10 février 2019
Carnet d'atelier / Petite cuisine du bon gros roman
Dans l’écriture de fiction, notamment dans le roman, le diable est dans les détails. Plus l’histoire que vous racontez est abracadabrante, plus les détails doivent être soignés. L’enjeu n’est pas la vraisemblance mais l’arrimage de la narration au peu de réalisme qui reste. Le soin des détails ne réside pas forcément dans une description minutieuse, souvent longue et fastidieuse (il saisit la tasse de café entre le pouce, l’index et le majeur, la porta à sa bouche, but la moitié du contenu et reposa la tasse sur la soucoupe). À moins d’avoir une bonne raison de décrire le cheminement de la tasse de café jusqu’à la bouche et son retour sur la soucoupe, autant se passer de cette séquence.
Il en va de même dans la description d’un personnage. Plutôt que de chercher à imposer au lecteur un portrait développé sur dix ou quinze lignes, mieux vaut se contenter de mentionner un détail de sa tenue parce qu’il est fréquent que le lecteur, consciemment ou non, donne lui-même au personnage un aspect voire un visage connu de lui.
Si vous voulez décrire une jeune fille mince, vous allez tout de suite être confronté à quelques petits problèmes qui risquent de vous couper dans votre élan si vous n’avez pas pris au préalable un peu de recul. Qu’est-ce qu’une jeune fille du point de vue du narrateur ? Cela dépendra en partie de l’âge du narrateur, qu’il soit l’auteur ou un personnage. (Que ce narrateur soit omniscient ou non pourra aussi revêtir une certaine importance dans la définition d’une jeune fille). Si le narrateur est très jeune, il ne décrira pas la même jeune fille qu’un narrateur plus âgé. Un narrateur qui, comme moi, s’approche dangereusement de la soixantaine en ce début de vingt-et-unième siècle court le risque de décrire une jeune femme plutôt qu’une jeune fille car il verra encore une jeune fille dans une femme de vingt ans. Le même narrateur bientôt sexagénaire aura tendance à qualifier de jeune femme une femme de quarante ans (pardon de m’avancer en terrain miné !)
Revenons au projet de description de la jeune fille mince. On peut tout simplement l’affubler de cet adjectif mais on gagnera beaucoup plus à écrire qu’elle porte un manteau cintré, ce qui permettra de fournir au lecteur des informations sur sa silhouette (fine), son maintien (un peu strict), son style (plutôt élégant) son caractère (peut-être rigoureux) et par la même occasion une indication de la température ou de la saison.
Alors, toujours envie de continuer dans la petite cuisine du bon gros roman ?
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17 novembre 2014
Rendez-vous à Pré Nuble (extrait)
L’inscription Pré Nuble s’effaçait doucement sous l’action des intempéries. Nils décida d’en finir avec cette errance insensée dans cet endroit qui ne signifiait plus rien mais au moment de faire demi-tour, un fort vent se leva et agita violemment les grands frênes dont les feuillages ondulaient sur un fond de ciel violet traversé d’éclairs de plus en plus rapprochés. De crainte d’être pris sous l’orage, Nils chercha vainement du regard une grange ou quelque bâtisse où s’abriter. Le tonnerre claquait en même temps que les éclairs et Nils paniqua lorsqu’il sentit l’air vibrer autour de lui comme s’il était encerclé par une nuée d’abeilles. Il courut en direction d’un pré, le plus loin possible de tout arbre isolé, et s’accroupit en position fœtale dans les foins en se bouchant les oreilles. Pétrifié, il éprouva la certitude qu’une immense colère habitait ce lieu et qu’elle se déchaînait sur lui.
(Extrait de mon prochain recueil de nouvelles. Droits réservés. © CLJ pour cette version, décembre 2014).
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14 novembre 2014
Un vent tiède gonflait comme une voile le rideau translucide de la bibliothèque
Adossé au fauteuil assorti à son bureau massif, Andrade, seul dans la multitude des livres, s'abîmait dans la contemplation des jeux de l'air dans le tissu. Parfois, il allumait un cigare, juste pour le plaisir de prolonger ce spectacle grâce aux volutes qui s'étiraient mollement vers la fenêtre. La même pensée revint le visiter : s'il allait vivre jusqu'à quatre-vingts ans, il avait déjà parcouru un peu plus de la moitié du chemin. Mais bien sûr, rien ne permettait d'affirmer qu'il atteindrait une telle longévité, ce qui le conforta une fois de plus dans la certitude que ce qu'il avait désormais de mieux à faire ne consistait en rien d'autre qu'à se consacrer à l'observation de l'air.
(Extrait de mon prochain recueil de nouvelles. Droits réservés. © CLJ pour cette version, décembre 2014)
Peinture : Leon Wyczolkowski
00:19 Publié dans Mes personnages | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nouvelle, recueil, christian cottet-emard, édition, publication, dépôt légal, copyright, droits réservés, clj, andrade, personnage, manuscrit déposé le, notaire, blog littéraire de christian cottet-emard, extrait, preben mhorn, bibliothèque, isbn, dépôt, code, ean, marqueur