23 septembre 2010
Tu écris toujours ? (57)
Tout d’abord, il est excessif d’affirmer que je caressais ce projet car, je le répète, il s’agissait d’une simple idée qui m’effleura et l’on ne peut, que je sache, disposer d’assez de temps pour caresser quelque chose qui ne fit que vous effleurer. À ce stade d’un raisonnement auquel ne peuvent accéder que les caractères enclins à une certaine qualité de vie contemplative, je préfère me contenter d’expliquer pourquoi la première page de mon journal intime est encore vierge aujourd’hui.
Le jour où cette idée se manifesta, je n’étais pas dans mon état normal. J’étais en pleine forme, débordant d’énergie et de soif d’entreprendre. Peut-être avais-je trop bu de café. Si je me souviens bien, c’était la Toussaint, donc pas question de me lancer dans une nouvelle activité en plein milieu d’un jour de fête. Après les fêtes, il y a toujours des restes mais pour ma part, le lendemain, il ne me restait déjà presque plus d’énergie, peut-être parce que c’était le jour des Défunts. Par la suite, revenu à mon état normal, j’hésitai : un journal intime... Est-ce vraiment une bonne idée ? Je décidai de me donner quelques jours pour faire le point. On ne fait jamais assez le point mais encore faut-il bien le faire, c’est-à-dire y consacrer du temps. Faire le point à la va-vite ? Allons, allons ! Ce serait trop facile. Cette fois-ci, je m’appliquai encore plus que d’habitude. Je fis le point cinq jours d’affilée et à la fin, j’étais presque décidé mais c’était sans compter avec l’Armistice de 1918. Travailler un onze novembre ? Jamais !
Le lendemain, 12 novembre, Saint Christian, constitue pour moi une date plus propice à la réception de nombreux témoignages d’affection qu’à la concentration nécessaire à cette activité hautement intellectuelle qu’est la rédaction d’un journal intime. Du 12 novembre, on a vite fait d’arriver sans s’en apercevoir au 24 qui est pour moi entièrement consacré à l’ouverture de mes cadeaux d’anniversaire. Je me vois mal dire aux gens en ce jour spécial : « merci, vous êtes gentils mais maintenant, je dois vous laisser pour rédiger mon journal intime. »
N’allez cependant pas croire à mon renoncement. Il ne faut jamais renoncer. Moi, je préfère ne rien faire du tout plutôt que de renoncer. Ainsi m’abîmai-je, chaque soir avant d’aller au lit, dans la contemplation du grand cahier de mon futur journal intime ouvert à la première page. Je déposai même sur ma table de chevet une lampe de poche dont le discret faisceau m’eût éventuellement permis de me lever, à la faveur d’une insomnie, pour me rendre à l’écritoire sans me cogner dans le noir et sans réveiller mon épouse. Par malchance, sur une bonne vingtaine de nuits, je ne connus durant cette période que dix minutes d’insomnie, à peine le temps d’appuyer sans résultat sur l’interrupteur de la lampe de poche, d’ouvrir le boîtier pour constater qu’il ne contenait pas de pile et de me rendormir aussitôt jusqu’à une heure plus habituellement réservée à l’apéritif qu’au petit déjeuner.
Novembre me laissant encore quelques jours, je ne désespérai point de fixer un bel instantané de ma vie sur la surface immaculée de mon cahier tout neuf. Hélas, le temps que je prenne conscience de ce délai qui m’était offert, le premier dimanche de l’Avent me surprit en pleine méditation sur cette incroyable accélération du temps qui permet à Noël d’arriver chaque année alors qu’on se demande comment Pâques devint si vite un souvenir. Tout cela pour dire que j’ai l’habitude, pendant les quatre semaines de l’Avent, de m’imprégner de l’esprit de Noël et, à la rigueur, de faire un peu le point.
Cette année, en ces heures printanières où je vous parle, j’observe depuis ma fenêtre mes frères les grands frênes qui sont les premiers arbres à se débarrasser de leurs feuilles et les derniers à s’en revêtir. N’ayant toujours pas trouvé comment débuter la rédaction de mon journal intime, j’ouvris au hasard celui d’un écrivain célèbre et je lus : « aujourd’hui, il a plu et les enfants sont venus déjeuner. » Trop fort !
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit.
Retrouvez des épisodes de mon feuilleton dans l'édition en volume de Tu écris toujours ? publié aux éditions Le Pont du Change.
00:59 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : magazine des livres n°24, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, éditions le pont du change, lyon, feuilleton, miège, feuilleton d'un écrivain de campagne, lafont presse, blog littéraire de christian cottet-emard, humour, journal intime
19 juillet 2010
Tu écris toujours ? (Conseils aux écrivains qui ont la migraine)
Après sa parution en volume en avril dernier aux éditions Le Pont du Change, mon feuilleton Tu écris toujours ? continue dans le Magazine des Livres dont le n°25 qui vient de sortir en kiosques publie le nouvel épisode illustré par le dessinateur Miège : Conseils aux écrivains qui ont la migraine. Pour les oyonnaxiens, mon livre Tu écris toujours ? est disponible à la librairie Buffet et à la Maison de la presse où l'on trouve aussi Le Magazine des Livres.
LE MAGAZINE DES LIVRES n°25 / juillet-août 2010
Sommaire :
Digressions] Guest stars par Joseph Vebret
DOSSIER
Sexe et littérature par Olivier Bessard-Banquy
Genèse et métamorphoses de la littérature érotique par Tang Loaec
Question de genre par Anne Bert
La nudité, la femme et l’art par Orlando de Rudder
Extension du domaine de la littérature érotique par Tang Loaec
Contre l’érotisme par Orlando de Rudder
RENCONTRES
Marcelin Pleynet : « La solitude a un lien indissociable avec la création » par Joseph Vebret
Michel Le Bris : « Donner aux lecteurs une part des trésors accumulés pendant une vie » par Bertrand du Chambon
UNE VIE D’ÉCRIVAIN
Sandro Veronesi : « Donner une deuxième chance à la réalité » par Thierry Richard
ENTRETIENS
Patrick Cauvin : « Peut-on encore mener une carrière de "raconteur" ? » par Olivier Quelier
Émile Brami : « Pour qui aime la littérature, il y a des écrivains indispensables » par Joseph Vebret
Sébastien Doubinsky. La confession de Billy the Kid par Éric Bonnargent
Dominique Inchauspé : « L’influence du journaliste est supérieure à celle de l’écrivain » par Joseph Vebret
Juan Asensio : « Judas ou le refus d’être aimé, le refus de l’Amour » par Éric Bonnargent
Antoni Casas Ros. L’écriture anonyme par Éric Bonnargent et Marc Villemain
APARTÉ
Annie Lemoine. Nouvelle vie : l’écriture par Laure Rebois
CLASSIQUE
Vladimir Nabokov. Portrait d’un auteur en illusionniste par Frédéric Saenen
PERDU DE VUE
Stig Dagerman. Le jeu avec la mort par Michel Loetscher
LE CAHIER DES LIVRES
Focus, Romans, Polars, SF, Théâtre, Documents, Musique, Revues, Beaux livres, BD, En vrac
Les livres que vous n’avez pas lus] Des météorites signées José Bergamín par Bertrand du Chambon
Chemin faisant] Déroutes par Pierre Ducrozet
Les mains dans les poches] Le goût estival du morbide par Anthony Dufraisse
Musique & littératures] Brassens, poète chapardeur par Jean-Daniel Belfond
Relecture] Le crime de Lord Arthur Savile, Oscar Wilde par Stéphanie Hochet
Poésies] Host figure l’amante en remontant ses sources par Gwen Garnier-Duguy
Cinéma & littératures] Une douce odeur de violette par Anne-Sophie Demonchy
Lire la musique] Passions hendrixiennes par Guy Darol
Économie du livre] La FNAC, l’agitateur agité ? par Christophe Rioux
BONNES FEUILLES
La sélection d’Annick Geille : Promesses tenues
Fruits & légumes, Anthony Palou
Nos cœurs vaillants, Jean-Baptiste Harang
Le Sel, Jean-Baptiste Del Amo
Écrivains, Antoine Volodine
Le jour où le ciel s’en va, Jean-Philippe Domecq
La Montagne de minuit, Jean-Marie Blas de Roblès
Les meilleurs livres de la période par Annick Geille
Feuilleton] Conseils aux écrivains qui ont la migraine par Christian Cottet-Emard
Feuilleton] Voyage dans une bibliothèque par Raphaël Juldé
Feuilleton] L’Auteur et Internet par Emmanuelle Allibert
Visages d’écrivains] Julien Gracq par Louis Monier
Avec : Emmanuelle Allibert, Stéphane Beau, Jean-Daniel Belfond, Anne Bert, Olivier Bessard-Banquy, Éric Bonnargent, Brigit Bontour, Arnaud Bordes, Christian Cottet-Emard, Guy Darol, Hubert de Champris, Anne-Sophie Demonchy, Orlando de Rudder, Stéphanie des Horts, Bertrand du Chambon, Pierre Ducrozet, Anthony Dufraisse, Eli Flory, Gwen Garnier-Duguy, Annick Geille, Stéphanie Hochet, Stéphanie Joly, Raphael Juldé, Tang Loaec, Michel Loetscher, Clara Mainardi-Begnis, Valère-Marie Marchand, Ludovic Maubreuil, Christophe Mory, Olivier Philipponnat, Olivier Quelier, Laure Rebois, Thierry Richard, Christophe Rioux, Frédéric Saenen, Marc Villemain, Carole Zalberg. Photos : Louis Monier. Illustrations : Miège et Innocent.
Coordination : Delphine Gay.
10 juillet 2010
Alma s'en va (suite et fin)
(Nouvelle en mini-feuilleton)
Résumé des épisodes précédents
Une épave mystérieuse vient d'échouer sur la plage. Le major, un officier taciturne, enquête auprès d'un écrivain retiré, témoin d'un étrange phénomène et détenteur d'un objet convoité.
12
« Comment va-t-il aujourd'hui ?
— Comme d'habitude. »
À chaque visite à la résidence des Pins, j'aurai désormais la même réponse. De temps en temps, je croiserai le docteur dans les couloirs et dans le parc où nous marchons un peu, le major et moi. « Il est loin de nous, il a toujours été loin de tout le monde. Seul l'uniforme pouvait le maintenir en contact avec la réalité. Après cet échec dans cette affaire d'épave, il s'est effondré » dit le docteur.
« Bonjour, major. Le journal. Vos cigarettes. Et si je vous prêtais un livre ? »
Le major ne répond pas souvent à mes questions. Difficile de capter son regard vague. Il m'arrive de ne plus savoir quoi lui dire. Pourtant, je continuerai de pousser la grille du parc, de franchir le seuil de la résidence des Pins. Par une absurde ironie du sort, le major occupe la chambre d'Alma Lorenz. Alma Lorenz a disparu. Un jeune officier est venu la chercher pour faire quelques pas dans le parc, voici cinq ou six ans. L'homme s'est présenté comme son petit-fils et personne ne s'est inquiété car l'uniforme inspire confiance. Le soir, plus personne... Je me suis bien gardé de dire ce que je croyais savoir. Je n'ai pas envie de passer pour un fou et de finir mes jours ici avec le major. Cette nuit, la mer gronde et le sommeil, je ne sais plus ce que c'est. Alors, je tiens mon journal. Un poème de temps à autres. Ce matin, je longerai le front de mer dans cette lumière d'été qui suffit à la gloire des amoureux. J'irai prendre un verre à la terrasse du bistro d'Ange Consagude où je saluerai la jeune fille qui s'occupe des churros. J'essaierai une fois de plus d'imaginer Alma Lorenz à sa place, Alma Lorenz dans sa pleine splendeur malgré l'huile et le gras, Alma Lorenz impatiente de finir sa journée pour aller rejoindre Ermenegildo sur la plage ou à l'hôtel Solymar. Peut-être réussirai-je un jour à écrire leur histoire. Mais comment ? À quel temps conjuguer ce qui ignore le temps ? Petite musique de la plage, étoffes, fanions, voiles, papiers, cerfs-volants, couleurs qui claquent en l'air dans l'écume...Pourquoi lutter contre tout cela, major ?
Votre erreur, c'était cet acharnement contre l'épave. Je vous revois toujours au volant de la jeep. Vos bidons d'essence, votre fureur. Seul. Sourd à mes appels. Vous me reprochiez de ne pas tout vous dire, mais que dire à qui ne veut rien entendre ? La vendeuse de churros, en face de moi... Même elle, saurait écouter cette histoire, un des souvenirs enchantés qu'Alma Lorenz m'a raconté une fois, sur la plage : Alma est toujours fauchée. En plus des churros et des ménages à l'hôtel, il lui arrive de vendre des babioles aux estivants, sur le marché. Un jour, elle prend le soleil avec Ermenegildo. Il se lève, plonge dans les vagues, disparaît un instant puis ressort de l'eau et dépose dans les mains de la jeune femme de petits cailloux lisses et translucides, aux couleurs étonnantes. A la fin de la journée, ils ont tant de petits cailloux qu'ils en abandonnent une partie sur la plage. Les plus beaux, ils en emportent une grande quantité avec eux, dans des seaux en plastique oubliés par les enfants qui jouent dans le sable. Quelques jours après, les cailloux rangés dans des boîtes d'allumettes peintes en noir se vendent comme des petits pains sur le marché, ce qui fait beaucoup rire Ermé. Alma garde une boîte pour elle, en souvenir.
Nous voilà tous les deux, major. Vous, suspendu au-dessus du gouffre depuis ce jour de colère lorsque vous a saisi cette rage de mettre le feu à l'épave. Moi, témoin de l'indicible, de ce que même vous, major, qui l'avez pourtant vécu, ne pouvez ou ne voulez attester.
Pensiez-vous vraiment qu'ils vous permettraient de répandre l'essence ? Je tente de vous en dissuader, de vous convaincre de partir. Je dévale la dune pour vous empêcher d'approcher de l'épave. Et puis cette odeur nous submerge. La délicieuse odeur de pommier en fleur ou de narcisse qui, diluée dans la blondeur du jour, nous charme autant qu'elle peut nous étourdir, voire nous écœurer si elle se concentre trop. Nous respirons mal. Nous titubons. Nous voici privés de nos mouvements. Un vent brûlant soulève des tourbillons de pollen et nous aveugle de pétales, de graines soyeuses et de papillons affolés.
Près de l'épave, Alma Lorenz au bras de Gildo. Gildo parle avec une fille en haillons et un homme en smoking, le col de chemise de travers et le plastron défraîchi, comme au retour matinal d'une nuit d'alcool. Gildo et l'homme s'approchent de vous, major. L'homme s'empare de votre arme de service et la dispose dans votre main. Vous approchez le canon de votre tempe. Gildo hésite :
« Devrons-nous toujours détruire ce que nous créons ? »
L'homme répond :
« Crois-tu qu'il se prive de détruire ce que nous créons ? S'il pouvait parler maintenant, il te dirait que c'est dans l'ordre des choses. Mais l'ordre, c'est notre affaire.
— Il lutte pour une cohérence ...
— Nous nous battons tous contre un ennemi énigmatique, quelque chose de ténébreux, d'informe, qui nous réveille la nuit pour aliéner notre sommeil et qui nous endort le jour dans une dangereuse somnolence pour nous priver de nos rêves fondateurs. »
Je supplie Gildo du regard. Gildo insiste auprès de l'homme qui vient de parler :
« Le poète nous demande d'épargner cet officier. »
L'homme hausse les épaules, indifférent :
« S'il intercède en sa faveur... Tu n'as qu'à décider. Après tout, c'est toi qui a déclenché tout cela en t'amourachant de cette femme. Mais je te préviens, tu ne rends pas service à ce militaire. Il finira sa vie dans la mélancolie. »
La fille en haillons vous reprend le revolver et le laisse choir dans le sable avant de fouiller dans mes poches. Elle s'empare du petit morceau d'épave que vous m'aviez laissé et de la boîte de cailloux que je n'avais pas mentionnée dans ma déposition.
L'homme vérifie une dernière fois autour de lui :
« As-tu récupéré ton bien, Ermenegildo ?
— Oui.
— Alors, ne traînons pas ici. Ces temps nous sont hostiles. »
Et ils disparaissent tous dans l'épave.
FIN
© Éditions Orage-lagune-Express
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
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