15 janvier 2011
Le rendez-vous dont je me serais bien passé est fixé dans un bar du centre ville.
Tout me contrarie dans cette affaire. Premièrement, je n’entre pas souvent dans les cafés. Deuxièmement, j’ai du mal à m’en rappeler les usages. Faut-il payer à l’instant où le garçon apporte la commande ou au moment de partir ? Faut-il être aimable avec lui, disert ou indifférent ? Troisièmement, je n’aime pas manger ou boire devant quelqu’un que je ne connais pas.
Pour ce rendez-vous qui décidément me pèse, il a été convenu que le premier arrivé s’attablerait en disposant bien en vue un exemplaire de la Quinzaine Littéraire. Dans cette petite ville industrielle fatiguée et dans ce bar qui est le siège de quelques associations sportives, le risque d’erreur avec un tel signe de reconnaissance est à peu près nul.
J’entre et j’inspecte la salle. À cette heure, le débit de boisson est encore assez peu fréquenté. Point de Quinzaine Littéraire. Je suis le premier et j’en suis soulagé. Je m’installe non loin de la porte et je dispose mon journal de telle sorte que le titre apparaisse bien en évidence. Je règle tout de suite le vin chaud que j’ai demandé et je lorgne la porte qui s’ouvre maintenant devant des clients de plus en plus nombreux. La salle s’anime, le volume sonore monte et l’atmosphère s’opacifie.
À ma deuxième cigarette, une délicieuse sensation d’irresponsabilité m’enveloppe et me réchauffe le coeur. Tout ragaillardi, je plie la Quinzaine Littéraire dans la vaste poche intérieure de mon manteau et je continue d’attendre en observant toujours les clients qui entrent et qui sortent.
Bientôt, un homme se présente à l’entrée du bar. Il regarde sa montre puis l’intérieur de la salle. Je le vois s’installer à une table voisine de la mienne, ouvrir la Quinzaine Littéraire et commander à boire. Il fume. J’observe à la dérobée cet inconnu avec qui j’ai rendez-vous et je profite d’une vague de clients qui se lèvent de table pour sortir dans la rue en me fondant à leur groupe.
Dehors, le ciel nocturne est bien dégagé et très étoilé. Cela fait un certain temps que je n’ai pas vu d’étoiles filantes...
(Extrait de : LE GRAND VARIABLE, éditions Éditinter, 2002. Épuisé.)
Dessin de Frédéric Guénot pour l'édition en feuilleton du GRAND VARIABLE dans la revue SALMIGONDIS en 1999.
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11 décembre 2010
Tu écris toujours ? Un article dans Voix de l'Ain
Dans l'hebdomadaire Voix de l'Ain en date du 15 octobre 2010, un article sur « Tu écris toujours ? » (éditions Le Pont du Change) signé Jean-François Pan :
(cliquer sur l'article pour agrandir).
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20 novembre 2010
Tu écris toujours ? (60)
Conseils aux écrivains excédés par le bricolage
Entre toutes les tâches qui pourrissent la vie de l’écrivain, le bricolage, ersatz de cette autre corvée qu’est le travail, devrait normalement être banni du quotidien de l’auteur qui se respecte, tout comme le quotidien lui-même d’ailleurs, sans oublier le travail, bien sûr. Pourtant, à ma grande honte, j’avoue qu’il m’arrive de bricoler, à l’inverse de mon riche voisin auteur d’un best-seller qui peut quant à lui se permettre de payer des spécialistes pour se taper sur les doigts et se salir les mains à sa place. Je conseille donc à tout auteur allergique au bricolage de pondre d’urgence un best-seller. En ce qui me concerne, je n’en ai pas encore eu le temps car je ne dispose pas dans ma maison d’une gouvernante telle que Madame Tumbelweed qui veille si jalousement au bien-être de mon voisin et de son chat Sir Alfred. Injustement privé d’un tel soutien, je dois me résoudre à gérer moi-même les détails les plus triviaux de mon quotidien.
L’hiver dernier, par exemple, je suis tombé bien bas. J’ai transformé une vieille chemise en blouse et je me suis coiffé d’un « bob » publicitaire arborant le slogan : « Ohé matelot, la sardine qu’il vous faut » , un cadeau de Madame Tumbelweed. Elle détient une quantité considérable de ces couvre-chefs en raison de sa fidélité à l’épicerie qui fournit sa nourriture préférée à Sir Alfred. Ainsi affublé, j’ai peint au rouleau la moitié du plafond de mon salon après quoi je me suis ménagé une pause. Six mois après, pas plus tard que cet été, Madame Tumbelweed m’a donné un autre « bob » pour que je puisse peindre l’autre moitié du plafond.
La pire des corvées durant ces travaux consiste en inévitables expéditions au magasin de bricolage où un phénomène étrange se produit dès mon arrivée. La première fois que j’ai passé la porte de ce hangar surmonté d’une banderole sur laquelle on devrait inscrire non pas « Promotions sur les perceuses » mais plutôt « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance » , tout s’est pourtant bien passé. Un vendeur est venu à ma rencontre. Alors que c’est habituellement moi qui prodigue des conseils, je me suis trouvé dans la pénible position d’en demander. Le vendeur m’a conseillé et je n’ai rien compris. C’est un peu plus tard que la situation a dégénéré. Au fil des semaines, après plusieurs tentatives auprès d’un grand nombre de ses collègues, j’ai remarqué qu’à chacune de mes visites, le magasin semblait se vider de ses vendeurs. Plus une seule blouse à l’horizon. Abandonné à mon sort au rayon enduits et colles, telle la mouche engluée sur le ruban, j’en apercevais parfois un se faufiler telle une bête traquée entre les cuisines et les salles de bain. À l’évidence, ils avaient entrepris de m’éviter et vous n’imaginez pas la quantité de cachettes que recèle un magasin de bricolage. Un jour, au rayon jardin, j’ai soulevé machinalement le couvercle d’une poubelle en plastique. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, elle contenait un vendeur qui n’a rien trouvé de mieux à me dire d’un air gêné qu’il vérifiait l’étanchéité. Un autre jour, pour qu’on s’occupe enfin de moi, je me suis déguisé en bricoleur. Je suis entré dans le magasin vêtu d’une salopette et coiffé d’une casquette publicitaire des peintures Hume & Plane sur laquelle était imprimé en jaune fluo « Peignez sans odeurs » (ils ne savent vraiment plus quoi inventer, vous pouvez très bien vous livrer à cette activité certes assez physique sans la moindre odeur en utilisant votre déodorant habituel). Au lieu d’attirer un vendeur, je me suis retrouvé cerné de clients bien décidés à ce que j’apporte une solution définitive à leurs problèmes de chasse d’eau, tout cela parce que je poireautais sous une pancarte portant la mention « Recyclez l’eau de vos toilettes » . J’ai choisi la fuite et je me suis coulé vers le rayon des papiers peints où j’ai fait tapisserie un bon moment. Un vendeur s’est approché. Mon erreur : avoir ôté ma casquette pour le saluer. Il m’a reconnu et a détalé en me jetant un regard épouvanté.
Bien sûr, j’aurais pu me plaindre à la direction mais je me suis souvenu que lors d’un salon du livre, je me suis carapaté encore plus vite devant un chasseur d’autographes notoire, vous savez, ce genre de pervers qui passent leur temps à se faire dédicacer des bons de souscription ou de commande sans acheter les livres qui vont avec. Il est vrai qu’en cette situation, je n’aurais pas hésité à sauter dans la première poubelle venue, même en courant le risque de la trouver déjà occupée par un confrère. J’ai donc pardonné aux vendeurs du magasin de bricolage mais leur carte de fidélité, ils peuvent la donner au sani-broyeur en promotion qu’ils m’ont livré à la place du destructeur d’archives que j’avais commandé.
* Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°26 (septembre/octobre 2010).
* Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon, sous le titre Tu écris toujours ? (manuel de survie à l'usage de l'auteur et de son entourage).
00:08 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tu écris toujours ?, christian cottet-emard, feuilleton, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris, bricoleur, bricolage, peinture, plafond