16 novembre 2017
Carnet de voyage / Novello
L’élégance italienne pétille jusque dans le vin. En France, nous avons le vin prolétaire ou bourgeois, rarement aristocratique. En Italie, c’est la convivialité qui prévaut et qui réunit le plus souvent autour d’un seul verre les trois adjectifs que je viens d’enchaîner à propos de la dégustation à la française.
J’en veux pour exemple ces bars à vin dont les italiens ont le secret, notamment ceux de Venise où mon séjour d’automne 2004 s’était prolongé peu après la date à bien des égards fatidique du beaujolais nouveau. Une journée de promenade, avec un seul arrêt panini dans un minuscule café familial à deux pas de la librairie française, ne pouvait annoncer une soirée au régime sec, surtout dans une ville où la conduite en état d’ivresse est impossible à moins de piloter un bateau.
Parti le matin des Zattere (un voyageur un peu expérimenté sait que c’est le plus bel endroit de l’univers, écrit Philippe Sollers dans son Dictionnaire amoureux de Venise), je me retrouvai maintenant, à la nuit tombée, à mon point de départ, avec derrière moi, un arbre incongru et un grand navire à quai, le Berlin, et un peu plus loin à ma gauche l’entrée baignée d’un halo de néon du Billa local, les vénitiens ayant besoin comme vous et moi d’une supérette où s’approvisionner, même au coeur du délire architectural des palais et des clochers, en conserves, fruits et légumes, huile, vinaigre, pâtes et autres denrées quotidiennes et ustensiles divers aussi indispensables à la vie humaine que la poésie et les arts. Au rayon des boissons, je trouvai même du beaujolais nouveau auquel je choisis de préférer le primeur italien laconiquement étiqueté Novello. (J’ai séché les bouteilles à peine revenu dans mes montagnes et je garde un bon souvenir de ce petit nouveau dont le flacon ne cherchait en aucune façon à se prévaloir de bien étranges accointances avec je ne sais quelles framboises ou bananes).
Je passai déposer mes emplettes à mon hôtel tout proche pour repartir aussi sec, c’est bien le mot, à l’abordage de ces petits vaisseaux naviguant dans la joyeuse soirée vénitienne que sont les bars à vin où les risques de tangage ne concernent pas le navire mais les passagers. Une fois franchie l’écluse des premiers gorgeons accompagnés de cicchetti, on se souviendra sans en faire une obsession des quais et des ponts vers lesquels refluent presque toujours une ou deux vaguelettes de buveurs naturellement portés, le verre à la main, à l’extérieur du très exigu théâtre des opérations de bonne bouche.
Il serait en effet dommage, après avoir commencé en beauté en s’hydratant les intérieurs de finir tout mouillé à l’extérieur à cause d’un malencontreux plongeon dans le canal, ce qui soit dit en passant, signe le touriste en goguette ou pire encore, le goulu qui ne sait pas boire.
(Extrait de mon carnet de voyage en Italie, © Éditions Orage-Lagune-Express)
Photos : image verre et bouteille empruntée ici.
Navire le Berlin à quai sur les zattere ce beau soir de novembre 2004 (photo Christian Cottet-Emard)
Léger tangage sur un petit pont vénitien assez près d'un bar (photo Christian Cottet-Emard)
18:05 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet de voyage, italie, venise, vin nouveau, novello, beaujolais, billa, zattere, lagune vénitienne, promenade, blog littéraire de christian cottet-emard, bar à vin, cicchetti, voyage en italie, carnet, note, journal, christian cottet-emard, élégance italienne, philippe sollers, éditions orage-lagune-express, navire le berlin, quai, automne à venise, novembre à venise
15 novembre 2017
Dans la presse
14:45 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : presse, actualité, société, occident, anne zelensky
11 novembre 2017
Carnet / De l’écrivain de plus de quarante ans (notes en vrac)
Mes amis et lecteurs me demandent souvent pourquoi mes livres sont difficiles à trouver dans les librairies. C’est parce que je publie chez des petits éditeurs peu ou pas présents en librairie. Ces petites maisons d’édition sont tenues par des amis en qui j’ai confiance. Quand mes amis et lecteurs ont compris cela, ils me demandent pourquoi je n’envoie pas mes œuvres à des éditeurs plus importants, mieux diffusés et mieux distribués. Ma réponse les dérange : parce que je n’ai plus l’âge et plus l’envie.
En vingt ans, j’ai envoyé deux manuscrits par la poste sans passer par des relations personnelles, un seul a été publié. Il s’agit de mon Grand variable épuisé depuis longtemps. Mes autres livres sont sortis chez des éditeurs avec qui je suis en relation amicale. Je ne pense pas pour autant qu’ils m’auraient publié s’ils avaient trouvé mes ouvrages mauvais ou sans intérêt. Je sais que mes amis aiment me faire plaisir mais quand même pas à ce point-là !
Envoyer un manuscrit à l’aveugle, le soumettre pour employer un verbe lourd de sens, est une démarche relativement normale jusqu’à la trentaine voire la quarantaine pour les adolescents prolongés. Au-delà, c’est une perte de temps et un excès de naïveté, surtout pour qui, comme moi, n’a pas eu la disponibilité, les compétences et le goût de se constituer un réseau. C’est le réseau qui fait la différence, y compris pour être publié chez les petits éditeurs. Je suis désolé de le dire mais la qualité de votre texte passe après celle de votre éventuel réseau. D’ailleurs, dans la vie, tout est affaire de réseau. C’est dommage mais c’est humain.
À partir de quarante ans, une grande partie de votre vie a pris une direction, bonne ou mauvaise, pas mal de jeux sont faits. Si vous n’avez jamais cessé d’écrire malgré la pression du quotidien, si vous avez publié par ci par là, si vous avez résolu le problème de l’équilibre entre le fond et la forme pour exprimer ce qui vous tient à cœur, alors vous n’avez plus besoin de soumettre vos manuscrits. Vous en avez peut-être encore envie mais vous n’en avez plus besoin.
Au-delà de la quarantaine, vous avez quelques chances d’être devenu assez conscient et lucide pour admettre que vous ne vivrez peut-être pas jusqu’à quatre-vingts ou plus. Il n’est plus de votre âge d’attendre le passage du facteur qui glisse dans votre boîte des lettres d’éditeurs débordés (et on les comprend) par l’afflux de manuscrits, il n’est plus temps pour vous de baisser votre culotte devant quelqu’un qui va vous chercher des poux à cause de votre titre trop long ou trop court, de vos personnages qui manquent d’épaisseur ou qui en ont trop. Avant quarante ans, vous auriez été heureux de telles remarques à propos de vos textes mais maintenant c’est trop tard, ce n’est plus votre problème, vous n’avez plus besoin d’une maman ou d’un papa littéraires. Après l’heure, ce n’est plus l’heure.
Maintenant, vous avez un statut social, prolo, petit bourgeois, rentier, déclassé, peu importe. Vous savez qu’on peut encore mourir à cinquante ou soixante ans et vous devez avoir conscience que vous ne pouvez plus vous permettre d’attendre qu’on s’intéresse à vous. Dans l’écriture vous avez commencé seul, continué seul et serez toujours seul. Personne ne vous attend. Ne courez pas après le système éditorial, d’ailleurs pour quel bénéfice si vous y réfléchissez bien ? Peu d’argent, vos droits captifs pour soixante-dix ans, l’espoir illusoire de séduire quelques personnes un peu plus jeunes que vous derrière une table de dédicaces ?
Non, vraiment, il n’est plus temps pour ces enfantillages. Vous en auriez profité avant quarante ans comme on vit non sans plaisir quelques frasques mais maintenant vous êtes vieux (pas si vieux que cela, certes, mais vieux pour ces gamineries) et s’il est une chose que vous devez absolument éviter, c’est de jouer au faux jeune.
Rien n’est plus pathétique et ridicule qu’une personne d’âge mûr qui cherche à faire jeune. Si vous cherchez à faire jeune, c’est que vous ne l’êtes plus, ce qui est valable pour tout le monde mais plus encore pour les écrivains qui sont de nos jours des êtres facilement exposés à la moquerie et au dédain.
Si vous ne tirez pas votre subsistance de vos livres après quarante ans, vous en êtes peut-être déçu mais vous êtes plus libre d’écrire ce que vous voulez comme vous voulez, pour qui vous voulez et quand vous voulez. Votre désir et votre bon plaisir sont enfin aux commandes, vous n’avez plus besoin de personne, vous devenez littérairement adulte. Avec ou sans sans éditeur, même si votre cercle de lecteurs et vos amis vous lâchent parce qu’ils croient que vous avez échoué et que vous êtes maintenant trop vieux pour qu’on parie sur vous, faire entendre votre voix n’est plus comme par le passé un problème car vous pouvez chausser les bottes de sept lieues d’internet, j’y reviendrai un peu plus loin.
Quand vous écrivez, essayez de ne pas trop penser à vos lecteurs car eux ne pensent pas à vous. Quand ils vous lisent ils pensent à eux et non à vous, ce qui est tout à fait normal. Même si vos livres s’adressent à quelques secrets destinataires, ne pensez pas trop à eux non plus. Ne pensez qu’à votre livre en cours, celui que vous écrivez ici et maintenant, c’est pour cela que vous êtes là à ce moment de votre vie. Le reste ne peut que vous enquiquiner, la politique, l’engagement, l’économie, le sport, toutes ces salades, ne vous laissez pas trop distraire par ces fadaises.
J’insiste, ne pensez qu’à votre livre. S’il n’a que très peu de lecteurs ce n’est pas grave à notre époque. Il existe aujourd’hui des machines capables de l’imprimer à l’unité, à la demande, c’est fabuleux. Il existe des réseaux capables de l’exposer au grand public, d’en faire la promotion ciblée, de l’emballer dans des enveloppes et de le livrer au domicile des lecteurs qui vous restent (et des lecteurs, il y en a toujours, peu importe leur nombre).
J’ai connu une époque où le plus obscur correspondant local de presse avait le pouvoir de vous refuser dix lignes au sujet d’un de vos livres, où le libraire chez qui vous n’étiez pas client pouvait le rendre indisponible, invisible voire refuser tout simplement de le vendre. Cette époque est révolue. C’est ici que je reviens à internet.
Feu le professeur Umberto Eco, excellent auteur et brillant intellectuel mais universitaire non exempt du réflexe du mandarin se désolait de la puissance d’internet et des réseaux sociaux en ces termes : « Ils ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après une verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. » Voilà une opinion caractéristique de qui se sent dépossédé d’un privilège ou d’un pouvoir et l’on voit que parmi les corporations concernées (universitaires, journalistes, commerçants) même les plus brillants esprits ne sont pas indemnes de cette petitesse. Qu’importe ! Emparez-vous de ces outils et réjouissez-vous de vivre en des temps qui les mettent à votre service.
Attention cependant. Veillez à ce que votre souci de donner le meilleur dans vos œuvres soit en rapport avec cette puissance qui peut amplifier aussi bien vos réussites que vos échecs. Si vous gardez cela en tête, vivez enfin à votre guise votre aventure d’écrivain de plus de quarante ans qui a la chance de connaître en ce vingt-et-unième siècle ce moment où le livre et son commerce, au sens noble du terme, entrent dans une nouvelle ère.
Photo © Christian Cottet-Emard, 2017
02:33 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, chronique, humeur, christian cottet-emard, édition, littérature, publication, écriture, blog littéraire de christian cottet-emard, parution, livre, umberto eco, internet, web, réseaux sociaux, libraires, journalistes, universitaires, rotative numérique, impression à la demande, promotion ciblée, auteur, indépendance, pouvoir, liberté, décision, autonomie