31 mai 2011
Carnet du chant de la nuit
Soir de grand vent doux. À plus de minuit, la haie de frêne et d’érable devant ma fenêtre ouverte se balance dans l’air chargé de senteurs d’orage réveillées par quelques gouttes.
Cette brève averse n’a même pas interrompu les stridulations des grillons. Les feuilles ragaillardies par cette fraîcheur nocturne luisent et dansent dans ce souffle musical. Ma première perception du monde est musicale. Tout ce que j’entends des bruits de la nature me parvient comme une musique. Lorsque que me viennent un poème, une nouvelle ou un fragment de roman, cela se présente toujours d’abord sous la forme d’une musique que je suis le seul à entendre mais que je suis évidemment incapable de transcrire sur une partition. Chanceux Gustav Mahler d’avoir pu écrire les deux épisodes nocturnes de sa septième symphonie intitulée Chant de la nuit ! Moi, j’ai quelques mots. On fera avec...
Photo : moment de lune dans ma haie de frênes
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20 mai 2011
Carnet des pivoines
Ces nuits, un vent doux fait onduler les frênes et encourage les pivoines à s’ouvrir.
Toujours du suspens avec les pivoines. Elles se méfient de la lune rousse, des Saints de glace et des ruses du vieil hiver épuisé en gardant leurs boutons hermétiquement clos jusqu’à la véritable installation des beaux jours. Elles risquent alors un pétale, pas un de plus, qui va rester ainsi déplié tout seul en éclaireur, parfois pendant plusieurs jours, puis se décident à s’épanouir, je dirais plutôt à se défroisser, lorsque le second printemps prend des airs d’été.
Le vent tiède de ces nuits de mai a convaincu les pivoines de se lancer dans l’aventure. Le pétale éclaireur se confond avec les autres et l’ensemble se déploie très vite comme une boule de papier crépon.
Les pivoines dont je parle sont celles qui m’ont accompagné pendant mon enfance. Une variété ancienne. Larges, blanches avec un liséré rouge en leur cœur au parfum sans pareil, elles sont toutes issues du même plan qui a prospéré au moins depuis les années 1950 dans le jardin de la maison construite par mon aïeul au début du vingtième siècle. La vente de cette propriété a été un tel crève-cœur pour moi que j’ai emporté des rhizomes du grand massif dans ma propre maison, achetée en 1992, où les pivoines se sont parfaitement acclimatées. J’ai renouvelé l’opération lorsque j’ai vendu ma maison de ville pour acquérir, à la campagne, la propriété de famille où je vis désormais depuis plus de deux ans, le temps qu’il a fallu cette fois aux pivoines pour reformer un début de massif à une altitude supérieure et sous un climat plus rude.
Mes belles parfumées en sont à leur troisième déménagement. Je les contemple longuement car une fois fleuries, leur vie est courte. Les fleurs sont en effet si lourdes qu’elles fragilisent les tiges. Un coup de vent impétueux, un pluie trop lourde, un orage, et voilà les pivoines en déroute. Pour l’instant, la météo leur est favorable et je vais pouvoir entendre auprès d’elles les vieilles histoires qu’elles me racontaient déjà dans le jardin lorsque j’étais en culottes courtes. Elles vont aussi me parler de mes chers défunts comme elles seules peuvent le faire.
J’aime les pivoines pour leurs paradoxes. Vivaces et fragiles, rustiques et sophistiquées, résistantes et inadaptées, capricieuses et vaillantes. Finalement, j’ai toujours vécu avec elles malgré mes déménagements Dieu merci peu nombreux et peu lointains. Je mesure en ces nuits de douce brise ma chance de pouvoir vivre encore auprès d’elles, sous les grands frênes, dans un vaste espace de verdure et dans des heures lentes, le seul luxe qui compte pour moi.
01 mars 2011
Carnet des anémones trop pressées
Addendum du 15 février 2014 : à presque trois ans près, mêmes activités quotidiennes et même ambiance dans la maison, ce qui est plutôt rassurant malgré les chagrins de fin 2013 et de début 2014. Petite différence, pas encore d'anémones pulsatilles trop pressées...
Saison hésitante. Dans la colline, trois anémones leurrées par quelques nuits trop douces. En ces jours indécis, leur duvet ne sera pas d’un long secours à leur robe violette et à leur petit cœur jaune. Convois de nuages autour de la maison. Entre deux éclaircies nocturnes, le brouillard givre dans les frênes. Les feuilles mortes encore accrochées crépitent dans le silence du vallon. Les bourgeons prêts depuis longtemps luisent. Rien ne les atteint, surtout pas ces neiges lourdes qui désolent les chats en plein tourment de leurs pénibles amours. Les trois brouettes de petit bois ramassé le long du muret, dans les haies et sous les grands frênes au fond du verger sont vides. Il me faudra les remplir aux premiers jour secs si je veux encore m’enchanter de l’éclosion en étincelles des bourgeons de frêne morts qui ont gardé leur couleur violet foncé. Lorsque j’allume le feu avec ces ramures, je respire quelques volutes piégées dans le salon, avide du parfum complexe de ces bourgeons brûlés.
Ces derniers jours, écoute intensive des disques venus d’Angleterre et des États-Unis : des œuvres de William Alwyn (1905-1985), son premier concerto pour piano (1930), son second (1960), sa Sonata alla toccata (1947), deux symphonies (la première et la troisième), et plusieurs compositions vocales, notamment Mirages pour baryton et piano (1970) sur des poèmes écrits par le compositeur, et Seascapes pour soprano, flûte à bec et piano (1980) sur des poèmes de Michael Armstrong.
Photo 1 : de ma fenêtre, nuitamment.
Photo 2 : le compositeur britannique William Alwyn (1905-1985).
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