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15 novembre 2014

Carnet / De la veille et des rêves errants

Autant de mal à me lever qu’à me coucher ce vendredi. Et sous mes yeux qui picotent, le fantôme complice de Pessoa : « Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer ! » Et plus loin dans son poème : « Grande joie de n’avoir pas besoin d’être joyeux... » Et encore : « Sommeille, âme, sommeille ! Profite, sommeille ! »

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Il est 2h30 et la pluie bat contre les vitres. Ambiance parfaite pour écouter une fois de plus le sombre et majestueux concerto pour piano du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958)

Le soir, j’écris dans mon bureau mais cette nuit, je me suis installé sur la table de la salle à manger. Quand j’étais enfant, cette table art nouveau composée d’un grand plateau épais soutenu par un socle en arche inversée était celle de mes grands-parents. Tous les enfants et petits-enfants de la famille se sont nichés dessous, y compris moi bien sûr qui l’utilisais comme une cabane. Elle continue  désormais sa carrière au centre de ma maison posée au milieu des intempéries jurassiennes. 

Derrière la fenêtre, dehors, je vois s’agiter les branches nues et luisantes des frênes sous l’assaut des bourrasques et des trombes d’eau. Le halo du dernier lampadaire du village suffit à révéler le jaune des feuillages d’érables moins prompts que les frênes à se dépouiller. Impossible de sortir fumer un cigare avec ce qui tombe du ciel.

Je devrais m’inspirer de la chatte Linette qui dort sur le coussin de son fauteuil en rotin. Elle rêve. Moi aussi, bien que je sois éveillé. C’est là tout le problème, ces rêves têtus qui errent comme des fêtards aux cravates de travers, pas décidés à se résoudre à rentrer chez eux, dans la maison du sommeil.

Photo © Marie-Christine Caredda, 2014 (chambre de Fernando Pessoa, Lisbonne)

18 octobre 2014

Carnet / Du voyage

Les clochettes des vaches tintent dans la nuit derrière la fenêtre de mon bureau. Ce soir, j’ai encore manqué l’occasion de me coucher un peu plus tôt. Je suis comme les enfants, je n’arrive pas à me résoudre à aller au lit. Je suis tourmenté par des envies de sucre et de tabac. Si je cède à la tentation d’une friandise sucrée, je sais que j’enchaînerai avec un cigare. J’en ai fumé plusieurs dans la journée, il ne faut pas exagérer...

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C’est en veillant que je pense le plus au voyage. Je suis pourtant très casanier. Je ne voyage pas pour découvrir d’autres cultures, j’ai déjà encore assez à apprendre de la mienne, la culture occidentale. En voyage, je ne cherche pas spécialement le contact avec les gens du pays que je visite, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier la gentillesse et la courtoisie qu’on trouve beaucoup plus à l’étranger qu’en France.

À l’étranger, j’aime loger dans des hôtels confortables et anonymes avec des petits déjeuners copieux et standards. Mes pays de prédilection sont l’Italie et le Portugal. Je connais bien la Belgique où j'ai de la famille et où je passais mes vacances d'été lorsque j'étais enfant. La première fois que j'ai vu la mer, c'était la mer du Nord (Ostende, Coxyde, Knokke-Le Zoute).

Ces deux dernières années, j’ai privilégié Lisbonne comme destination. Je ne peux voyager que dans des contrées et des villes où je me sens en sécurité, ce qui exclut un ou deux continents et un grand nombre de pays où je n’ai aucune intention de mettre les pieds de toute ma vie. Les vrais voyageurs à l’esprit aventureux et las de l’Occident me considèrent comme un rigolo, un touriste. C’est précisément ce que je suis et je n’en éprouve aucune honte.

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Pour moi, le voyage, c’est me retrouver à dix heures du matin à Lisbonne en train de fumer un cigare et de boire un café au soleil pendant que les gens de mon Jura entendent crépiter la toile de leur parapluie sous l’averse. Dix heures du matin dans une grande ville étrangère, de préférence du sud de l’Europe, est pour moi le temps du voyage, son heure magique, le moment où je me retrouve moi-même, où je ne suis plus en pilote automatique, où je bénéficie d’une sorte d’immunité diplomatique, où rien d’autre ne me concerne que la disponibilité à l’air du temps, où en tant qu’étranger je ne suis responsable de rien, hors de l’Histoire, essentiellement occupé à des futilités, à flâner, à voir, à rêver éveillé, à m’intéresser à ce qui n’intéresse personne, à faire de menus achats, à photographier un tramway à Lisbonne et un vaporetto à Venise.

Ce que je sais dans ces moments légers, c’est qu’au retour, une fois chez moi en attente dans la nuit de ma campagne jurassienne comme à un arrêt ou à une station fantômes, ce tramway et ce vaporetto reviendront me chercher à ma porte, comme s’ils surgissaient en lisière des forêts d’épicéas où, derrière ma fenêtre, tintent les clochettes des troupeaux.

Photos : Lisbonne, tramway dans le soir humide. Venise, vaporetto sous le pont Rialto. (Photos © Christian Cottet-Emard) 

17 octobre 2014

Carnet / De celui qui ne demandait pas la lune

Debout très tôt hier jeudi matin alors qu’il fait encore nuit. Bonne surprise, c’est la grève sur France Musique. Donc, pas d’informations, pas de revue de presse, pas d’interviews téléphoniques d’organisateurs de spectacles, en un mot, pas de baratin, juste de la musique ! Vive la grève !

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J’allume le Mac en pensant que voici quelques années, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse être un de mes premiers gestes de la journée. Avant, pendant que le café montait dans ma petite cafetière italienne, j’ouvrais un carnet et notais ce qui pouvait rester de mes pensées conçues lors de réveils subits ou de phases d’insomnies plus ou moins longues.

Depuis longtemps désormais, bien que j'utilise toujours les carnets dans de nombreuses circonstances, j’écris souvent directement ces notes au clavier de l’ordinateur, je les « saisis », le mot est très juste. Il ne s’agit pas de rêves. Mes rêves nocturnes ne m’intéressent pas car je sens bien qu’ils ne sont que le résultat de l’activité de rangement et de classement du cerveau qui semble se comporter comme un ordinateur opérant des remises à jour, du rangement dans le grand fatras des sollicitations, émotions et perceptions de la journée

Ce désintérêt pour mes rêves nocturnes navre un peu une personne de ma connaissance avec qui nous abordons parfois le sujet. Elle pense que les rêves ont quelque chose à nous dire et que savoir les interpréter peut aider dans la vie de tous les jours. 

Tout d’abord, en raison de mes rythmes biologiques perturbés, je ne me souviens presque plus de mes rêves. Il se peut que je manque une phase de sommeil en me couchant très tard, le plus souvent après avoir écrit, lu ou écouté de la musique. Si je me lève très tôt après m’être couché très tard, je n’ai même pas le sentiment d’avoir rêvé, juste l’impression de n’avoir dormi que d’un œil. Si je fais la grasse matinée, je rêve et je m’en souviens. Le matériau est le plus souvent très pauvre. Il s’agit de rêves laborieux au cours desquels je revis sans cesse, à quelques variantes près, les épisodes les plus désagréables de ma vie, essentiellement des situations d’échec à l’école et au travail. 

En dehors de la perte des proches, les expériences les plus pénibles de ma vie furent l’école et le travail. Parfois, les rêves ressassant ces corvées prennent un tour comique, tel celui où l’un de mes professeurs de lycée s’adresse à moi d’une voix solennelle pour m’expliquer que je viens d’atteindre ma trentième année et que l’établissement ne pourra  de ce fait plus envisager pour moi un nouveau redoublement !

La variante professionnelle de ce rêve se passe à l’agence du quotidien où j’ai encore honte aujourd’hui d’avoir exercé l’activité de rédacteur pendant presque dix ans. À cette époque, un chauffeur chargé de collecter photos et copie constituant la rubrique du lendemain se présentait en fin de matinée à l’agence où je devais lui remettre en main propre l’enveloppe contenant l’essentiel du contenu des pages locales à paraître. Le rêve récurrent datant de cette lamentable période me met en scène quelques minutes avant l’arrivée du chauffeur alors que je n’ai absolument rien trouvé pour alimenter mes pages, pas une ligne, pas une photo ! 

Pas besoin d’une fine et savante interprétation pour comprendre la signification de ces rêves ! Par leur récurrence, ils expriment la colère qui me brûle à l’idée de toutes ces années de vie perdues dans des enseignements et des activités qui m’ont été pour la plupart complètement inutiles alors que je savais déjà depuis la fin de l’enfance à quoi je me destinais: écrire des histoires et assister en paix au spectacle de la vie immédiate. Autrement dit, je ne demandais pas la lune !

 

Illustration : dessin de Frédéric Guénot pour la publication en feuilleton dans la revue Salmigondis de mon livre le Grand variable (éditions Éditinter, épuisé).