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16 janvier 2023

Carnet / Dix ans sur les réseaux sociaux : mon bilan provisoire. 

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Petits malentendus sans importance

J’ai commencé à utiliser internet, en particulier le circuit des blogs, pour promouvoir mon activité littéraire en priorité. L’extension à Facebook n’était au début que la continuité de ce processus. Dans un second temps, j’ai ouvert cet espace toujours principalement dédié à la littérature à des interventions plus politiques, ce qui m’a amené à un constat amusant : les personnes qui se sont au début rapidement ajoutées en nombre à ma liste de contacts étant en majorité issues de la gauche culturelle parce qu’elles me croyaient de leur bord en raison de mon activité littéraire ont été surprises ou déçues de mes positionnements politiques (je précise que je ne suis inscrit à aucun parti même si le sinistre épisode du passeport vaccinal m’a rapproché de certains d’entre eux). Parmi ces gens, quelques-uns m’ont fait part directement de cet étonnement et de cette déception, en un mot de leurs reproches auxquels je n’accorde évidemment aucune importance. 

Je m’attendais donc à voir ma liste de contacts rapidement et drastiquement réduites mais rien de tel ne se produisit. Au contraire, je gagnai même en diversité d’opinions et de personnalités. Il y eut certes quelques rares départs (rapidement compensés par de nouveaux arrivants) mais je serais bien incapable de les identifier. À partir d’un certain nombre de contacts, dès qu’on arrive à plusieurs centaines, on peut difficilement savoir qui s’en va, sauf s’il s’agit de personnes proches et très actives sur vos pages.

Une expérience inédite

Contrairement à ceux qui sous-estiment la portée et l’intérêt des réseaux sociaux par réflexe corporatiste (les journalistes encartés, j’allais dire officiels mais ceci est en train de devenir un pléonasme dans une presse largement subventionnée), par dédain relevant souvent du mandarinat (de nombreux universitaires — on se souvient du raccourci entre le comptoir de bistrot et internet de feu Umberto Eco, intellectuel pourtant brillant mais pas à l’abri des réductions hâtives et à l’évidence peu documentées), par crainte voire panique (les politiques et les responsables d’organisations syndicales qui perdent le contrôle de leurs sympathisants et adhérents), je considère quant à moi ces réseaux sociaux comme des médias à part entière, comme un phénomène de société extrêmement important et comme une expérience d’auteur totalement inédite dans l’histoire de la publication et des rapports entre auteurs et éditeurs. Petite parenthèse, j’ai la même analyse en ce qui concerne les plateformes d’édition personnelle (notamment celle d’Amazon que je considère comme la meilleure) parce qu’elles suscitent aussi la condescendance et la crainte des maisons d’édition et de tous les représentants de la bien nommée « chaîne du livre » , tous ces détenteurs de monopoles ayant bien compris la concurrence redoutable déjà à l’œuvre à leur encontre.

Pourquoi pratiquer les réseaux sociaux ? …

Revenons essentiellement aux réseaux sociaux. Comme tous les outils, les résultats dépendent de la manière dont on s’en sert et surtout du but recherché. Personnellement, je n’y suis pas forcément pour me faire des amis mais pour informer le public de mes activités littéraires et bien sûr de la parution de mes livres. Dans le domaine politique, je n’y suis pas non plus pour convaincre la foule d’individus qui ne pensent pas comme moi (ni bien sûr pour être convaincu par eux) mais pour contribuer à l’existence d’un débat contradictoire qui ne s’exerce plus dans la majorité des grands médias, le véritable objectif étant plutôt de m’adresser aux indécis, à ceux qui cherchent à se faire eux-mêmes une opinion au spectacle (c’en est un) des contradictions, des disputes voire des affrontements entre interlocuteurs et adversaires.

… Et pourquoi y rester ? 

C’est sur ce dernier plan que j’entame désormais une réflexion sur ma pratique actuelle des réseaux sociaux, surtout Facebook qui est celui où l’on argumente et écrit encore. Avant de m’expliquer sur ce point précis, je rappelle que je distingue trois phases dans l’évolution du comportement sur Facebook : celle des débuts, la première, où l’on se regroupe, la seconde où l’on dialogue, où l’on échange, et puis la troisième, celle où l’on renonce aux deux premières en se contentant de tenir sa position. À ce stade, pourquoi rester ? 

La question se pose d’autant plus lorsqu’on se retrouve, comme moi, avec une liste de contacts aux trois quarts constituée de personnes avec qui l’on est si peu d’accord que l’on s’en tient désormais à un silence prudent, à une sorte de réserve plus ou moins hostile qui finira un jour ou l’autre par une radiation de la liste de contacts ou, de manière plus sournoise, par l’utilisation de quelques procédures techniques offertes par Facebook pour, en toute discrétion, exclure quelqu’un ou s’exclure soi-même pour éviter ainsi de « virer » brutalement ou de partir en claquant la porte. On peut par exemple configurer pour cesser de voir les publications de quelqu’un en les masquant provisoirement pendant un certain temps. On peut sélectionner les personnes de la liste de contacts qui pourront voir ou non ce que vous publiez sans que ces gens s’en rendent compte. Il m’arrive (certes rarement) de procéder ainsi ; et j’imagine bien qu’on puisse me réserver le même traitement. Personnellement, je « vire » très rarement car je préfère que le « ménage » se fasse tout seul. Parvenir à ce stade de réflexion indique-t-il que les limites de l’outil du réseau social sont atteintes ? Peut-être.

Des ondes à la toile : espoirs, déceptions et limites

Cette éventualité me ramène à une de mes anciennes expériences médiatiques, celle liée à la fin du monopole d’État de diffusion sur la bande FM en 1981, un événement vécu comme un progrès considérable grâce auquel les radios pirates devinrent des radios libres. La mesure semblait ouvrir de belles et vastes perspectives propices à la démocratisation de la culture, à la liberté d’expression, au débat, à la créativité, à l’échange social, à la vie associative, autant de bienfaits qui décidèrent le jeune homme de vingt-deux ans que j’étais à m’investir en produisant et en animant assez longtemps des émissions culturelles hebdomadaires. 

Hélas, la déception se révéla à la mesure des espoirs suscités, la plupart des radios libres à véritable contenu rédactionnel ayant peu à peu dérivé vers l’adoption de programmes stéréotypés pour finir par se faire supplanter par des radios essentiellement commerciales du genre de celles qu’on entend désormais déverser leurs décibels, leur matraquage publicitaire, leurs rengaines débiles et leur musique d’ascenseur dans les supermarchés et les salons de coiffure. 

Mettre à disposition des populations un puissant outil d’expression et de communication ne signifie pas que ces mêmes populations aient forcément le désir de s’en emparer ou d’en faire un usage créatif. Des ondes à la toile, à plus de quarante ans d’intervalle, l’histoire semble vouloir se répéter…

10 janvier 2023

Carnet / Le silence des poètes

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Il faut hélas continuer de parler au présent de cet événement effrayant même si les mesures d’exception ont été suspendues (essentiellement pour des raisons d’évolution du contexte politique liées aux surprises des dernières élections législatives) parce que nous voyons bien qu’à la lumière de ce qui s’est passé pendant ces deux ans, c’est une nouvelle société qui pointe son nez, et pas la plus rassurante, celle qui risque de sortir discrètement du cadre démocratique au profit d’une post-démocratie parfaitement prête à verser dans une forme inédite de pré-dictature. Le danger n’est pas imminent mais à prendre au sérieux et seuls ceux qui n’ont pas envie de le voir et de le dénoncer pour continuer à vaquer tranquillement à leurs occupations se gaussent de cette inquiétude. 

Parmi eux, une mention toute particulière est à réserver (ce n’est qu’un petit exemple dont je conçois bien qu’il peut paraître négligeable) à une majorité de ces poètes que je vois tourner dans l’espace des réseaux sociaux, presque entièrement silencieux sur l’épisode que nous venons de vivre (et qui est loin d’être terminé) alors qu’il n’est pas un recoin de leurs pages où ils ne dévident pas leurs mantras du genre « la poésie sauvera le monde » quand ils ne débitent pas leurs chapelets de curés laïques poussant leurs fades homélies sur Facebook, tels d’anciens « nouveaux Rimbaud » finissant en sous-notables parfois médaillés ! 

Pas un mot de la part de ces défenseurs si bien politisés de la liberté loin de chez eux sur ce qu’ils avaient sous leur nez : une nouvelle caste de parias, des professionnels privés de leur emploi du jour au lendemain, des victimes d’effets secondaires suite à l’administration de produits expérimentaux sous la pression du chantage gouvernemental, autant de victimes collatérales d’un déchaînement de menaces et de contraintes qui se retrouvent aujourd’hui abandonnées à leur sort, privées de tout recours officiel hormis celui d’associations d’avocats courageux et de très rares journalistes qui font encore leur métier dans des médias encore critiques : Cnews (Pascal Praud), Sud radio (André Bercoff) et quelques autres bien loin des grandes chaînes et des journaux nationaux tellement subventionnés par l’État qu’ils sont devenus des médias officiels (je nuance ce jugement à propos du Figaro). 

Écrire sur cette situation ne m’amuse pas. Je préférerais moi aussi ne m’occuper que de mes petits livres (sans pour autant être étiqueté poète) car en réalité, la catégorie de poètes dont je viens de parler, leur silence au moment où leurs paroles et leurs écrits auraient peut-être enfin pu compter un peu et bien souvent la lecture de leur littérature calibrée aux bons sentiments à la mode, tout cela me provoque plus de flatulences et de météorismes que l’ingestion par négligence d’un cassoulet en boîte périmé servi à l’estaminet célébré par Pierre Perret dont la poésie particulière décolle parfois plus haut que celle éditée à grand renfort de subventions par l’édition autoproclamée « alternative » . 

On me reprochera peut-être à juste titre de tirer sur des ambulances mais quand même, ces rebelles dont on nous rebat les oreilles, où sont-ils quand on aurait besoin qu’ils se manifestent un tantinet sur un sujet aussi grave et aussi proche que celui que je viens d’évoquer au lieu de se contenter de manifester contre ce qui cloche à l’autre bout de la planète dans des contrées où la démocratie n’est même pas encore le début d’une idée ? Mais laissons les poètes où ils en ont envie, après tout pourquoi pas ? (Et d’ailleurs, méritent-ils tant d’emportement de ma part puisque depuis longtemps, ils ne s’écoutent et ne se lisent qu’entre eux  —  et encore… ? Probablement pas, ça ne vaut pas le coup). 

Revenons plutôt à nos moutons, c’est le cas de le dire. Pour ceux-là (ceux qui consentent sans barguigner), la tempête est dernière nous, oubliée, zappée, et ce n’est pas parce que la France est, si je ne me trompe, le dernier pays européen à se venger contre les personnels de santé et de secours non-piqués en refusant de les réintégrer avec les excuses et surtout les indemnités, qu’ils vont se poser d’autres questions sur ce que cette crise de folie générale et institutionnelle annonce pour demain : labos en embuscade car shootés aux records de bénéfices jamais vus et mesurés en heures, politiques à leurs ordres et à ceux d’une gouvernance européenne censée nous protéger de tout (crise économique, excès de nationalisme, risque de guerre, corruption…) alors que cette Europe-là finit quand même par faire la une de l’actualité avec toute cette panoplie parce qu’en fin de compte, toute cette imposture est impossible à mettre sous le tapis, même par des médias complaisants qui regardent encore un tout petit peu, de temps en temps, quand le chaudron s’emballe un peu trop, du côté de ce qui leur reste de vague crédibilité pour exister encore, même sous perfusion de leur drogue dure, la « subventionnite » (également très prisée, si j’ose dire, des poètes, à leur humble niveau). 

Ah, encore les poètes, voilà que ça me reprend, peut-être parce que l’Histoire se souvient qu’en des époques autrement plus dangereuses et désespérées, leurs voix ont porté alors qu’elles n’avaient que le mauvais papier de pénurie des livres imprimés clandestinement et des tracts largués par avion pour recueillir leurs écrits, leurs protestations, leur résistance…

 

Et pour ne pas oublier :

Pass Vaccinal : "Juridiquement, cette situation est de la folie" - Marc Gotti -

 

Charles Gave : "L'empire du mensonge est en train de s'écrouler".

 

 

 

 

                        

18 octobre 2022

Feuilles mortes et pages décollées

(Une nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, nouvelle édition reliée)

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Dans l’automne joyeux et futile de la grande ville, Suzanne ajusta le col de son trench, vérifia le résultat sur son reflet dans une vitrine et se mêla à la foule qui entrait à la Fnac. Au rayon Littérature, elle feuilleta quelques nouveautés qu’elle reposa sur leurs piles respectives. Son regard s’arrêta sur un nom qui la projeta vingt-cinq ans dans le passé. Elle lut rapidement la quatrième de couverture d’un roman dont l’intrigue lui parut insignifiante et en conclut que l’auteur ne pouvait pas être Charles. À l’époque de sa rencontre avec lui au cours d’une soirée d’étudiants, Charles publiait à grand peine quelques poèmes dans des revues confidentielles. En souvenir de lui, elle avait conservé au fond d’un tiroir une plaquette éditée à compte d’auteur. Un jour, elle avait emporté ce recueil à la plage. Le soleil avait fragilisé la reliure de mauvaise qualité et provoqué le décollement de plusieurs pages. Avant de reposer le roman sur la table des meilleures ventes, Suzanne chercha tout de même une notice biographique dans les premières pages. Finalement, l’auteur était bien Charles.   « Pour-quoi n’écris-tu pas un roman ? » lui avait-elle demandé à force de le voir jeter les lettres de refus des éditeurs à même le sol de leur deux-pièces.

 

Vingt-cinq ans après, Suzanne se reprochait d’avoir posé cette question idiote. Le problème avec Charles, c’est qu’on avait toujours l’impression de lui poser des questions idiotes en évoquant son activité littéraire mais ce travers n’avait guère entamé l’attirance de Suzanne. Charles et son austère veste à chevrons, Charles et son éternel shetland noir à peine rehaussé par le col Mao d’une chemise de coton blanc, Charles avec ses allures de jeune séminariste. À quoi pouvait-il ressembler aujourd’hui ? Ce n’était pas la notice biographique dépourvue de photo qui allait renseigner Suzanne. Elle tenta sa chance avec d’autres romans de Charles, certains en format de poche, mais ne trouva aucune photo. Elle reprit son dernier roman sur la table des meilleures ventes et le lut tard dans la nuit. Écriture paresseuse, intrigue sentimentale ténue, personnages sans grande épaisseur, Suzanne n’arrivait pas à réaliser que cette bluette était l’œuvre de Charles Hansen, le jeune poète qu’elle avait connu. Après deux heures de sommeil, elle se leva et relut la plaquette de poèmes aux pages décollées.

 

Dès le lendemain matin, elle lança une recherche sur internet concernant Charles mais elle n’obtint qu’une liste de pages renvoyant à des sites d’éditeurs et de libraires. Les résumés et les couvertures des romans de Charles s’y succédaient sans interviews ni photos. Elle téléphona au secrétariat du principal éditeur de Charles pour s’entendre dire sans surprise qu’aucun renseignement personnel concernant les auteurs ne pouvait être communiqué. Pour revoir Charles, il ne lui restait pas d’autre piste que sa ville natale, une bourgade nichée dans une vallée du département voisin. Pouvait-il y résider encore ? Suzanne se souvenait de l’aversion de Charles pour les déplacements, notamment professionnels. En tous cas, Charles n’était pas dans l’annuaire. Suzanne eut alors l’idée d’appeler le journal local. Une secrétaire la mit en relation avec un rédacteur. Le localier accepta de communiquer une adresse et un numéro de téléphone. «mais vous perdez votre temps, ce type ne reçoit pas la presse » ajouta-t-il. Suzanne téléphona en fin de matinée et demanda à parler à Charles Hansen. « Pour quel motif ? répondit sèchement une voix de femme âgée. Suzanne hésita.
— Eh bien, je souhaiterais le rencontrer.
— Vous êtes journaliste ?
— Pas du tout, je suis une amie. Puis-je lui parler ?
— Monsieur Hansen ne prend aucun appel direct. Veuillez m’épeler votre nom et me laisser votre numéro de téléphone après quoi vous serez éventuellement rappelée. »

 

Une semaine plus tard, Suzanne trouva un message sur son répondeur. Elle reconnut la voix de femme âgée. «Monsieur Hansen peut vous recevoir jeudi après-midi à partir de 14h. Veuillez confirmer votre visite au plus tard mardi. » Suzanne confirma et demanda l’adresse précise.

 

Dans le rétroviseur, Suzanne vit s’envoler une brassée de feuilles mortes. Elle ralentit brusquement. Elle venait de quitter l’autoroute et roulait maintenant sur une départementale bordée de bouquets de grands hêtres agrippés à flanc de collines. Après une longue ligne droite, elle freina juste à temps pour négocier un virage en épingle à cheveux rendu très glissant par des amas de feuillage humide. En haut d’une côte, la forêt désormais clairsemée cédait la place à des prairies vallonnées obscurcies par un ciel sombre et bas. Un panneau mitraillé par les chasseurs annonçait la ville natale de Charles à une quinzaine de kilomètres. Suzanne n’avait qu’un souvenir médiocre de cette bourgade industrielle sans autre intérêt que la vallée aux pentes recouvertes d’épicéas dans laquelle elle était enclavée. L’idée de revoir Charles après toutes ces années lui paraissait maintenant aussi absurde que celle de faire demi-tour et de rentrer chez elle en jetant la clef du tiroir où elle conservait le recueil de poèmes aux pages décollées.

 

C’est dans cet état d’esprit qu’elle gara la voiture juste devant le numéro 22 inscrit sur la haute façade rénovée d’un immeuble à l’architecture datant du début du vingtième siècle. Suzanne sonna au visiophone incrusté dans un des piliers qui encadraient un étroit portillon dans une grille ouvragée surmontant un fort mur de clôture. Un déclic indiqua l’ouverture et Suzanne marcha dans une courte allée de gravier entre des buissons de buis odorants et très serrés. Elle monta quelques marches aboutissant à un perron protégé par une verrière. Face à une porte massive, elle dut de nouveau sonner et attendre. Un battant s’ouvrit. Une femme vêtue d’un ensemble bordeaux sombre et coiffée d’un chignon gris lui fit répéter son nom. Suzanne reconnut sa voix. La femme au chignon invita Suzanne à s’asseoir dans un petit fauteuil, lui demanda de patienter et s’éloigna. Dans ce hall vaste et clair à la décoration impersonnelle, Suzanne en arrivait à se demander si elle était bien au domicile de l’homme avec qui elle avait vécu quelques mois dans un meublé, le temps de finir ses études. Évidemment, Charles avait dû changer, ce qui était tout à fait normal après un quart de siècle mais décidément, cette maison silencieuse, ce bon goût contemporain, conventionnel, cet accueil guindé et ce Cerbère en chignon, tout cela ne ressemblait pas à Charles pour la simple raison que Charles, comme la plupart des gens après tant d’années, était certainement devenu quelqu’un d’autre et qu’elle n’avait rien à faire ici. «Idiote» pensa-t-elle en attendant le retour du chignon gris.

 

Quelque part, une pendule tinta. Il s’agissait en réalité d’un carillon posé sur un dressoir qui constituait le seul meuble du deuxième hall, plus petit,  que Suzanne traversait maintenant  à la suite  de la femme au chignon. «  Par ici » indiqua-t-elle en ouvrant une porte donnant sur un corridor obscur qui sentait la poussière. le corridor débouchait sur quelques marches.   «  Attention aux escaliers » prévint la femme au chignon en allumant une minuterie. En effet, les marches se terminaient sur un étroit palier d’où partait un escalier en pierre assez raide à descendre. Par une ouverture dans le mur à peine plus large qu’un hublot, Suzanne distingua les arbres du parc qui était situé au-dessous du niveau de la rue. Il fallut encore venir à bout d’une volée de marches avant d’accéder à une antichambre au fond de laquelle se découpait sur le mur blanc le bois lustré d’une haute porte. La femme au chignon frappa trois coups discrets et entrouvrit la porte sans attendre de réponse. Elle fit signe d’entrer et se retira en silence. Une forte odeur de tabac s’imposait, celle de la fumée de cigare refroidie. Les pas de Suzanne faisaient craquer les lames d’un plancher ancien. La décoration de cette pièce en rez-de-jardin qui servait à l’évidence de bureau et de bibliothèque contrastait avec celle, aseptisée, anonyme, du reste de la maison.

 

Derrière une grande table en merisier que Suzanne reconnut tout de suite parce qu’elle avait été le seul meuble qu’ils avaient installé dans leur garni au temps de leur brève vie commune d’étudiants, la silhouette de Charles apparaissait à contre-jour à cause d’une large fenêtre ouvrant sur le parc où l’on voyait des feuilles jaunes s’envoler des grands arbres. Sur la table, Suzanne reconnut aussi un presse-papier en résine en forme de chouette, un lourd cendrier noir et une lampe en pâte de verre bleue. Par la fenêtre, Suzanne vit ployer les arbres sous un coup de vent. Le ciel s’assombrit et la pénombre enveloppa toute la pièce. Charles alluma la lampe en pâte de verre et son visage émergea du contre-jour. À la place de l’homme transformé par la maturité qu’elle s’attendait à découvrir, Suzanne retrouva son ancien compagnon, mais il était à la fois le même et un autre. Il portait un pull en laine sombre d’une vague couleur lie de vin et un pantalon anthracite en toile. Le col de chemise qui dépassait légèrement du pull rappelait la tenue passe-partout des adolescents des années quatre-vingt. Suzanne se demanda comment Charles la voyait en ce moment. Elle savait qu’elle ne trouverait pas la réponse dans son regard qui n’avait en rien changé, toujours légèrement voilé, comme si Charles avait sans cesse les yeux fixés sur quelque chose qu’il était le seul à voir. C’était d’ailleurs en lui ce qui l’avait séduite puis lassée.

 

Dans le silence à peine troublé par le balancier d’une horloge comtoise que Suzanne reconnut aussi pour l’avoir vue chez les parents de Charles, trois coups discrets frappés à la porte précédèrent l’entrée de la femme au chignon. Un plateau dans les mains, elle traversa la pièce en direction de la bibliothèque et servit le thé sur un guéridon disposé près d’un sofa et de deux fauteuils en cuir râpés. Suzanne n’avait jamais vu Charles boire du thé. D’ailleurs, il n’en prit pas et invita Suzanne à goûter aux biscuits. Il demanda si la fumée la dérangeait, ouvrit un vaste humidor, en sortit un fagot de cigares reliés par un ruban de soie bleu et en alluma un après l’avoir délicatement incisé. Dans sa jeunesse, Charles fumait déjà des cigares de Cuba, de la République dominicaine, du Honduras et du Nicaragua qu’il achetait à l’unité ou en étuis de trois.  « Maintenant, tu peux te payer les boîtes !  » dit Suzanne en désignant les coffrets dans l’humidor. Pour l’instant, elle n’avait rien trouvé d’autre à dire. Elle commençait à redouter le moment où Charles lui demanderait la raison de sa visite après toutes ces années.  « Tu en veux un ? » demanda-t-il en ajoutant «maintenant, on me les offre, un comble non ? » Suzanne saisit l’occasion : « tu te rappelles, quand j’ai tiré quelques bouffées sur un de tes Havanes, comme j’ai été malade ! » Charles écrasa aussitôt le bout de son cigare dans le cendrier noir. « Je suis désolé », dit-il. « Il ne fallait pas, dit Suzanne, je suis moins fragile aujourd’hui.    «  Tu n’as jamais été fragile », dit Charles. Suzanne eut brusquement envie de partir mais Charles n’avait probablement pas eu l’intention de la blesser.

 

Dehors, le vent continuait d’enlever les feuilles. Dans cette grande bibliothèque sombre, Charles ne semblait plus qu’une ombre. Après un échange de pesantes banalités, un silence s’installa. « Tu vas bien me dédicacer un livre ? » demanda Suzanne. Charles ouvrit l’armoire réservée à ses exemplaires d’auteur. « Attends  ! », dit Suzanne. Elle déboutonna son trench pour extraire de la poche intérieure le recueil de poèmes aux pages décollées.  « Je voudrais que tu me signes celui-là ». Elle guetta une réaction, un mouvement de surprise, mais Charles se contenta de saisir le recueil avec précaution et le disposa sur la table en merisier, dans le halo de la lampe en pâte de verre bleue. Suzanne s’approcha et se pencha. Charles écrivit « Pour Suzanne » sur la page de garde. Sa main tremblait un peu. Il signa mais au lieu d’ajouter la date du jour, il inscrivit celle de l’année de leur première rencontre. 

 

Sur la route du retour, Suzanne pensa à la réflexion de Charles : « Tu n’as jamais été fragile... » Comme elle sentait ses yeux s’embuer, elle stoppa la voiture en laissant le moteur en marche à l’entrée d’un chemin forestier. Elle ouvrit le recueil de poèmes, relut la dédicace, s’essuya les yeux, ouvrit la vitre et respira l’air frais traversé d’effluves d’humus et de champignon. Apaisée, elle reprit la route, presque heureuse dans le grand vent d’automne qui éparpillait les feuilles.

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ASIN ‏ : ‎ B0BF2LSRVX

Langue ‏ : ‎ Français

ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8352502952

Poids de l'article ‏ : ‎ 263 g

Dimensions ‏ : ‎ 13.97 x 1.5 x 21.59 cm

158 pages

Renseignements, commandes et demandes de services de presse : ici.

Livre également disponible ici.

(Deuxième et nouvelle édition revue par l'auteur)

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