28 janvier 2011
Carnet d'hiver
Perdre le goût et ne pas pouvoir profiter d’un cigare, voilà ce qui m’embête le plus lorsque je suis enrhumé. J’ai commencé par rester au chaud en avalant de l’aspirine pour que le problème se règle au plus vite, mais l’autre jour, comme la situation s’enlisait, j’ai marché jusqu’à la supérette du village en respirant à pleins poumons l’air glacial du crépuscule. Au moins, n’ai-je pas été tenté par le jaunâtre bureau de tabac qu’on dirait sorti des années cinquante, non pas parce que, n’y trouvant évidemment aucun cigare digne de ce nom, je me contente parfois, en dépannage, de Gauloises voire de Gitanes maïs, mais parce que je ne ressens même pas le goût de ces cibiches dans l’état où je suis. Même les volutes charbonnières d’un Toscane ne me feraient pas plus d’effet que de gober un altostratus. Au retour, sous la dernière ampoule d’éclairage public qui marque l’entrée dans mes broussailles, j’ai cru à une petite amélioration qu’un Woodford Reserve a confirmée. C’était donc un rhume à combattre à la bise et au bourbon. Comment s’y prend le chat pour soigner le sien, lui qui vit toujours dehors ?
Cette question me fait penser que je n’ai pas vu Sa Majesté ces dernières heures. J’ai beau savoir qu’il y a ces temps de la bagarre dans l’air avec ses rivaux, notamment avec le principal, un autre spécimen semi-sauvage tout aussi costaud qui tente régulièrement sa chance pour s’approprier le territoire, je suis toujours un peu inquiet car les deux ennemis ne plaisantent pas. Lorsqu’ils ont épuisé tout le théâtre de l’intimidation en se parlant japonais (ceux qui connaissent les chats comprendront), ils se sautent à la gorge et ne se lâchent qu’après de longues minutes en grondant après s’être infligés de terribles blessures. Je vois alors rappliquer sa Majesté dans un état d’épuisement qui le conduit, après des absences de durée variable, à se refaire une santé par le sommeil et la gamelle. Sa Majesté met en moyenne une semaine à cicatriser, voire plusieurs si les blessures sont encore plus graves, ainsi que cela s’est produit à trois reprises depuis que nous avons fait connaissance. La première fois, il avait une entaille béante sur le flanc, si large qu’elle a sans doute été provoquée par un animal plus gros : chien, renard ? La deuxième fois, il avait un trou rond parfaitement régulier sous la gorge. On lui avait sûrement tiré dessus. La troisième fois, il s’agissait d’une blessure plus classique provoquée par un autre chat mais particulièrement profonde. Parfois, je me dis que je suis indirectement responsable de l’âpreté de ces combats territoriaux puisque c’est moi qui ai augmenté la valeur du territoire en servant de la nourriture et en disposant, en vue des plus rudes épisodes de l’hiver, une niche en tissu matelassé dans le hall extérieur de la maison. Faut-il se mêler des affaires de la nature si l’on n’y est pas forcé ? Éternelle question...
Hier après-midi, corvée de bois. Je puise encore dans les quantités entreposées dehors par mon père (décédé en 2003) qui pratiquait l’affouage. Certaines bûches à tronçonner en trois doivent dater de 2000 et sont intactes. En les regardant donner leur bonne chaleur, j’ai une pensée pour mon père qui a construit une grande partie de la maison où j’habite. Il y a ceux qui sèment et ceux qui récoltent...
Pour me distraire de cette pensée culpabilisante, j'ai écouté tard dans la nuit la Sinfonia concertante (version 1927) de William Walton (1902-1983) et des œuvres orchestrales de William Alwyn (1905-1985), entre autres, Cinq préludes de 1927, Overture to a Masque (1940) et le concerto grosso n°1 (1943).
Photo : Sa Majesté surveille son territoire par tous les temps.
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24 janvier 2011
Résignez-vous !
Je ne me suis pas précipité pour lire Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Je me disais : le succès auprès du grand public de cette brochure ne risquait-il pas de ne s’expliquer que par le contraste, très prisé des médias, entre l’image vieille France (au sens noble du terme) de l’auteur et sa critique appuyée de l’action des pouvoirs en place ? On se prépare à une soirée chez l’ambassadeur et on se retrouve en train de refaire le monde comme au bon vieux temps de l’adolescence. Et ce n’était pas le paquet débordant d’Indignez-vous ! derrière le comptoir du libraire qui m’encourageait à baisser la garde. Avec tous les coups d’édition tordus qu’on nous mitonne depuis que le business remplace les idées, que voulez-vous, on finit par se méfier de tout et de tous...
Or, pendant que les nouveaux tirages se multipliaient, les discussions allaient bon train sur internet avec, bizarrement, des échanges plutôt nerveux entre blogueurs et commentateurs qui déclaraient au préalable n’avoir pas lu ou ne pas avoir l’intention de lire Indignez-vous ! . Diable, me suis-je dit, un opuscule agrafé qui n’a même pas besoin d’être lu pour alimenter autant de débats ! Lisons... Bon. C’est bien ce que je pensais : comment ne pas être d’accord avec Stéphane Hessel ? Il ne me restait plus qu’à ranger cette plaquette avec Matin brun de Franck Pavloff (Cheyne éditeur), autre best-seller miniature qui suscita il y a quelques années le même engouement populaire inattendu qu’Indignez-vous ! .
Cependant, aujourd’hui, alors que se succèdent les réimpressions d’Indignez-vous ! , je constate tout de même avec plaisir l’effet « poil à gratter » de ces quelques pages pourtant bien convenues, notamment sur le cuir endurci d’une droite qui a réussi à installer durablement dans les consciences sa vision désespérante de la vie humaine, une droite qui a perdu l’habitude de se faire contredire (en particulier par une gauche atone qui s’obstine à enclencher de nouveau la machine à perdre) une droite arrogante qui, tel un aspic enroulé au soleil et dérangé par peu de chose, n’en a pas moins le venin toujours prêt. Je n’en donne pour exemple que la réaction haineuse, dans le journal Le Monde du 14 janvier 2011 d’un président de plus (le pays en fourmille), celui-là étant « Président des Jeunes Actifs de l'UMP » et la phrase embarrassée du premier ministre Fillon : « L’indignation pour l’indignation n’est pas un mode de pensée » .
Vingt-quatre pages d’une plaquette publiée par un minuscule éditeur provoquant un commentaire agacé jusqu’au plus haut niveau d’un État qui met la société en soldes, il faut croire que les évidences sont parfois bonnes à redire, notamment lorsqu’on regarde à la télévision les images des ces salariés de l’automobile à qui on demande de renoncer à leurs acquis sociaux pour conserver leur emploi. Une femme hurle sa colère et dénonce l’arnaque. Un homme, fataliste, accepte en espérant qu’il sauvera peut-être son job alors qu’il sera jeté comme les autres, le moment venu, qu'il y laisse ou non ses congés payés ou pourquoi pas son salaire, l’Entreprise désormais Société Anonyme à Irresponsabilité Illimitée pouvant un jour juger qu’elle ne sera plus rentable parce que le personnel refusera de travailler bénévolement.
Pas étonnant que pour notre gouvernement, l’indignation ne soit pas un mode de pensée et que ceux de la caste dont il sert les intérêts préfèrent quant à eux ce mode de pensée beaucoup plus moderne, pragmatique et constructif qu’est la résignation.
02:13 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : indignez-vous !, stéphane hessel, politique, polémique, le monde, christian cottet-emard, le blog littéraire de christian cottet-emard
20 janvier 2011
Tu écris toujours ? (61)
Conseils aux auteurs ratés
Il nous est tous arrivé au moins une fois dans notre vie de penser à quelqu’un sans raison particulière et de le voir rappliquer le jour même voire quelques instants après. J’étais exactement dans cette situation l’autre jour, le nez écrasé contre ma porte d’entrée et l’œil rivé à l’œilleton dans lequel se déformait de la plus hideuse manière le visage d’une vieille connaissance, l’auteur abonné aux circulaires de refus des éditeurs du monde entier, le genre de type très déprimé à qui on a envie de répondre « je ne suis pas là » s’il s’avise d’appuyer sur le bouton de la sonnette. Ne pas céder à toutes nos pulsions constitue la base de la civilisation. J’ouvris la porte et dis : « ah quelle bonne surprise... Mais entre donc. Que me vaut le plaisir de ta visite ?
— Ils m’ont encore refusé. Je n’en peux plus. Tu veux que je te dise ? Je crois bien que j’ai raté ma vie.
— Impossible.
— Pardon ?
— Impossible. Comment veux-tu rater (ou réussir, d’ailleurs) quelque chose que tu n’as pas entrepris ?
— Je ne comprends pas.
— C’est pourtant simple, ni toi ni moi n’avons entrepris nos vies. Nous n’avons pas entrepris de naître et de vivre, donc nous ne pouvons réussir ou rater quelque chose que nous n’avons pas entrepris. Nous n’y sommes pour rien, nous naissons et nous vivons, c’est tout. »
Le pauvre garçon n’avait pas l’air convaincu, probablement parce que je ne l’étais pas moi-même. (Si nous devions croire en toutes les vérités que nous infligeons à autrui à longueur de journée, nous renoncerions tous à la parole et toute la classe politique se volatiliserait). Je tentai donc quand même de redonner le moral à mon interlocuteur en lui suggérant que dans une autre vie, peut-être pourrait-il se réincarner sous la forme d’un auteur à succès, comme mon voisin. « Tu parles ! Je suis tellement nul que c’est en limace que je me réincarnerai.
— Tu vois, tu es toujours négatif. Tu pourrais choisir un autre animal, un écureuil par exemple.
— Pourquoi un écureuil ?
— Parce qu’il vaut mieux sauter dans les arbres avec la queue en panache que passer son temps à ramper dans le mouillé en laissant des traces gluantes. »
Je rapporte cette conversation pour montrer à quel point l’obstination des éditeurs à refuser les manuscrits des auteurs ratés peut s’avérer préjudiciable à la tranquillité de personnes compréhensives dans mon genre, obligées d’accueillir, d’écouter, de consoler et de conseiller bénévolement les recalés qu’ils fabriquent à la chaîne.
Ceci dit, face au grand dépressif qu’est l’auteur raté, vous avez intérêt à trouver les bons arguments pour éviter qu’il n’attente à ses jours en sortant de chez vous, ce qui ferait désordre auprès des voisins. « Malgré tes échecs auprès des éditeurs, tu as au moins produit une œuvre, dis-je à mon visiteur. J’aurais plus de raisons que toi de me plaindre, moi qui rêvais d’écrire et qui me suis contenté de procrastiner. J’avais bien une idée de roman mais mon voisin a été plus rapide et c’est lui qui a touché le gros lot. Avant d’accéder à la gloire et à la fortune, il était comme toi, un auteur raté. Son best-seller raconte l’histoire d’un auteur raté qui tombe amoureux d’une jeune, belle et riche héritière. Tu vois, ce n’est pas si compliqué. »
Transformer le handicap en une force, voilà le meilleur conseil que vous puissiez donner à un auteur raté qui vient vous servir à domicile sa soupe à la grimace et l’amère tisane de ses états d’âme. Pour les cas les plus sévères, je préconise le travail manuel. En effet, l’auteur raté ne doit pas passer sa journée à ruminer, surtout s’il a décidé de venir faire ça chez vous. On peut gagner beaucoup à le distraire de son sentiment d’échec en lui confiant de petits travaux qui lui permettent de retrouver l’estime de soi. Vous faites ainsi une bonne action et des économies, au prix où est la main-d’œuvre... Au dernier auteur raté qui a cru bon de larmoyer dans mon salon, j’ai proposé de monter ma cuisine achetée en pièces détachées chez iyaka. En le regardant travailler depuis mon poste d’observation du monde favori, mon fauteuil, au coin du feu en fumant un bon cigare, j’ai pensé à la belle carrière qui aurait pu être la sienne chez iyaka s’il n’avait pas persisté dans celle d’auteur raté. Pour être sûr qu’il avait repris confiance en lui, je lui montrai les lames encore empaquetées d’un parquet flottant destiné au deuxième étage de ma maison. J’avais tellement bien réussi à motiver le brave garçon qu’il se déclara prêt à attaquer tout de suite mais comme je me sentais un peu fatigué de l’avoir vu s’agiter toute la journée avec ses outils bruyants, je l’invitai à revenir le lendemain, après ma sieste si possible. Je ne rechigne pas à donner de mon temps pour aider mon prochain mais tout de même, il ne faut pas exagérer.
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change, Lyon. Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des Livres n°27 (novembre/décembre 2010).
23:39 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : feuilleton, tu écris toujours ?, magazine des livres 27, christian cottet-emard, lafont presse, auteur, littérature, humour, blog littéraire de christian cottet-emard, houellebecq, éditions le pont du change