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02 octobre 2020

Le mégalo dans tous ses états

Journal d’un mégalo et Chassez le mégalo, il revient à vélo de Jean-Jacques Nuel. Éditions Cactus inébranlable. 74 p et 70 p. 9 € et 10 €.

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Quand le mégalo écrit son journal et revient à vélo, cela donne deux cactus inébranlables. Je m’explique.

Cactus inébranlable est l’un des éditeurs de Jean-Jacques Nuel, une maison fondée en 2011 par Styvie Bourgeois et Jean-Philippe Querton qui se définit comme walonne, indépendante, autonome, impertinente et alternative.

Sa collection de textes courts Les p’tits cactus accueille pour la seconde fois les bouquets d’aphorismes piquants de Jean-Jacques Nuel sous la forme de deux élégants recueils. Se déploient dans ces pages en toute son ampleur la pensée du mégalo servie par l’inépuisable réserve de poil à gratter dont Nuel fit aussi profiter le magazine d’humour Fluide Glacial

Il faut savoir que mégalo est une activité à temps plein, surtout si le mégalo est auteur ainsi qu’on peut le lire notamment dans le deuxième ensemble qui vient de sortir avec des salves de formules urticantes concernant l’œuvre littéraire du mégalo (« Mes pensées deviennent si profondes que je n’ai plus pied »).

Les concurrents du mégalo n’ont qu’à bien se tenir : « Tous mes concurrents s’affrontent dans une lutte sans merci pour la deuxième place » . Quant aux intellos, qu’ils ne la ramènent pas : « Les tables rondes ont été créées pour que les intellectuels tournent autour du sujet » .

Les dernières nouvelles de l’édition sont bonnes : « L’ouvrage intitulé “ Comment réussir sa vie sans l’aide d’aucun livre ” fut un grand succès de libraire » .

L’éditeur en prend pourtant pour son grade :

« Mon éditeur refuse que je le quitte pour un autre éditeur, alors qu’il me trompe ouvertement avec plusieurs dizaines d’autres auteurs »Faut-il pour autant conclure que l’ego grotesque et désopilant du mégalo est aussi définitivement antipathique ?

Non, bien sûr, car nous avons tous quelque chose du mégalo qui se laisse même parfois aller, dans cette deuxième livraison de ses sublimes pensées à quelques accès de mélancolie prouvant son humanité : « J’ai pris la vie à pleines mains mais elle m’a filé entre les doigts » .

En cela au moins, comme dans bien des aspects de notre vie (« Jeune, je voulais refaire le monde mais à la fin, c’est le monde qui m’a refait. ») ce mégalo nous est plus proche qu’il n’y paraît !

Christian Cottet-Emard

 

20 septembre 2020

Carnet / Fin du roman de l'auteur

(Ajout à mon carnet du 14 septembre dernier).

carnet,note,journal,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,roman,fiction,roman de l'auteur,édition,apostrophes télévision,émission littéraire,évolution de l'éditionTout le monde a intérêt à ce que l'écrivain devienne un personnage de fiction, les éditeurs, les journalistes, le public et les auteurs eux-mêmes.

 

14 septembre 2020

Carnet / Fin du « roman de l'auteur »

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Le roman de l’auteur est fini. Je laisse à plus érudit que moi en histoire littéraire le soin de dater le début de cette fiction dans les siècles précédents.

Avant d’expliquer pourquoi cette fin est arrivée, je me dois de préciser ce que j’appelle le roman de l’auteur. Il s’agit de ce processus qui a peu à peu transformé l’auteur en un personnage de roman jusqu’à ce que ce personnage finisse par devenir plus important et plus intéressant aux yeux du grand public que tous les personnages inventés par l’auteur dans ses livres.

En France, c’est la plus célèbre émission littéraire diffusée à une heure de grande écoute à la télévision, Apostrophes, qui a officiellement consacré le roman de l’auteur dans l’imaginaire des téléspectateurs donc du grand public à l’époque où celui-ci pouvait encore passer une fois par semaine la moitié d’une soirée à regarder des auteurs discuter ou faire semblant de discuter autour d’un animateur jouant le rôle de Candide ou d’arbitre.

L’immense succès populaire de cette émission résidait probablement moins dans la passion du public pour la littérature que dans sa curiosité voire dans une forme de fascination pour les auteurs présentés, mis en scène et mis en situation de jouer plus ou moins bien leur rôle de grand écrivain couvert de gloire, de débutant prometteur, de provocateur patenté, de rebelle subventionné, d’ivrogne en fort tangage ou de jeune prodige catapulté de sa campagne jusqu’au feux de la rampe grâce au flair d’un grand éditeur ayant fouillé dans des tonnes de manuscrits envoyés par la poste.

Tel était pour le grand public le roman de l’auteur, une redoutable fiction dans toutes ses variantes qui relèvent le plus souvent d’un mélange de conte de fée et de fable édifiante dont même les moins naïfs d’entre nous sont friands. Ce sont ces histoires-là que le public venait écouter, beaucoup plus que celles racontées dans les livres sélectionnés et promus.

En 1981, lorsque j’étais stagiaire en librairie, j’ai encaissé des clients qui achetaient systématiquement tous les grands prix littéraires de la rentrée (on n’en comptait qu’une à l’époque à l’automne) et parfois la majorité des ouvrages présentés à Apostrophes le vendredi, jour de l’émission précédent leurs emplettes. Il m’arrivait de leur demander s’ils lisaient tous ces livres. La plupart de ces gros clients me répondaient qu’ils les offraient ou les entassaient dans leurs bibliothèques pour être sûrs de ne pas se tromper.

Pour eux, un livre dont l’auteur était invité à parler à la télévision ne pouvait pas être tout à fait mauvais ou sans intérêt. Lorsque je me hasardais à leur présenter le catalogue d’un petit éditeur méconnu ou un titre d’un écrivain ignoré des médias, ils m’écoutaient poliment sans même jeter un coup d’œil à la quatrième de couverture.

Apostrophes et les grands médias suiveurs de la presse écrite nationale ont accéléré la phase finale du processus du roman de l’auteur dans la mécanique bien huilée d’un système éditorial aujourd’hui en passe de s’asphyxier sous l’avalanche de sa propre production.

Désormais, l’abondance trompeuse dissimule de plus en plus difficilement la ruine du paysage où ne respirent plus que les auteurs de best-sellers, piliers économiques des maisons d’édition les plus connues et engagées bon gré mal gré dans leur folle fuite en avant.

Certes, le roman de l’auteur parvient-il encore à faire un peu illusion dans le cadre de la promotion ou plutôt du matraquage de gadgets éditoriaux provisoirement en phase avec l’air du temps constitué d’un cocktail de lubies à la mode, de politiquement correct nimbé de sauce moraline, de vertu agressive et d’indignation sélective. Ce dernier cache-misère ne change en rien l’inéluctable et nécessaire évolution.

Pour les auteurs à moyens et petits tirages, le salut ou la consolation viendront d’Amazon ou de tout autre prestataire d’édition capable de rivaliser sérieusement avec cette entreprise, au moins tant que ce géant et ses éventuels concurrents considéreront cette alternative à l’édition classique comme rentable.

Aussi appartient-il maintenant à l’immense majorité des écrivains exclus ou en phase d’exclusion de ce système pour mille raisons économiques, politiques ou relationnelles de sortir du piège marketing médiatique du roman de l’auteur en s’appropriant leur stratégie et leur destin en fonction de leurs personnalités, de leurs capacités et de leurs objectifs respectifs.

La fin du roman de l’auteur est l’un des symptômes visibles de la fin d’un cycle. La nature ayant horreur du vide, quelque chose finira bien par en sortir et cela ne manquera certainement pas d’intérêt.

 

Photo : Camilo (Ferreira Botelho) Castelo Branco (1825-1890), auteur du fameux roman Amour de perdition (Amor de Perdição) adapté plusieurs fois au cinéma, notamment par Manoel de Oliveira, est un des nombreux exemples de ce que j’appelle le roman de l’auteur. Ce grand écrivain portugais auteur d’une œuvre considérable est surtout passé à la postérité internationale à la suite de son emprisonnement en 1840 en raison de sa liaison avec une femme mariée. On le voit ici statufié à Porto en bonne compagnie. Détail amusant et réjouissant, la statue est installée à quelques mètres de la prison où il a été incarcéré ! Cette prison est aujourd’hui un musée.