19 mars 2011
Tu écris toujours ? (62)
Conseils aux écrivains qui veulent gagner du temps.
Vos œuvres complètes tiennent sur une tranche de cinq centimètres dans votre bibliothèque et votre éditeur sera obligé de publier votre prochain roman en gros caractères sur papier extra-bouffant pour pouvoir vendre vos quatre-vingts laborieux feuillets au prix de cent soixante chez la concurrence. Pourtant, vous débordez d’idées. Conclusion : vous n’arrivez pas à réserver assez de temps à l’écriture. De deux choses l’une, ou vous menez une vie de patachon si excitante qu’elle ne vous laisse que trois heures de sommeil par nuit ou vous vivotez comme tout le monde, accablé par les corvées quotidiennes qui écrabouillent votre créativité. Vous vous trouvez dans cette deuxième catégorie ? Je m’en doutais. La situation est désespérée mais pas grave.
L’idée d’une humanité privée de quatre-vingt-dix pour cent de votre génie sous prétexte que vous devez faire le ménage, les courses et éventuellement gagner votre vie (un comble quand on n’a pas demandé à venir au monde) n’est certes guère plaisante mais supportable comparée aux catastrophes que pourraient provoquer l’arrêt du Gulf stream ou la faillite de la distillerie qui sort mon bourbon favori à quarante-trois degrés. Comme disait Einstein, il faut relativiser (enfin, je crois qu’il a dit quelque chose dans ce genre).
Si le temps vous manque pour écrire les chefs-d’œuvre dont les idées vous entrent dans la tête à la vitesse de la lumière mais en sortent hélas aussi vite, c’est que vous le gaspillez. Je ne sais pas ce que vous faites de vos journées et je ne veux pas le savoir mais vous n’ignorez pas que certaines mauvaises habitudes, la pratique d’un sport notamment, sont chronophages. S’il vous est agréable de vous disperser dans une gymnastique qui vous fait rentrer tout suant à la maison et qui vous accule à une navrante dépendance aux nouilles, spaghettis, macaronis et autres tagliatelles pourvoyeuses de sucres lents, je ne peux rien pour vous.
Après tout, vous mangez ce que vous voulez mais je peux au moins vous donner des astuces pour gagner du temps sur les repas car je suis bien placé pour savoir que les écrivains ont tendance à rester trop longtemps à table. Aussi veillerez-vous, les jours où l’inspiration vous assaille, à ne prévoir qu’un casse-croûte ne nécessitant qu’un minimum de préparation. Rien de tel qu’un bon sandwich thon-mayonnaise. À ma gauche, la boîte de thon, à ma droite, le tube de mayonnaise et au centre, deux tranches de pain qui viendront aplatir le mélange. Pas question de perdre de précieuses minutes à monter la mayonnaise vous-même. La mayonnaise sort du tube, le thon sort de la boîte, c’est tout. Et pour le pain, rien que du pain de mie, plus rapide à mastiquer que la baguette. Mon conseil en plus : on peut trouver du pain de mie sans croûte, encore un gain de temps et d’énergie. J’ai aussi en magasin un truc bien pratique pour le petit déjeuner. Pourquoi vous épuiser à tourner une cuiller à café dans votre bol ? Préférez une cuiller à soupe qui divisera le mouvement par deux. Résultat, moins de fatigue, surtout dans l’état où vous êtes au saut du lit.
Qui dit petit déjeuner dit journal. À proscrire. Vous ne lisez certes pas la presse locale dont vous vous contentez de regarder les images mais si vous êtes vraiment amateur de ces photos rappelant le style Raymond Depardon tardif, achetez carrément son dernier album et n’en parlons plus. Sachez cependant que la contemplation, de bon matin, de cette France si exotique peut non seulement vous saper le moral mais encore vous boulotter de précieuses minutes (sans parler, si vous êtes marié, de ce qui peut constituer un redoutable tue-l’amour pour votre femme qui n’a pas épousé un homme avec un journal ou un livre à la place du visage). Je ne prends cet exemple qu’au masculin car, heureusement, plus rares sont les femmes dont la tête disparaît à chaque repas derrière les pages dépliées de journaux locaux ou sportifs.
Le régime que je vous ai conseillé vous convient mais vous ne pouvez pas vous priver de votre quotidien local ? À cause des avis de décès bien sûr ! Je sais qu’on a toujours l’espoir d’y trouver un vieil ennemi mais dites-vous bien que l’augmentation de l’espérance de vie dans nos sociétés, phénomène général concernant aussi les ennemis, raréfie les bons morts et remet de ce fait en question la rentabilité d’un abonnement à la feuille du coin. Toujours pas décidé à ne plus vous noircir les doigts et le bout du nez à l’encre de chiens écrasés ? Dans ce cas, je ne vois plus qu’une raison : vous guettez un papier sur votre dernier livre. Au fait, avez-vous trouvé le temps de l’écrire ? Pas encore ? Je vois. Écoutez, je connais un très bon psy. Voulez-vous l’adresse ?
(Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon.) Cet épisode est paru dans le Magazine des Livres n°28.
La suite du feuilleton dans le récent Magazine des Livres (n°29) qui vient de sortir en kiosques dans un nouveau format tabloïd.
18:08 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, le magazine des livres 29, tabloïd, éditions le pont du change, lafont presse, thon, mayonnaise, pain de mie, sandwich, bourbon, gulf stream, einstein, raymond depardon
01 février 2011
Tu écris toujours ? (62)
Mon feuilleton Tu écris toujours ? continue dans le Magazine des Livres n°28 (janvier/février 2011) qui vient de sortir en kiosques. Titre de cet épisode illustré par le dessinateur Miège : Conseils aux écrivains qui veulent gagner du temps.
Retrouvez des épisodes de mon feuilleton dans l'édition en volume de Tu écris toujours ? publié aux éditions Le Pont du Change.
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00:16 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, le magazine des livres 28, lafont presse, éditions le pont du change, paris, lyon, sollers, miège
20 janvier 2011
Tu écris toujours ? (61)
Conseils aux auteurs ratés
Il nous est tous arrivé au moins une fois dans notre vie de penser à quelqu’un sans raison particulière et de le voir rappliquer le jour même voire quelques instants après. J’étais exactement dans cette situation l’autre jour, le nez écrasé contre ma porte d’entrée et l’œil rivé à l’œilleton dans lequel se déformait de la plus hideuse manière le visage d’une vieille connaissance, l’auteur abonné aux circulaires de refus des éditeurs du monde entier, le genre de type très déprimé à qui on a envie de répondre « je ne suis pas là » s’il s’avise d’appuyer sur le bouton de la sonnette. Ne pas céder à toutes nos pulsions constitue la base de la civilisation. J’ouvris la porte et dis : « ah quelle bonne surprise... Mais entre donc. Que me vaut le plaisir de ta visite ?
— Ils m’ont encore refusé. Je n’en peux plus. Tu veux que je te dise ? Je crois bien que j’ai raté ma vie.
— Impossible.
— Pardon ?
— Impossible. Comment veux-tu rater (ou réussir, d’ailleurs) quelque chose que tu n’as pas entrepris ?
— Je ne comprends pas.
— C’est pourtant simple, ni toi ni moi n’avons entrepris nos vies. Nous n’avons pas entrepris de naître et de vivre, donc nous ne pouvons réussir ou rater quelque chose que nous n’avons pas entrepris. Nous n’y sommes pour rien, nous naissons et nous vivons, c’est tout. »
Le pauvre garçon n’avait pas l’air convaincu, probablement parce que je ne l’étais pas moi-même. (Si nous devions croire en toutes les vérités que nous infligeons à autrui à longueur de journée, nous renoncerions tous à la parole et toute la classe politique se volatiliserait). Je tentai donc quand même de redonner le moral à mon interlocuteur en lui suggérant que dans une autre vie, peut-être pourrait-il se réincarner sous la forme d’un auteur à succès, comme mon voisin. « Tu parles ! Je suis tellement nul que c’est en limace que je me réincarnerai.
— Tu vois, tu es toujours négatif. Tu pourrais choisir un autre animal, un écureuil par exemple.
— Pourquoi un écureuil ?
— Parce qu’il vaut mieux sauter dans les arbres avec la queue en panache que passer son temps à ramper dans le mouillé en laissant des traces gluantes. »
Je rapporte cette conversation pour montrer à quel point l’obstination des éditeurs à refuser les manuscrits des auteurs ratés peut s’avérer préjudiciable à la tranquillité de personnes compréhensives dans mon genre, obligées d’accueillir, d’écouter, de consoler et de conseiller bénévolement les recalés qu’ils fabriquent à la chaîne.
Ceci dit, face au grand dépressif qu’est l’auteur raté, vous avez intérêt à trouver les bons arguments pour éviter qu’il n’attente à ses jours en sortant de chez vous, ce qui ferait désordre auprès des voisins. « Malgré tes échecs auprès des éditeurs, tu as au moins produit une œuvre, dis-je à mon visiteur. J’aurais plus de raisons que toi de me plaindre, moi qui rêvais d’écrire et qui me suis contenté de procrastiner. J’avais bien une idée de roman mais mon voisin a été plus rapide et c’est lui qui a touché le gros lot. Avant d’accéder à la gloire et à la fortune, il était comme toi, un auteur raté. Son best-seller raconte l’histoire d’un auteur raté qui tombe amoureux d’une jeune, belle et riche héritière. Tu vois, ce n’est pas si compliqué. »
Transformer le handicap en une force, voilà le meilleur conseil que vous puissiez donner à un auteur raté qui vient vous servir à domicile sa soupe à la grimace et l’amère tisane de ses états d’âme. Pour les cas les plus sévères, je préconise le travail manuel. En effet, l’auteur raté ne doit pas passer sa journée à ruminer, surtout s’il a décidé de venir faire ça chez vous. On peut gagner beaucoup à le distraire de son sentiment d’échec en lui confiant de petits travaux qui lui permettent de retrouver l’estime de soi. Vous faites ainsi une bonne action et des économies, au prix où est la main-d’œuvre... Au dernier auteur raté qui a cru bon de larmoyer dans mon salon, j’ai proposé de monter ma cuisine achetée en pièces détachées chez iyaka. En le regardant travailler depuis mon poste d’observation du monde favori, mon fauteuil, au coin du feu en fumant un bon cigare, j’ai pensé à la belle carrière qui aurait pu être la sienne chez iyaka s’il n’avait pas persisté dans celle d’auteur raté. Pour être sûr qu’il avait repris confiance en lui, je lui montrai les lames encore empaquetées d’un parquet flottant destiné au deuxième étage de ma maison. J’avais tellement bien réussi à motiver le brave garçon qu’il se déclara prêt à attaquer tout de suite mais comme je me sentais un peu fatigué de l’avoir vu s’agiter toute la journée avec ses outils bruyants, je l’invitai à revenir le lendemain, après ma sieste si possible. Je ne rechigne pas à donner de mon temps pour aider mon prochain mais tout de même, il ne faut pas exagérer.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon. Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°27 (novembre/décembre 2010).
23:39 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, magazine des livres 27, christian cottet-emard, lafont presse, auteur, littérature, humour, blog littéraire de christian cottet-emard, houellebecq, éditions le pont du change