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06 avril 2022

Un bref extrait de mon roman CHARMES. (Une scène à Nantua, Ain)

Résumé et critique du roman à lire sur le blog de Jean-Jacques Nuel :

« Le roman se constitue des récits croisés des différents protagonistes, qui forment comme les pièces d'un puzzle. On se déplace à Lyon, Paris, Barcelone, Venise et Lisbonne, on prend quelques détours par Oyonnax et Nantua. L'action progresse vers une fin surprenante. »

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Reprise du journal de Charles Dautray.

Dans les bourrasques glaciales, les vaguelettes du lac de Nantua luisaient comme des écailles d’acier sur une plaque de tôle. L’allée de platanes nus soulignait durement la courbe de l’esplanade, se cognait au ciel bas et butait contre le mur des nuées en direction de La Cluse. À l’opposé, seule l’enseigne mauve fluo du camion du vendeur de hot-dogs, de gaufres et de churros retenait le regard. Quelques silhouettes frileuses s’en approchaient. Un adolescent encapuchonné marchait la tête baissée sur son téléphone en direction du centre-ville. Il bifurqua sur la droite et moi sur la gauche. Je ralentis devant la vitrine de la maison de la presse, traversai la place d’Armes et entrai dans l’abbatiale Saint-Michel.

Après avoir introduit quelques pièces dans le tronc de la chapelle du Sacré-Cœur, je choisis un petit photophore bleu parmi les rouges, les verts et les jaunes et j’allumai la bougie avec le briquet jetable accroché au mur par un bout de ficelle. Je déposai le photophore au milieu des autres sur le candélabre en métal noir auquel la flamme paisible de chaque bougie donnait l’allure d’un buisson piqueté de petits fruits.

Bien qu’étant agnostique, je trouve un peu d’apaisement dans ce geste que j’accomplissais même à l’époque encore pas si ancienne de mes heures de gloire. Des sons légers que je connaissais bien rompirent le silence : le tour de clef dans la serrure de la porte ouvrant sur l’escalier en colimaçon qui permet d’accéder à la tribune de l’orgue, le cliquetis des interrupteurs, le froissement du papier des partitions, le profond soupir du soufflet, le claquement sourd des jeux qu’on tire, quelques notes hésitantes, des jeux qu’on tire à nouveau et la voix patinée, unique, de ce merveilleux instrument sur lequel je ne jouerai plus. C’était fini.

Cette époque qui avait quand même duré quelques trop brèves années s’était dissipée comme un songe même s’il en restait des preuves tangibles, mes disques. Comme je regrette de n’avoir pas pris le temps d’enregistrer un disque d’orgue... J’avais tout donné au piano, pour moi bien sûr, mais aussi parce que c’était la volonté de Marina. Et maintenant, Marina n’était plus là.

Depuis la fin de mes longs mois d’hospitalisation, j’allais mieux mais je me sentais encore plein d’amertume, de colère et d’incompréhension. J’étais encore loin d’avoir accompli le chemin sinueux dans ces brumes où mon seul repère était la flamme têtue d’une bougie dans l’ombre silencieuse d’une chapelle. Je me doutais bien que tout cela finirait un jour mais je ne voulais pas y penser. J’avais reçu un don, on me l’avait repris. D’autres ont reçu un don et ils l’ont gardé. Pourquoi eux et pas moi ? Ai-je perdu ce don parce qu’il ne m’était pas vraiment destiné ? Ai-je perdu Marina parce qu’elle ne m’était pas destinée ? Parce que je l’avais déçue ? Parce que je n’avais pas été à la hauteur ?

Je ne cesse de me poser ces questions même si je sais bien au fond de moi-même que Marina était dangereuse pour moi et peut-être pour tous ceux qui croisaient son chemin et prenaient le risque de s’attacher à elle. Peut-être n’y pouvait-elle rien, peut-être était-ce sa destinée. En amour, nous savons que nous allons souvent à la catastrophe mais nous y allons quand même.

Il y avait chez Marina une fêlure, ce qui, comme toutes les personnes blessées, la rendait périlleuse à fréquenter. L’assurance ou l’inconscience que nous prodigue le sentiment amoureux peut nous conduire à penser que nous allons devenir le baume de cette blessure alors qu’en réalité, nous ne ferons que rouvrir nos propres plaies. Le piège se referme alors avec notre consentement. Il n’y avait peut-être rien d’autre à comprendre.

Dans un de mes carnets, j’avais recopié une phrase du romancier Haruki Murakami, extraite de son roman La Ballade de l’impossible : Ce n’était pas mon bras qu’elle cherchait mais un bras. Ce n’était pas ma chaleur qu’elle cherchait mais une chaleur. J’étais gêné de n’être que moi. En ce qui concerne Marina, je pourrais ajouter : ce n’étaient pas mes mains qu’elle cherchait mais des mains. Moi aussi, j’étais gêné de n’être que moi.

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Les personnages que l'on rencontre dans ce roman  :

Charles Dautray, pianiste.
Aaron Jenkins, agent artistique, producteur.
Antoine Magnard, rédacteur. (Antoine-Marie Magnard Mongins de la Force).
Marina, jeune femme en colère.
Docteur Émilien Bouvardel.
Le Butler, agent immobilier.
Le curé.
Nelson Gahern, pianiste.
La prostituée-voyante extra-lucide.
L'agent de sécurité.
Le barman au nœud papillon de travers.
Nuno.
Reynald Osborne, pianiste décédé.
Constantin Machialys, pianiste décédé.
Oleg Vorodine, pianiste décédé.
Le notaire aux ongles peints.
Une passante de Lisbonne.
Le pianiste du café Florian à Venise.

 

Informations :

Éditions Orage-Lagune-Express

  • Broché ‏ : ‎ 218 pages
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8745269714
  • Poids de l'article ‏ : ‎ 299 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 12.85 x 1.4 x 19.84 cm

Commandes :

Amazon

 

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11 mars 2022

Carnet / Des temps troubles et du Voyage en Italie.

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« En ces temps troublés » , suis-je tenté d’écrire en introduction à cette page de carnet mais il me semble plus exact de corriger tout de suite : « En ces temps troubles » .
 
Qualifier l’époque de « troublée » peut laisser croire que le malaise ne vient que de l’extérieur, qu’il s’agisse des événements (pandémie, tension internationale) et de l’action de nos gouvernants, or c’est hélas en la société elle-même qu’est le malaise. Si l’on peut espérer en l’individu, rien ne change dans la collectivité dont les crises révèlent toujours crûment les mêmes réflexes, les mêmes comportements, les mêmes démissions, les mêmes faillites du jugement, les mêmes renoncements aux libertés, les mêmes instincts grégaires. C’est sur cette somme de négativité que s’appuient et prospèrent nos mauvais décideurs et c’est ainsi qu’est engagée aussi notre responsabilité. Si nous pensons de travers, nos gouvernants peuvent agir de travers. Nous leur signons un chèque en blanc. Si nous sommes médiocres, ils se croient et se croiront toujours permis de l’être encore plus.
 
En ces temps troubles, je perds beaucoup de temps à écrire sur la politique. Je n’y trouve pas grand plaisir (à part l’échauffement de l’écriture, comme si je faisais des gammes au piano) et cela ralentit mes projets dont je veux bien admettre qu’ils n’intéressent que moi et quelques lecteurs de hasard au gré de mes publications. Ce dernier constat ne me gène pas du moment que mes livres sortent et qu’on puisse se les procurer. Comme c’est le cas, je peux dire que je suis un plumitif heureux.
 
Malgré tout ce qui me distrait, au mauvais sens du terme, de mes activités littéraires habituelles, j’ai quand même réussi à livrer ma contribution au très attendu numéro de la revue Instinct nomade consacré à Jean Giono, à paraître bientôt. J’avais pourtant failli renoncer par manque de concentration mais le patron de la revue, mon ami et éditeur Bernard Deson, m’a mis suffisamment à l’aise sur le délais de bouclage. Contrairement à beaucoup, l’urgence de fournir la copie me fait perdre mes moyens, surtout quand l’enjeu financier est faible ou inexistant puisque je suis à la retraite. Quel bonheur ! Quand je pense aux électeurs de Macron, n’ont-ils donc pas d’enfants et de petits-enfants pour accepter l’idée qu’ils devront trimer jusqu’à soixante-cinq ans ou plus encore alors qu’eux-mêmes ont pris leur retraite beaucoup plus tôt et bon nombre d’entre eux à cinquante-cinq ans ?
 
Écrire sur Giono m’a permis de me remémorer l’époque où je le lisais avec fièvre. J’étais sous la menace du service militaire et je ne savais pas encore comment j’allais pouvoir m’y soustraire. J’eus cette chance peu de temps après avoir découvert ses Écrits pacifistes même s’il n’importait à mes yeux d’échapper à cette ineptie qu’était le service militaire qu’en raison de l’urgence vitale de ne pas être arraché à ma famille et à mon environnement et surtout à ne pas me retrouver prisonnier du piège mortel que constitue pour moi toute vie en collectivité. Pas d’idéal spécialement pacifiste, donc, dans cette optique de convenance personnelle même si je suis en accord parfait avec la pensée de Giono à ce sujet.
 
Après les Écrits pacifistes, j’ai continué de lire Giono en ses différentes périodes romanesques. Le style de ses romans m’intéressait beaucoup plus que ses histoires. J’ai beaucoup appris de son écriture. Bien plus tard, ayant enfin trouvé ma voie et ma voix propres, c’est-à-dire, tout simplement, ce que je crois être l’équilibre entre le fond et la forme, je suis tombé dans un vide-grenier près de chez moi sur un Folio défraîchi, Voyage en Italie. Debout au milieu du bric-à-brac, j’ai lu les deux premières phrases : Je ne suis pas un voyageur, c’est un fait. Pendant plus de cinquante ans, c’est à peine si j’ai bougé. Et plus loin : Est-il besoin de dire que je ne suis pas venu ici pour connaître l’Italie mais pour être heureux ? Voilà qui résume ma conception du voyage !
 
C’est le voyage en Italie de Giono qui m’a donné envie d’écrire les miens dans ce pays actuellement en pleine folie furieuse, encore pire qu’en France. Pour Giono, c’était l’Italie de l’année 1951 et pour moi l’Italie de 1979 à 2004. Je n’y retournerai que si le pays reprend ses esprits. Je suis si horrifié par les mesures soi-disant sanitaires qui y sévissent que j’ai mis ma passion de l’Italie entre parenthèses ainsi que la parution de mon carnet de voyage pourtant fin prêt à la publication. Temps troubles, temps troublés... 
 
 

06 janvier 2022

Carnet / La poésie et la littérature n’ont rien à voir avec une sortie entre copains.

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J’ai toujours aimé les voitures. Tout jeune, j’étais très pressé de passer mon permis de conduire. Cela peut étonner ceux qui me voient conduire ma modeste Toyota et choquer tous les écolos qui, Dieu sait pourquoi, ne me virent pas de leur liste de contact sur Facebook. Une précision pour ceux-là : j’aime aussi les armes à feu, seulement les armes de poing (pistolets et revolvers) que je n’ai hélas pas le droit de détenir, à l’inverse des autos.
 
Je ne possède qu’une voiture parce que je n’ai pas envie de gaspiller toutes mes économies et la retraite qui m’est désormais versée depuis le premier décembre de cette année mais sinon, j’aurais plusieurs garages remplis de véhicules pour chaque usage parce que j’habite une campagne volontiers neigeuse. D’ailleurs, une moto-neige ne me déplairait pas non plus, même si je n’aime pas la neige ou plutôt parce que je n’aime pas la neige.
 
Mon goût des voitures ne vient pas d’un intérêt pour la mécanique et ses performances. Ce sont les carrosseries qui me plaisent, surtout celles des voitures anciennes, notamment des années trente aux années soixante. Tout ce qu’il y a sous la carrosserie m’indiffère, exactement comme m’indiffère ma propre mécanique, ce que j’ai dans le corps. Comprendre comment fonctionne la mécanique automobile ou corporelle ne m’intéresse pas, tout ce que je demande, c’est que ça marche le plus longtemps possible.
 
La poésie et la littérature ont plus à voir avec les voitures qu’on ne le croirait. Dans le temps, lorsque j’allais parler de mes livres dans des librairies, des classes et des bibliothèques, il m’arrivait parfois de discuter avec des petits jeunes qui voulaient écrire. Quelques-uns sont même venus me voir chez moi, ce qui me mettait un peu mal à l’aise tant je me sentais ridicule dans le rôle du conseilleur surpris dans son quotidien le moins littéraire et qui, en plus, n’avait guère à conseiller : passe ton permis de conduire d’abord et si tu veux écrire, prends un carnet, un crayon et un ordinateur. Si tu t’aperçois alors que tu aimes encore plus écrire que conduire ta bagnole, alors vas-y franchement mais comme dans la conduite, ne t’occupe que d’une chose, la route, rien que la route (et le rétro, très important le rétro pour l’écrivain et le poète).
 
La poésie et la littérature sont des véhicules, chaque auteur a le sien que lui-seul peut conduire. Ne mets pas la radio en conduisant ; la route, rien que la route. Rien que ce que tu vois devant le pare-brise et dans le rétro. À la rigueur un coup d’œil dans la lunette arrière quand tu vois s’envoler des feuilles mortes à ton passage, ça peut faire un bout de poème ou de nouvelle ; ou le début d’un roman. Ne laisse pas perdre, ne gaspille pas trop, la vie peut se montrer avare à certains moments. Pourquoi n’écrirais-tu pas un poème, une nouvelle ou un roman qui s’appellerait La vie avare ? Trop tard, je vais l’écrire dès que tu auras tourné les talons et je déposerai le manuscrit chez mon notaire, à la Société des gens de lettres et partout où l’on pourra attester que c’est bien moi qui l’ai écrit, jusque devant un tribunal s’il le faut. Ça te fait rire ? Ne ris pas. Si tu n’es pas raisonnablement parano, laisse tomber l’écriture et la publication (et peut-être la conduite automobile où la conscience du danger est indispensable).
 
Je te vois venir. Tu vas monter dans d’autres véhicules parfois conduits par des potes, personne ne peut t’en empêcher. Je te le dis quand même, évite les potes (en plus, ta copine t’en sera reconnaissante), conduis en solo. La littérature et la poésie n’ont rien à voir avec une sortie entre copains. Si tu m’avais lu avant de venir me voir, tu te serais rappelé que j’ai écrit quelque chose comme ça dans mon livre que j’ai intitulé Aux grands jours (page 72). Tiens, cadeau. Je t’écris la dédicace au crayon de papier pour que tu puisses la gommer au cas où tu voudrais le revendre mais je te préviens, tu auras du mal à le fourguer parce que ce sont des poèmes et qu’il y a très peu de poèmes d’amour.
 
L’amour aussi est une voiture, avec beaucoup de chevaux sous le capot. Ça bondit et ça fonce tout droit comme une petite sportive ou une grosse berline mais ça n’a pas de volant et pas de conducteur, que des passagers, et ça finit dans le décor. Voilà, c’est l’heure. Content de t’avoir déçu, ça t’évitera de me copier, c’est pour ton bien parce qu’au fond, je trouve que tu as une bonne tête, un peu comme la mienne quand j’avais ton âge.
 
© Éditions Orage-Lagune-Express (extrait de mon livre Prairie Journal, tome 2)