habitants d'Oyonnax et sa région, ce livre est en vente au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax au prix de 10 €.

18 novembre 2023

Sur un sentier recouvert

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Les derniers temps de la canicule, j'écrivais dans la salle à manger en pleine nuit, sous le halo d'une petite lampe. La baie vitrée était grande ouverte pour que je puisse me rafraîchir. Dehors, il faisait noir, pas de clair de lune. J'ai entendu un souffle, comme un animal qui flaire, juste devant la baie.

J'ai d'abord cru à un chien en goguette mais je pense maintenant que c'était un sanglier qui ne m'avait pas senti. Peut-être était-il venu boire dans la piscine gonflable installée pour mon petit-fils. Plusieurs jours après, des pelouses de ma propriété et de celles des voisins ont été retournées ainsi que cela se produit assez souvent dans les villages.

Deviner la présence toute proche du sanglier qui est un animal puissant aux perceptions d'une extrême finesse est une sensation forte. J'ai encore en mémoire cet épisode de l'époque où j'arpentais les forêts presque tous les jours, en particulier en demi-saison. Pour accéder à une clairière depuis un ancien sentier en perdition recouvert de basses ramures d'épicéas, je rampais entre deux fourrés de hautes herbes très épaisses et très denses où persistaient quelques plaques de neige. J'ai alors entendu renifler et grogner à proximité sans pouvoir détecter ne serait-ce qu'un mouvement. Inutile de préciser que je me suis vite éloigné, de crainte de surprendre une laie avec des petits, ce qui peut arriver si le vent ne lui est pas favorable pour flairer l'humain.

Rencontrer le sanglier dans la nature (comme tout animal sauvage) n'est pas forcément un problème à condition de ne pas oublier qu'il défend ses intérêts. Pour le jeune homme de vingt ans que j'étais à l'époque de ces longues incursions dans les bois, il ne s'agissait pas d'éprouver ma résistance physique, encore moins de faire du sport ou de me lancer je ne sais quel défi. Je recherchais la force consolatrice de la nature parce qu'il ne m'était encore jamais venu à l'idée que j'étais moi-même une partie de cette nature, au même titre que le sanglier qui venait de détaler en silence pour m'éviter.

Je dois cette prise de conscience à une promenade matinale dans la forêt du Chemin de la guerre au-dessus d'Oyonnax et au poème que j'ai écrit en rentrant (Dans l'automne flamboyant, intégré à mes Poèmes du bois de chauffage). J'avais quarante-six ans mais j'avais beau connaître depuis longtemps la musique de Janáček * (à laquelle j'ai emprunté le titre du deuxième tome de mes carnets qui vient de paraître), il me restait encore à réaliser que j'allais marcher de plus en plus souvent sur un sentier recouvert c'est-à-dire un sentier non pas perdu mais soustrait au regard puis revenant de temps en temps en lumière parce que tracé dans la petite éternité du temps humain.

 

* Sur un sentier recouvert est un cycle de quinze pièces pour piano de Leoš Janáček (1854-1928) qui m’a inspiré le titre de ce deuxième volume de mes carnets. J’ai failli choisir le titre de la dixième pièce La chevêche ne s’est pas envolée ! car les animaux ont une grande place dans mon imagination et mes rêves. La chevêche est une petite chouette attachée à son territoire. On peut écouter cette pièce et tout le cycle de cette œuvre sur YouTube. Le titre du premier tome de mes carnets, Prairie Journal, était aussi en lien avec la musique, celle d’Aaron Copland (1900-1990). Très souvent, le processus d’écriture est chez moi déclenché et parfois entretenu par la musique.