09 janvier 2022
Carnet / Vive la quille !
Le premier décembre dernier, j’ai quitté mon statut de fantôme social qui n’était pas pour me déplaire pour me réincarner d’un point de vue administratif, ce qui n’est pas non plus pour me déplaire. Me voilà officiellement retraité et pensionné, ce qui va me permettre une gestion moins fantaisiste de mes finances, ce qui n’était pas le cas depuis 2007, date à laquelle j’avais définitivement largué les amarres du salariat.
Depuis quelque temps, je vois parfois des gens de ma connaissance m’aborder d’une mine contrite en me demandant si je ne suis pas trop angoissé de ce départ en retraite (amusant ce mot départ alors qu’il s’agit pour moi d’une entrée dans une période souhaitée de longue date et qu’en plus, cela fait déjà longtemps que je me suis mis en retrait d’à peu près tout). C’est tout juste s’ils ne me présentent pas des condoléances à titre préventif si j’ose dire !
Il est vrai que que j’ai quitté un état de citoyen fantôme pour me retrouver maintenant dans un état de non-citoyen si l’on en croit les déclarations d’un certain président d’une contrée pas marrante parsemée de panneaux Attention, école où il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot mais heureusement, cela ne me prive pas pour l’instant de ma pension.
Il faut voir leur tête, à ceux qui se croient morts parce qu’ils ne travaillent plus, quand je leur réponds avec un sourire radieux (ce qui est rare de ma part) que je suis au comble du bonheur d’être enfin un retraité parce que le travail m’a si longtemps pourri la vie, de mon entrée dans la vie professionnelle jusqu’à cette déjà lointaine année 2007.
Je n’ai que des mauvais souvenirs du travail, même si certains emplois m’ont été un peu moins désagréables que d’autres car de toute façon, travailler, j’y allais toujours à reculons. Je ne m’appesantirai pas sur les raisons personnelles de ce qui n’était peut-être qu’une phobie sociale de plus mais sur le contexte de mon entrée juvénile dans le monde surprenant bien que déplorable de ce travail que tout le monde déclare officiellement aimer mais auquel chacun est plus ou moins officieusement désireux d’échapper. Comment expliquer autrement le succès du Loto et de l’Euromillions ?
Sans parler de mes jobs de vacances (voyez comme l’absurde et le non-sens contaminent le langage dès qu’on parle de travail) mon premier vrai contact de longue durée avec le salariat fut marquée par l’accueil que me réservèrent dès le premier jour deux fanatiques de l’effrayant Bruno Bettelheim encore plus fous que les pensionnaires de l’institut médico-éducatif qui venait de m’embaucher. Ces deux fabricants de chômeurs commencèrent par s’asseoir sur les clauses les plus légales de mon contrat de travail en matière d’horaires et de congés sous l’œil indulgent et distrait du patron des lieux, un socialiste bon teint qui ne daigna lever une paupière que le jour où il découvrit que j’avais alerté le syndicat. À cette époque, les syndicats faisaient leur boulot, c’est-à-dire qu’ils faisaient encore peur, même aux socialistes.
C’est en quittant cette galère que je compris durant les années suivantes dans quel monde, travailleur débutant, j’avais déboulé, celui des années 80 du vingtième siècle en lesquelles je situe le début du cancer social qui s’attaqua à la société et qui arrive aujourd’hui, en ce début du 21ème siècle, en phase critique mais pas encore terminale. Il n’y eut pas grand-monde pour tirer la sonnette d’alarme à l’époque et l’on peut au moins reconnaître à Arlette Laguiller, même si l’on ne rêve pas du projet de société cauchemardesque qu’elle défendait, de l’avoir fait.
Les années 80 du siècle dernier furent le moment où les forces qui écrasent aujourd’hui nos libertés les plus élémentaires (avec le consentement massif de ceux qui sont toujours partants pour s’indigner des injustices dans les pays lointains mais qui ne pipent mot sur celles qui règlent désormais nos déplacements et nos relations sociales) se rassemblèrent pour s'attaquer aux acquis des vieilles démocraties. Ce sont ces forces qui gouvernent aujourd'hui.
Ce processus a commencé, comme toujours avec tous les totalitarismes, avec la contamination du langage courant et qui aboutit sans surprise à la nov-langue orwellienne. Les usines sont devenues des entreprises, les chômeurs des demandeurs d’emploi, les employés de ménage des techniciens de surface, les censeurs des lycées des conseillers principaux d’éducation (complétez vous-même la liste pour occuper vos soirées si vous êtes privé de sorties parce que vous n’êtes pas à jour de votre goutte-à-goutte soi-disant vaccinal).
Dans la même dynamique, le chantage permanent au licenciement au moindre coup de fatigue, au moindre problème personnel, à la moindre erreur, s’est érigé en mode de management, quitte à provoquer des dépressions et des suicides commentés dans la presse et dans l’opinion publique déjà tout aussi molles que celles d’aujourd’hui comme de simples dégâts collatéraux ou pire encore comme d’inévitables (et donc admis) dommages de guerre puisque le travail est lui-même devenu une guerre et l’entreprise un champ de bataille.
Notons au passage que l’un des premiers sens du mot entreprise est expédition militaire. Si tu n’es pas content, il y en a trente qui attendent derrière la porte était la chanson de cette époque. Aujourd’hui, c’est un refrain, un mantra. Comme on a fait de nos amis des concurrents, on en fait en plus aujourd’hui des ennemis politiques pour Raison de Santé-Raison d'État. Même le cercle familial que n’aiment pas nos dirigeants actuels, commence à pâtir de la division, de la discorde, de la zizanie élevée en principe de gouvernance par Micron Premier et ses sbires aussi hors-sol que toxiques.
Vinrent alors très vite les grands plans dits sociaux, avec leurs vagues successives de licenciements qu’on finit par appeler des dégraissages. Les entreprises avaient besoin de dégraisser, signifiant ainsi que leur personnel, ce mot pourtant préférable à la sordide appellation de ressource humaine (est-ce que j’ai une gueule de ressource humaine?) n’était que de la mauvaise graisse, référence à un terme diététique pour montrer que l’entreprise est un organisme sain qui doit absolument se débarrasser de sa graisse. Graisse, ressource humaine, voilà désormais les noms et adjectifs qu’on réserve au personnel (aux personnes) c’est-à-dire vous et moi. La ressource humaine fait aussi référence, par sa connotation à la masse, au minerai, à la matière première qu’il devient donc tout à fait logique de gérer et de traiter comme telle alors que c’est à des êtres humains qu’on a affaire.
Comment dès lors s’étonner qu’on en soit là où nous en sommes aujourd’hui sous Micron Premier, président-sémaphore brassant l’air vicié de la zone grise de l’en même temps qui gère des populations comme des flux financiers au lieu de présider une nation et son peuple ?
Dans cette débandade de la démocratie, le seul objet d’étonnement pour un naïf comme moi réside dans ce qui reste des emportements vertueux de la gauche qui a certes perdu toute existence électorale à force de trahisons et de reniements (notamment sur la défense des classes sociales défavorisées et le combat contre l’offensive de l’islam) mais dont on pouvait peut-être attendre des deux générations de boomers présumés contestataires qui la composent au moins un sursaut face à la confiscation des libertés fondamentales. Que nenni ! Bernique ! Des clous!
Tout ce qui reste de cette gauche en épluchures pour Le Monde-Télérama-Libération, ce sont quelques July-Joffrin qui font la gueule à la télé chez Pascal Praud comme si on les réveillait d’un dodo sans rototo chaque fois qu’on leur demande s’ils trouvent normal ce qui se passe dans notre pays. À force d’avoir hurlé à l’État policier quand ils étaient plus jeunes chaque fois qu’on installait une caméra de vidéo-surveillance, ils ont perdu la voix, à force d’avoir chouiné pour les damnés de la Terre à l’autre bout du monde, ils ont perdu la vue et maintenant qu’ils ont un pied dans la tombe, ils se prosternent devant Micron Premier parce qu’au fond, eux (et toute cette gauche avec) c’est ça qu’ils aiment et qu’ils veulent : se prosterner.
Je vous l’accorde, j’ai un peu digressé. Bref, tout ça pour dire que je suis content d’être à la retraite et de vivre à la campagne, loin de toute cette merde micronesque.
PS : un petit mot pour les jeunes : il y a le feu au lac. Certains vieux (pas tous, je parle de certains vieux vampires qui sont à la manœuvre aussi bien dans la population que dans les sphères de l'État) vous préparent un monde irrespirable qui vous prendra tout. C'est une nouvelle forme de guerre. Ce sont toujours les jeunes qui paient la guerre des vieux. Méfiez-vous du mauvais vent qui souffle en ce moment, allez voter et si cela ne suffit pas, faites entendre votre voix.
19:40 Publié dans carnet, carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, colère, révolte, politique, crise sanitaire, gauche, retraite, pension, entreprise, emploi, chômage, crise politique, gestion, ressources humaines, personnel, blog littéraire de christian cottet-emard, billet, christian cottet-emard, chronique, humeur, opinion, société, constestation, protestation, élection présidentielle 2022, totalitarisme, démocratie, presse aux ordres, journaux, médias, boomers, soixante-huitards, campagne, humeur, opinion, société, constestation, protestation, élection présidentielle 2022, totalitarisme, démocratie, presse aux ordres, journaux, médias, boomers, soixante-huitards, campagne, quille
Commentaires
Comme il doit être bon de profiter de sa retraite et cela jusqu'à la lie.....
Comme il est triste de voir chez certains les angoisses ressenties à l'idée de cette expérience délicieuse, regrettant de sortir du Styx où s'échinent les besogneux pour un pécule ridicule, qui pour une grande majorité seront toujours des précaires pour assumer leurs besoins fondamentaux et cela jusqu'à la fin de leurs vies.
Merci à tous nos ancêtres qui par leurs déterminations, leurs sueurs et parfois leurs sangs, nous ont permis d'être sous les perfusions des régimes de la sécurité sociale et de la retraite.
Dans ce pays où beaucoup fustige ce que nous sommes par notre histoire
( glorieuse ou pas ), notre culture ( et oui nous en avons une et pas des moindres ), et notre gastronomie ( récemment méprisée car considérée comme colonialiste, la gauche pinard contre la gauche coucous ) par tous ces broyeurs d'identité, ces multicuturalistes, ces pluralistes et mondialistes, les fossoyeurs des démocraties et de la république.
Depuis 1981( une véritable désillusion qui a laissé des traces profondes dans la chaire pour beaucoup d'entre nous, moi le premier), voilà qu'après la gauche «caviar», voici la gauche « castor », pour reprendre le terme du sociologue et essayiste Mathieu Bock.Coté , dont je me délecte à chaque intervention avec la fine équipe de Christine Kelly.
Cette gauche « Castor » dont le déclin est certain, qui hurle de façon inaudible à l'encontre de tous ceux qui n'adhèrent point à leurs discours de la bien pensance, se déclare être le seule rempart anti fascite, les théories de l'extrême doite dont on ne sait plus ce qu'elle est effectivement, à force de traiter tous le monde d'extrémistes, de menacer du risque de guerre civile et de dénoncer un citoyen comme étant « contre le genre humain » !!
Essayant une dernière cartouche émanant de Guyane, qui ressemble plus à un pétard mouillé plutôt qu'à un Scud....
Il est en effet préoccupant et peu encourageant d'envisager pour notre jeunesse actuelle ou en devenir, de vivre sous un ciel radieux.
Qui plus est avec une planète qui est particulièrement malade de l'espèce humaine, qui se passerait d'ailleurs probablement des humains.
Exhorter les jeunes à faire les bons choix par leurs bulletins de vote lors d'une élection, c'est un peu illusoire me semble-t-il....
Car ils seraient à même de nous demander de nous justifier sur notre laisser faire, autant sur le risque du déclin de notre démocratie que sur l'état de la planète où nous vivons tous ??
That is the question !!
Écrit par : un lecteur intéressé | 11 janvier 2022
Moi aussi, j'apprécie beaucoup Mathieu Bock-Côté et l'équipe de Christine Kelly. Un peu de baume au cœur et à l'esprit !
Les jeunes de mon entourage me donnent confiance. Ils ne vont pas se laisser traiter éternellement comme on les traite aujourd'hui. Je m'inquiète pour eux mais c'est normal puisque je suis vieux !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | 12 janvier 2022
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