31 mai 2014
Carnet / Du parfum des iris et des fantômes
Oppressante grisaille du Jura depuis le mois d’octobre dernier malgré un peu moins de trois petites semaines de soleil en mars. Besoin obsessionnel de lumière, sensation de vivre sous un couvercle.
Les frênes finissent enfin de faire leurs feuilles mais tout est détrempé par les averses orageuses de l’après-midi. Les pivoines sont encore en boutons et les rosiers attendent la fin du cycle calamiteux des hannetons de la Saint-Jean (une spécialité locale de prédateur dévastateur) pour fleurir. L’an dernier, toutes les fleurs ont été mangées en quelques jours. Pour l’instant, seuls les iris attestent d’un milieu de printemps. Ils n’intéressent ni les hannetons ni les pucerons. Je suis depuis l’enfance troublé par leur parfum discret et sévère comme étaient souvent les parfums des femmes de la petite bourgeoisie d’antan.
Iris, pivoines, fleurs des vieux quartiers bien sages repliés sur eux-mêmes des années de mon enfance. Lilas aussi, mais plus populaires car capables de pousser un peu partout. Lilas blancs pour qui voulait encanailler un peu son parc tout en se démarquant tout de même des violets plus capiteux et démonstratifs !
Dans ma modeste résidence de la campagne jurassienne sur une terre acquise par mon aïeul, la transplantation de ces plantes, fleurs et arbustes m’aide à garder à l’esprit quelques souvenirs d’un peu d’insouciance.
Je me reproche aujourd’hui d’avoir été un enfant inquiet et ombrageux au lieu de profiter innocemment, à l’époque où je vivais en ville, des ultimes douceurs de ce quartier préservé d’une bourgade qui fut tranquille et qui sombre aujourd’hui dans des abîmes de tristesse et de vulgarité.
Je ne pouvais évidemment pas prévoir que cette cité où j’ai vécu si longtemps avant de la fuir en 2009 mais où je suis bien obligé de descendre encore de temps à autres en serait réduite à ce qu’elle est désormais : un agglomérat sans âme et sans mémoire de populations déracinées soumises à la mobilité géographique professionnelle, un centre ville moribond livré au vacarme des pétrolettes débridées, aux bagnoles boîtes de nuit et aux grosses cylindrées financées on ne sait trop comment (à moins qu’on ne le sache que trop), le tout cerné par un entassement d’usines, de commerces franchisés et de friches industrielles témoignant d’une parenthèse de relative et sélective prospérité refermée en à peine quatre décennies.
Après l’argent facile et rapide pour quelques-uns, il en faudra du social pour les autres ! Il en faudra tellement que la culture y contribuera comme elle pourra, quitte à frôler les pâquerettes !
Quant à cette maison du boulevard où j’ai vécu dans une ambiance qui n’existe plus, je dois apprendre à ne plus avoir les jambes qui se dérobent et à ne plus perdre mon souffle chaque fois que je passe à proximité. Il me faudrait aussi me conditionner pour ne plus rêver que je la rachète dans le seul but de la raser au bulldozer et d’en remplacer l’espace par une vaste pelouse au milieu de laquelle je planterais un tilleul déjà suffisamment développé pour qu’il devienne vite aussi grand que l’ancien, celui qui a été tronçonné.
Peut-être devrais-je avoir recours à l’hypnose pour me délivrer de ces tourments. À bientôt cinquante-cinq ans, il serait temps, mais la vie humaine est une fabrique de fantômes dont les plus anciens ne sont pas forcément les plus redoutables...
01:02 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, iris, fantômes, fantôme, journal, note, prairie journal, écriture de soi, fleurs, pivoines, lilas, vieux quartiers, boulevard dupuy, oyonnax, ain, rhône-alpes, france, bourgade, ville industrielle, social, culture, culture au ras des pâquerettes, bagnole, moteurs débridés, bruit, grosses cylindrées, blog littéraire de christian cottet-emard, hypnose, souvenir, friches industrielles, commerces franchisés, ambiance
08 novembre 2012
Le bruit et ma fureur
Ici on apprend qu’une coquette subvention a été accordée par de très officielles instances à un festival de « musique amplifiée » en pleine nature (espérons que le chant des oiseaux et la brise dans les feuillages ne viendra pas déranger les « musiciens »).
Là on s’étonne que les décibels d’une « rave party » aient pu faire entrer en vibration trois vallons de petite montagne sans qu’un képi apparaisse à l’horizon sous prétexte que le propriétaire des champs concernés a donné son autorisation.
Aux journal télévisé, un présentateur qui, faut-il le rappeler, est détenteur d’une carte de presse, nous aboie sa séquence nostalgie sur le thème de la vieille Alpine Renault dont le constructeur sort une version actualisée mais qui — réjouissons-nous — conservera le charme désuet du « son d’enfer » d’origine.
Sur une autre chaîne, son clone nous explique doctement que le fabricant du fameux outil de lavage à haute pression dont un ancien président de la République préconisait l’usage dans les banlieues étudie des modèles encore plus bruyants attestant de « l’image de marque virile du produit » . Je suppose que l'image de marque virile est celle du dynamique retraité à casquette et salopette si désespéré de se retrouver en liberté face à lui-même qu’il en est réduit à se sentir utile en décapant ses nains de jardin chaque fois qu’un matou leur pisse dessus (rien que pour cela, j’aimerais me réincarner en chat).
Sur un chantier, trois types maniant des outils bruyants ne jugent pas utile de protéger leurs oreilles au moyen du casque prévu à cet effet car cela les empêcherait sans doute d’entendre le volume poussé à fond de Radio Nostalgie s’échappant de leur camionnette aux portes grandes ouvertes.
L’autre jour en ville, contrôle de police pour un pépé en Ami 6. Le pot d’échappement de l’Ami 6 pétouille un peu en quatrième à trente à l’heure mais vraiment pas de quoi faire vibrer les vitrines et couper court à toutes les conversations ainsi que cela vient de se produire au passage d’une Harley. Elle avait bien raison Brigitte Bardot de chanter « Moi je ne crains plus personne (même pas la police, ajouterais-je) en Harley Davidson » !
Ce matin, je me lève tôt et je décide de prendre le petit déjeuner en compagnie de France Musique... Pour écouter de la musique pardi ! Louis XIV le faisait bien, pourquoi pas moi ? 7h : zut, les infos. 7h30 : zut, le rappel des titres (au cas où on aurait oublié que c’est si passionnant et varié l’économie). 7h40 : zut, la revue de presse (au cas où on aurait l’outrecuidance de ne pas lire les journaux). 8h : zut, encore les infos (TVA, pouvoir d’achat, compétitivité de nos entreprises. Nos entreprises ? Ah bon. Une chose est sûre, sur France Musique, l'info ne change pas de disque). Coincée entre le vacarme du monde, la musique ! La musique sur France Musique c’est comme la pomme et la betterave dans le tord-boyaux des Tontons flingueurs : « y en a. »
Photo : puisqu'on vous le dit, ne vous gênez pas !
11:50 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bruit, boucan, vacarme, radio, information, musique, rave party, musique amplifiée, subvention, alpine renault, nettoyeur haute pression, bagnole, voiture, automobile, auto, nain de jardin, casquette, bleu de travail, retraité, salopette, chat, police, ami 6, harley davidson, brigitte bardot, blog cottet-emard, fureur, france musique, tontons flingueurs, pomme, betterave
20 septembre 2009
Techno parade
Cette nuit, bribes du journal télévisé : une voix commente avec satisfaction la techno parade « qui transforme tout un quartier de la capitale en boîte de nuit » . Et un crétin microtrottoirisé de témoigner avec un large sourire : « ils envoient du gros son, c'est bien... » . En fermant les volets, je pense aux malheureux riverains et j'écoute la pluie dans les frênes. Je suis un homme heureux.
01:30 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bruit, nuisance, pollution, environnement