14 avril 2020
Atelier / Début d'une nouvelle en cours d'écriture
Deux vieux amis buvaient du Porto et discutaient de littérature russe, en particulier d'Ivan Gontcharov. L’un était éditeur, professionnel et dynamique, l’autre était auteur, dilettante et paresseux. Tu devrais écrire tes souvenirs d’enfance, dit le premier. Pour toute réponse, l’auteur bailla et fit un micro sommeil. Énervé, l’éditeur se leva, finit son verre cul-sec et quitta le salon en grommelant Oblomovchtchina !
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02 avril 2020
Demi-sommeil
(Extrait d'un roman en chantier)
Photo Christian Cottet-Emard
Mhorn n’attachait guère d’importance à ses rêves nocturnes car il était gouverné par ceux qu’il concevait bien éveillé chaque jour depuis qu’il était conscient d’être au monde mais celui de la nuit dernière ne cessait de le tourmenter. Quelle était cette apparition qui l’avait questionné sur l’attitude de son ami Marius lorsque celui-ci avait été tenté de frapper le voyou à terre ? Pourquoi cette même apparition s’était-elle manifestée sous la forme de Marius en sa jeunesse ? Pourquoi Mhorn eût été effrayé si l’apparition avait revêtu une autre forme et laquelle ?
Ce rêve ouvrait une porte qui ne menait que dans un couloir obscur barré par une autre porte. Telle est ma vie et celle de tout le monde, pensa-t-il. Une fois de plus, il se vit incapable de rejeter ces considérations dans le néant parce que, telles des nuées de pipistrelles dérangées, elles retournèrent nicher dans un coin de son esprit où s’entassaient des rebuts, comme dans le fourgon de brocante de son ami. Parmi tout ce fatras, gisaient les breloques de la jeunesse, les photos et les vieilles lettres d’amour qui n’auraient même pas besoin d’être fixées sur du papier pour mettre une éternité à jaunir et à s’effacer, en tous cas bien plus de temps qu’il n’en faut à une vie humaine pour accomplir son cycle.
Dans leur trentaine, Mhorn et le Bernois avaient aimé la même femme, une mésaventure banale qui avait failli tout aussi banalement détruire leur amitié. Lasse de cette rivalité qu’elle jugeait archaïque, machiste et petite bourgeoise, Mariana avait résolu le problème en partant avec quelqu’un autre. L’amitié s’en était ainsi trouvée préservée mais avaient-ils gagné au change ?
Ils avaient pris leurs distances au gré de leurs activités professionnelles, le Bernois dans la brocante et Mhorn dans la marine marchande pendant quelques années durant lesquelles son caractère rugueux et son maintien un peu rigide lui avait valu le surnom ironique d’enseigne de vaisseau. Il avait beau s’être ingénié à échapper au service militaire, ce surnom l’avait poursuivi au point que la plupart de ses anciens collègues et compagnons de boisson l’appelaient toujours l’enseigne de vaisseau Mhorn quand ils parlaient de lui et plus familièrement l’enseigne quand ils le rencontraient.
Maintenant, après ce fameux rêve, Mhorn repensait aux souffrances endurées à cause de cet amour raté. Ces tourments avaient atteint leur paroxysme le jour où quelques affaires douteuses lui avaient amené dans les mains son Makarov en parfait état de fonctionnement pour une arme aussi ancienne. Après l’avoir démonté, nettoyé et entretenu, il l’avait essayé en tirant sur des plaques de tôles dans une décharge sauvage. Les impacts donnaient une idée du résultat sur un corps humain et il s’était dit qu’il pourrait toujours s’en servir pour se brûler la cervelle s’il venait à souffrir encore plus mais au même instant, il eut honte de cette idée ridicule.
Curieusement, le fait de porter en permanence cette arme sur lui avait émoussé son chagrin, même si la blessure n’était pas cicatrisée, comme si au milieu d’une partie de carte lugubre où il perdait tout le temps, il avait un peu repris la main.
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27 mars 2020
Carnet / Portrait du personnage
Une ressemblance avec l'enseigne de vaisseau Mhorn ?
Dans l’écriture de fiction, qu’il s’agisse du roman ou de la nouvelle, la description physique d’un personnage est loin d’être une évidence. Lui tirer le portrait est-il nécessaire à la narration ? À quel moment ? Dans quel but ? Il est plus facile de s’en passer dans une nouvelle très épurée que dans un roman. On peut contourner la difficulté en résumant le personnage à un détail sur lequel insister renseignera éventuellement sur sa psychologie, son histoire, un épisode de sa vie ou ses rapports avec les autres.
Quelle apparence donner à l’enseigne de vaisseau Mhorn qui apparaît dans plusieurs de mes livres publiés (Le Grand variable, Trois figures du malin) et inédits ? Il est certes un homme dans sa maturité mais dans quelle tranche d’âge ? Entre la cinquantaine (adolescence de la vieillesse) et la soixantaine (entrée dans le troisième âge) ? Fait-il plus jeune ou plus vieux que son âge ? Quelle particularité de son visage, de sa silhouette et de son maintien peut-elle donner une idée de son expérience, des épreuves qu’il a subies ou au contraire de la monotonie de son existence ?
La description minutieuse a son intérêt si elle est précisément justifiée mais elle peut aussi enfermer le lecteur, l’empêcher de se faire sa propre idée du personnage. C’est souvent le cas pour des lecteurs très créatifs qui peuvent avoir plus d’imagination que le narrateur. Même s’ils n’écrivent pas, certains lecteurs ont une vraie nature de romancier, parfois plus riche que l’auteur du roman qu’ils ont entre les mains. Parmi les lecteurs de poésie qui ne produisent aucun texte (cela peut arriver !), un grand nombre d’entre eux sont ce qu’on appelle des natures poétiques dotées d’une capacité de lecture créative complexe qui peut les inclure sans problème dans le même processus mental que le poète. C’est pourquoi un personnage de fiction qui s’aventure dans un poème pâtira moins d’une description épurée qu’un personnage de roman ou de nouvelle.
En littérature, un des principaux défauts de jeunesse ou de pratique consiste à ne pas faire confiance au lecteur tout à fait capable d’avancer tout seul comme une grande fille ou un grand garçon sur les chemins sinueux du récit. Plus on écrit et plus on est lu (même par un lectorat restreint), plus on se rend compte que le lecteur peut devenir un excellent collaborateur si on accepte l’idée de ne pas toujours le contrôler en lui expliquant tout ce qu’il peut déduire ou carrément imaginer par lui-même.
Cette idée de déléguer une partie du travail me plaît beaucoup, non seulement parce que je n’aime pas trop me forcer mais encore parce qu’elle permet de prendre de la hauteur sur son propre texte, notamment lorsqu’on est bloqué par un détail ou coincé dans une impasse. C’est en abandonnant brièvement la peau de l’auteur et en se glissant un instant dans celle du lecteur qu’on finit par trouver la solution. Souvent, cette solution peut consister en l’absence même de solution ! Il faut parfois des jours et une corbeille remplie de brouillons pour accepter d’en arriver à cette conclusion.
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