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17 février 2020

Brefs délires

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Participer à un salon du livre me donne envie de m’ennuyer à une fête où personne ne sait qui a invité qui et qui a payé le champagne.

 

Les chiffres et les statistiques sont les meilleurs outils de la raison au service de l’absurde.

 

N’importe quel bon notaire de province fait plus de social qu’un ministre de la République.

 

Il n’existe que deux préceptes pour garantir le vivre-ensemble entre les pays du monde. Un : ne me fais pas ce que tu ne voudrais pas que je te fasse, fait office de morale. Deux : le premier à tirer est le second à mourir, relève de la dissuasion.

 

Avec le travail, on est sûr de souffrir, soit parce qu’on n’en a pas, soit parce qu’on en a un.

 

Ce n’est pas parce qu'on a mal aux pieds qu'on peut marcher sur la tête.

 

Ce n'est pas la première fois qu'un poète me fait penser à une poule enfermée dans l'œuf qu'elle a pondu.

 

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2019

 

08 avril 2017

De la sociologie de vestiaire

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J’ai lu attentivement ce bref reportage qui prétend donner une sorte d’instantané de la ville en cette période de campagne électorale. Oh, je n’ai guère de mérite. L’argument est si rudimentaire qu’on ne risque pas la surchauffe des neurones et la fusion de la matière grise.

La population d’Oyonnax, comme dans l’univers des Shadoks et des Gibis, vivrait sur deux planètes proches mais radicalement étrangères. D’un côté le rugby, de l’autre le foot. (Pour moi, cela ne fait que des gens qui courent après une baballe mais bon, il paraît que non.)

Premier constat : parmi les différents thèmes abordés et esquissés à gros traits (passé et présent industriels, déclin, urbanisme, quartiers populaires, politique, délinquance, immigration, action municipale), pas un mot et pas un dessin à propos de la culture. À croire que les cultureux à Oyonnax sont des martiens.

Certes, la médiocrité des saisons culturelles qui se succèdent ces dernières années au centre Aragon (ainsi que beaucoup d’animations relevant plus de l’action sociale que de la culture de création, sans parler du retentissant fiasco de l'affaire Insa Sané) n’encouragent-elles pas à développer cet aspect de la vie de la ville.

Deuxième constat : le chantage et les menaces d’une brochette de petites frappes qui jouent les caïds de quartiers occupent complaisamment un large extrait du reportage qui ne vient pas de Mediapart pour rien. On est soulagé d’apprendre de la bouche du maire « qu’ils ne sont pas des mauvais garçons » ! Qu’est-ce que ce serait s’ils l’étaient ! J’imagine que les gens qui ont vu brûler leurs voitures en juillet dernier parce que des bandes de délinquants avaient des vapeurs apprécient beaucoup cette mansuétude.

Troisième constat (le principal) : n’est-il pas un peu court et condescendant de réduire l’évocation d’une ville ouvrière et de ses habitants à une opposition rugby / foot, sachant quand même que sur vingt-deux mille habitants, tous ne s’intéressent pas à ces enfantillages. Par exemple, moi, le ballon, je m’en bat l’œil pour parler poliment, et je suis sûr que je ne suis pas le seul.

À la lecture de ce reportage dessiné, je me demande ce qui a bien pu exciter la curiosité d’Arte et de Mediapart pour une bourgade qui, comme beaucoup d’autres, a perdu depuis longtemps son identité et cherche désespérément à s’en bricoler une, artificielle, avec le ballon et d’autres gesticulations de ce genre.

Est-ce pour faire oublier que le passé prestigieux de l’ornement de coiffure et de la lunette est révolu et qu’Oyonnax est toujours embourbée dans la nostalgie mortifère des Trente Glorieuses ? Sans doute, car le sport est l’opium du peuple.

Pour ma part, je suis content d’avoir quitté Oyonnax où j’ai vécu de ma naissance en 1959 jusqu’en 2009 et où j’ai travaillé comme rédacteur dans l’agence du quotidien local.

En huit ans de journalisme encarté (nous étions deux professionnels dans cette agence), je me réjouis encore aujourd’hui de n’avoir jamais mis les pieds au stade, jamais couvert un match de ballon ou quelque autre manifestation sportive.

Alors, la fracture sociale oyonnaxienne vue du stade, franchement... Nous avions déjà la psychologie de bazar et la philosophie de comptoir. Voici la sociologie de vestiaire.

 

 Image prise ici.

 

21 juin 2014

Lettre aux otages

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Mais je ne veux surtout pas vous faire la morale. Je serais mal placé pour le faire car moi aussi, comme vous, j’emploie parfois de manière impropre le mot otage, par exemple lorsque le Tour de France, comme cela se produit pour la deuxième fois dans ma commune, m’interdit de sortir de chez moi pendant une journée. Cet événement qui, vous l’aurez deviné, n’en est pas un pour moi, perturbe mes habitudes et ma liberté de circuler. Il arrive fréquemment que d’autres courses cyclistes locales confisquent quelques temps l’espace public et produisent les mêmes effets déplaisants sur ma liberté de me déplacer. J’en conçois à chaque fois une violente colère au point de me sentir pris en otage tout en sachant très bien qu’il n’en est rien pour la simple et bonne raison que je n’ai pas le canon d’une arme à feu sur la tempe avec je ne sais quel drapeau déployé derrière moi. Il serait sans doute intéressant de demander à celles et ceux à qui c’est arrivé leur avis sur ce glissement sémantique permettant désormais au mot otage de désigner des personnes aux habitudes et aux déplacements contrariés par un mouvement de grève, fût-il « impopulaire » ou « corporatiste » ainsi qu’on qualifie aujourd’hui systématiquement cette forme d’action sociale qui, doit-on hélas encore le répéter, n’est confortable ni pour les usagers ni pour les grévistes.

Il est désespérant et inquiétant de devoir rappeler de si solides évidences mais il y a une raison à cette entreprise d’effacement de la mémoire et de perversion de la langue française orchestrée par des gens qui ne sont pas vos amis, contrairement à ce qu’ils prétendent toujours avec emphase au nom du Peuple, de la Démocratie, de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité. Ces gens qui sont donc vos ennemis (n’ayons pas peur des mots même s’il n’est pas agréable d’avoir des ennemis) n’ont aucun souci égalitaire ou fraternel. Quant à la seule liberté à laquelle ils aspirent c’est celle d’entreprendre avec la condition expresse que le peuple, tout le peuple, vous et moi, y travaille avec eux mais surtout pour eux au plus bas prix possible. Cela, vous le savez bien. N’y aurait-il pas ici matière à vous sentir otages ? Non, vous ne le pensez pas, et là encore, il y a une raison pour que vous vous refusiez de le penser.

C’est que vous vous croyez du bon côté, du côté de celles et ceux qui ont encore un emploi, qui bouclent encore les fins de mois même si c’est de plus en plus dur, du côté de celles et ceux qui achètent encore des voitures (certes pas bien grosses et souvent d’occasion), du côté de celles et ceux qui ont encore un petit ou moyen grade, un petit ou moyen indice, une petite ou moyenne responsabilité et même une petite ou moyenne entreprise. Vous vous croyez donc suffisamment du bon côté, du côté de celles et ceux qui sont encore dans la course (et non pas, du moins pas encore, du mauvais côté, du côté où tant d’autres tombent chaque jour en silence et pourtant sous vos yeux comme sur un champ de bataille où l’on finit par ne plus voir qu’une chose : « je n’ai pas encore été touché, je suis encore debout, je vais y arriver, tant pis pour les autres, pour ceux qui flanchent, c’est de leur faute, ils n’avaient qu’à être meilleurs, plus forts, plus rapides, plus performants, plus motivés, plus disponibles, plus, plus, plus...). Eh bien ce n’est pas cela « être du bon côté » . C’est ce que vous vivez et à quoi vous vous adaptez en finissant même par vous persuader vous-mêmes que cela vous plaît, que cela vous épanouit, que cela vous stimule et peut même vous enrichir, mais non, vous vous trompez, vos ennemis vous trompent avec beaucoup de finesse en vous faisant croire, du haut de leurs tours d’acier et de verre, au fond de leur fauteuils moelleux, que vous êtes avec eux du bon côté, du côté des gagnants, même si c’est aux étages inférieurs et que même à votre petit niveau vous partagez les mêmes buts, comme dans une équipe sportive, tous unis et solidaires dans un noble challenge ! Foutaise ! Baratin ! Arnaque! Propagande ! Vous n’êtes pas idiots, vous savez bien au fond de votre âme qu’il n’en est rien, que c’est une illusion, un leurre, un mirage, mais vous voulez encore y croire car sinon vous craignez de ne plus vous aimer en vous regardant dans le miroir.

Pourtant, désolé de vous le répéter, vous n’êtes pas du bon côté. Je vais vous dire qui est du bon côté : celles et ceux qui peuvent solder du jour au lendemain leurs comptes en banque en dollars et partir très vite et très loin si tout va décidément trop mal. Ce n’est pas votre cas ? Alors, vous n’êtes pas du bon côté, et là, pour le coup, oui, d’une certaine manière, vous pouvez vous considérer à juste titre comme des otages.

S’il vous plaît, ne vous trompez pas d’ennemi. L’ennemi, votre véritable ennemi, c’est aussi l’ennemi des mots, celui, sans visage et pourtant bien réel, bien vivant, bien incarné, qui truque le sens des mots et qui s’ingénie avec beaucoup d’adresse à les faire glisser de leur sens propre à leur sens figuré. Exemple du mot « otage » employé au sens propre : « Les terroristes prennent les gens en otages » . Exemple du mot otage employé au sens figuré : « Les grévistes prennent les usagers en otages. » C’est efficace et facile à faire mais un peu de bons sens et un petit temps de réflexion suffisent à éventer ce vilain tour de passe-passe. On ne peut être otage que de quelque chose d’hostile, d’illégal, pas d’une grève qui est une action pacifique et légale. Une grève peut certes vous embêter et vous stresser dans vos déplacements déjà pas faciles et dans vos vies compliquées et fatigantes, nul ne le conteste.

Vous vous doutez bien que vos ennemis ont tout intérêt à ce qu’il existe des grèves qui n’embêtent pas grand monde, des manifestations « bon enfant » , des cortèges « qui se dispersent dans l’ordre » ainsi que l’écrivent les journalistes, si l’on peut appeler cela écrire. Mais quand ce n’est pas le cas, lorsque les grèves ne sont pas « bon enfant » c’est-à-dire quand elles dérangent, vos ennemis ont intérêt à s’arranger pour introduire les mots du terrorisme comme le mot otage dans la langue pacifique de la grève.

C’est alors un jeu d’enfant d’installer dans ce qui reste de « temps de cerveau disponible » l’idée que la grève est une forme de terrorisme puisqu’elle « prend les gens en otages » ! Vous souffrez dans vos boulots, vous galérez dans les transports, vous voulez vite rentrer chez vous. Ce n’est pas la grève qui vous inflige ces tourments, ce sont ceux qui œuvrent en haut lieu en permanence à son déclenchement et non pas les grévistes !

Ne vous trompez pas d’ennemi car vous pourriez le regretter ainsi que l’Histoire du vingtième siècle l’a déjà prouvé, notamment lorsque, sous prétexte de crise financière, le droit de grève a disparu pour laisser place, dans un pays qui vous est sans cesse cité en exemple aujourd’hui, au droit des grandes entreprises industrielles de guerre d’employer des esclaves en toute légalité. Le vent ou plutôt la tempête de l’Histoire est certes passé, on dit que l’Histoire ne se répète pas mais ont sait aussi qu’elle bégaye parfois. Que feraient aujourd’hui les entreprises géantes si,  comme par le passé, on leur donnait légalement le droit d’interdire toute grève et d’employer des esclaves ? J’ai ma petite idée sur la réponse. À vous de réfléchir à la vôtre lorsqu’une grève vous met en colère, ce qui est bien compréhensible mais ne doit pas pour autant vous faire oublier que vos ennemis, les vrais preneurs d’otages, veillent toujours.

Je parlais tout à l’heure des ennemis des mots, des falsificateurs de la langue, car c’est toujours par là qu’ils commencent, par le truquage puis par la confiscation de la parole. Alors oui, dites-le, la grève vous emmerde ! Mais ne dites pas qu’elle vous prend en otage car ainsi, vous faites le jeu de vos ennemis et, plus grave encore, de ceux de vos enfants.

Christian Cottet-Emard 

 

P S : au début des années 80 du vingtième siècle, alors que se mettait en place le vaste mouvement de régression sociale qui continue de monter en puissance aujourd’hui,  je me souviens d’avoir regardé une émission politique à la télévision où l’invitée était Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière. Je ne suis pas encarté dans ce parti ni dans aucun autre, je ne suis pas un militant, je ne suis pas un ouvrier ni même un travailleur au sens où la société l’entend, mais j’ai toujours en mémoire ce qu’Arlette Laguiller a répondu à des petits jeunes (un peu plus jeune que moi à l’époque — j’avais une vingtaine d’années) qui la taquinaient sur son ton solennel (le fameux « travailleurs, travailleuses » !) en se permettant même de lui déclarer qu’ils trouvaient son discours « un peu dépassé » en cette fin du vingtième siècle où les syndicats commençaient à se laisser enfermer dans le piège du « partenariat » alors que leur rôle est d’agir en contre-pouvoir, de manière musclée s’il le faut, pour entretenir le seul équilibre qui fonctionne dans l’organisation sociale : le rapport de force. Elle avait répondu calmement à ces jeunes naïfs qu’ils étaient bien mal barrés s’ils se berçaient de l’illusion d’une société capable de s’organiser autrement et qu’elle était prête à en reparler avec eux dix ou vingt ans plus tard... Au moins sur ce plan-là, la suite lui a hélas donné raison, sans doute au-delà de ce qu’elle voyait venir.