18 février 2007
Poussières
« J'ai examiné des petits bouts de mon enfance. Ce sont des morceaux d'une vie lointaine qui n'ont ni forme, ni sens. Des choses qui se sont produites comme des poussières.»
- Richard Brautigan -
(extrait de « Poussières » page 149 du recueil « La Vengeance de la pelouse », éditions 10/18.)
01:53 Publié dans Alliés substantiels | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Brautigan, La Vengeance de la pelouse, éditions 10/18
14 février 2007
Spécialités au feu de bois
Tu venais manger dans cette auberge perdue dans la forêt dès le milieu des années soixante « cet enfant a un appétit d'ogre »
Et voilà que l’an deux mille est déjà dépassé de sept ans le menu « spécialités au feu de bois » n’a presque pas changé et rien n’a changé non plus dehors
Ce lieu est une perle de ton collier de paysages sensés
Jusqu’à aujourd’hui tu n’as manqué aucun épisode du feuilleton du papier peint et des tentures murales
Une année mythologique ta grand-mère était revenue du centre-ville avec son permis de conduire et t’avait payé le petit déjeuner à l’auberge du lac (pain grillé maison et beurre des fermes voisines)
En ces autres temps la tenture murale était écossaise et un orage grondait comme un farceur caché dans les bois
Tu trouvais prodigieux ce matin si sombre que la serveuse avait dû éclairer en apportant le café et le lait quel farceur cet orage qui courait les bois et la tourbière qui faisait des ronds dans le lac et qui versait des gouttes de nuit dans le bol du jour
Ce soir comme tant d’autres soirs le patron fait cuire la viande et le saucisson au vin dans la cheminée tu trouvais cet homme immense au milieu des années soixante à cause de la danse indienne de son ombre autour de l’odorant feu de bois
Et ce même homme de taille tout à fait normale vient aujourd’hui à ta table te dire bonsoir monsieur saluer d’autres habitués puis repart surveiller la cuisson au feu de bois pendant que son ombre continue sa danse indienne du milieu des années soixante
C’est encore un beau soir pour dîner dans cette auberge un de ces soirs à voir rappliquer le lac et la forêt dans la salle pour saluer quelques habitués si heureux que le menu n’ait pas changé
Et rien ni personne hormis l’archange de l’Apocalypse à l’heure d’enrouler le décor ne peut y changer quelque chose pas même au menu « spécialités au feu de bois »
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
Photo MCC.
14:29 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Brouillon de poème, réflexions littéraires, lac, forêt, spécialités au feu de bois
09 février 2007
Ressources humaines
Tu as une amie qui déplace les meubles toute seule une autre qui s’achète des vêtements certains font des provisions de boîtes de thon au naturel ou de sardines en huile
Pour tenir l’angoisse à distance tu essayes une autre idée tu vas à l’hypermarché
L’étalage de la marchandise rassure les promeneurs du samedi dans les hypermarchés pourquoi pas toi ?
Dans les rayons s’affairent le petit personnel en uniforme et les commerciaux en méchants petits costumes fibres 100% bouteille plastique recyclé
Ils ont chacun leur curriculum vitae qui conte leur passion pour le matériel de bricolage ou pour la charcuterie ou pour la lessive liquide ils veulent y consacrer leur jeunesse car ils aiment les défis c’est ce qui est marqué sur leur curriculum vitae
Et c’est ce que certains d’entre eux finissent par croire à force de l’avoir recopié copié-collé-photocopié ceux-là ils y croient ils en veulent dynamiques et motivés pour le matériel de bricolage la charcuterie ou la lessive liquide ils sont repérés par la hiérarchie pour encadrer celles et ceux qui n’y croient pas qui n’en veulent pas mais qui sont obligés de faire comme si
Et voilà qu’à leur vue ton angoisse enfle comme une vague scélérate
Car rien ne vaut un hypermarché aux heures d’affluence pour ruminer sur la fin du monde
Et se dire que tout y passera un jour dans ce chariot tous les poissons des océans et tous les océans avec
Tous les arbres de toutes les forêts et toutes les forêts avec
Toute la planète y passera dans ce chariot
Et tu te dis un quart d’heure après le regard appuyé du vigile posté à la sortie sans achats que tu aurais mieux fait de ne pas changer ton habitude d’aller vérifier
Que l’immense forêt est toujours là que la rivière prend son temps comme si de rien n’était que ceux qui disent que le monde est petit et qu’il est un village mentent
Que cette clairière où tu te relèves maintenant car on y accède qu’en rampant d’une sapinière à l’autre est la seule idée qui vaille pour distancer l’angoisse qui s’est essoufflée à te suivre jusqu’ici où tu la tueras
Car même s’ils trouvent moyen d’y remettre des ours ou des loups cette forêt ne sera jamais aussi inquiétante qu’un hypermarché aux heures d’affluence
Elle sera même le cimetière paisible de ton angoisse cette forêt avec sa clairière secrète et sa rivière comme si de rien n’était
(Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007)
Photo : forêt jurassienne
01:45 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : forêt enneigée, sapinière, ébauche, brouillon de poème