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21 août 2019

Habiter

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Les habitants de cette oisive demeure ne cultivent plus leur jardin.

La campagne qui s’impatiente autour de la maison s’enhardit et maraude dans le potager rendu à sa paresse.

Les animaux domestiques ont délaissé depuis longtemps ce lieu à part un chat ou deux qui nous ressemblent quand nous dormons.

Les roses et les pivoines reprennent leur couleur d’aube.

Chaque jour de contemplation habitue notre pas à plus d’indolence.

Pour habiter la maison vide, il suffit de longer ses murs une ou deux fois, de temps à autres.

Dans le petit soleil, nous y croquons le pain du jour sous l’influence de l’enfant vagabond qui se souvient de nos cabanes du temps jadis.

Les nuits d’orage, il regagne les forêts du sommeil, comme une bête aux yeux tragiques.

Le passant qu’il redevient le lendemain prend le chemin le plus court alors que sa pensée emprunte le plus nécessaire.

Voilà pourquoi on rechigne à démolir cette vieille baraque.

 

Extrait de mon recueil L'inventaire des fétiches, © Éditions Orage-Lagune-Express, 1988.

Photo Christian Cottet-Emard

 

 

12 août 2019

Passages

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Le marcheur est le seul à s’entendre avec le temps. En retour, celui-ci le comble de bonheurs insignes en lui ouvrant des chemins qui lui ressemblent, des raccourcis pierreux et malaisés entre des maisons et des jardins ou des méandres de pavés luisants le long de sévères murailles.

 

Allié au temps pour la conquête d’un vieil escalier ou d’une traboule, le passant (qui se hâte toujours dans les dictées) s’approprie un espace relié à tout un réseau clandestin de ruelles, de boyaux et de voûtes, dédale nécessaire où des grilles s’entrouvrent sur de petits potagers qui couvent des graines de courge et des lézards endormis.

 

Toléré pendant des années, le passage peut devenir un droit inaliénable et aucune pancarte n’empêchera l’accès à un raccourci dont le bénéfice s’annule souvent avec la gymnastique requise pour enjamber le clos branlant, escalader le mauvais mur de tuile, éviter la ferraille rouillée d’un vélo abandonné pour toujours et se jouer des herbes folles.

 

Ces difficultés n’existent pas devant l’ivresse de passer ailleurs que les autres, de disparaître brusquement pour refaire surface d’un bond, comme après une fugue.

 

Ébouriffé de chélidoine et de laitue des murs, le sentier citadin de nos esquives accède à la noblesse des ruines. De lieu commun il devient un lieu-dit, un lieu d’être où résonne le poème d’un pas nonchalant.

 

Extrait de mon recueil de proses courtes L'inventaire des fétiches, © Éditions Orage-Lagune-Express, 1988.

Photo Christian Cottet-Emard

 

 

08 mars 2018

Septième poème du bois de chauffage

En mauvaise lune

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J’ai pensé que mon bois avait été coupé en mauvaise lune

 

En y songeant dans la voiture j’étais mal luné

 

J’ai aboyé contre un bénévole fluorescent qui bloquait la circulation à cause d’une course cycliste vous n’aviez qu’à partir plus tôt m’a-t-il répondu en m’expliquant par où je devais passer pour faire un détour de vingt kilomètres

 

Je lui ai répondu que je n’avais pas besoin d’un dessin car j’étais d’ici On dirait pas a-t-il sifflé à quoi j’ai rétorqué je le prends comme un compliment

 

Cet incident m’a au moins montré pourquoi je ne serai jamais un auteur local authentique

 

Parce que ce genre de type ne gueule pas contre les courses cyclistes et ne se fait pas refiler du bois coupé en mauvaise lune

 

Photo : la lune à ma fenêtre, récemment.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2018