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23 octobre 2015

Billets d’absence de Jean-Jacques Nuel : un délire très contrôlé

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Le chaos règne mais c’est un chaos calme qui n’exclut pas la logique, celle de l’absurde bien sûr, comme une horloge aux rouages déréglés quand même capable de rythmer la vie de travers de son tic-tac cruel. La vie est insensée mais cohérente. Il n’empêche : le trait d’union d’un prénom glisse entre deux matelas, un infortuné est condamné à une longue peine de vie le jour de sa naissance, un explorateur de retour de voyage constate que sa maison a déménagé sans laisser d’adresse, un impôt institué sur le temps rend l’existence si coûteuse qu’elle en devient inabordable pour le commun des mortels. 

Rien n’est sérieux mais tout est tragique dans ces minuscules tranches de vie confinées dont les fêlures et les fissures dégagent paradoxalement la vue sur d’insondables immensités. Perdus dans un vertige d’immobilité et d’impuissance, les personnages et leurs péripéties dans un espace et dans un temps approximatifs y sont réduits à des épures, à des esquisses promises à l’effacement, à de pauvres ombres toutes prêtes à couler comme des taches d’encre sur un gigantesque buvard.

Jean-Jacques Nuel est coutumier de ces distorsions spatio-temporelles dont on retrouve la trace jusque dans sa bibliographie avec un recueil poétique miniature intitulé Immenses ! (Éditions Le Pré de l’âge, réédité au Pré Carré).

Marque de fabrique de l’auteur, les brèves proses de Billets d’absence s’inscrivent dans la lignée du précédent recueil, Courts métrages, mais sur un tempo plus rapide, plus percutant. La grande mélancolie de Jean-Jacques Nuel est ici mâtinée d’ironie affûtée, de rire jaune et d’humour noir, le tout servi par une écriture des plus classiques, ce qui produit un constant effet de décalage. Plus le délire prolifère, plus la phrase reste posée, mesurée. Le résultat est d’une redoutable efficacité. 

Si l’on devait imaginer une jaquette de couverture à la sobre édition de Billets d’absence, le recours à un tableau métaphysique de Giorgio de Chirico s’imposerait. En effet, certains titres introduisent souvent une atmosphère voisine de cette période du peintre, La solitude (un conférencier intervenant dans une salle déserte pour expliquer comment sortir de la solitude), L’obélisque horizontal (une étrange variation sur le dérèglement de la géométrie), Le milieu du monde (Joseph K. errant dans un train vide à l’arrêt au milieu de nulle part). 

Cette possible analogie avec la peinture métaphysique (on pourrait aussi convoquer à ce petit jeu René Magritte ou Paul Delvaux) n’est qu’une facette du recueil dont les brèves nouvelles et les récits instantanés peuplés d’antihéros suscitent non seulement la surprise et le rire mais encore l’empathie. Avec cette ambiance de catastrophe méticuleuse, nous sommes bien dans la vision nueliène d’un monde indéchiffrable nimbé d’échec récurrent et d’inquiétante étrangeté où les Billets d’absence ne nous dédouanent en rien de nos retards, fuites et contretemps dans des lieux aussi peu recommandables que La route 666 ne pouvant bien sûr conduire ailleurs qu’au Motel de l’Enfer puisque le Motel Paradis affiche complet. 

Jean-Jacques Nuel déploie dans ce nouveau recueil un concentré de son art narratif au service d’une vision du monde à la fois drôle et fataliste qu’on peut retrouver dans les précédents de cette série, Courts métrages (éd. Le Pont du Change) et Le Mouton noir (éd. Passage d’encres). On en redemande !

Billets d'absence, de Jean-Jacques Nuel, éditions Le Pont du change. 76 p. 12 €

27 mai 2015

Les envahisseurs

Ces êtres étranges venus d'une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : en faire leur univers. David Vincent les a vus, Christian Cottet-Emard aussi :

 

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Photos : la nouvelle serre de Marie. Brevet déposé et bientôt acquis par les candidats à la survie sur Mars. 

19 mai 2015

Carnet / Signer ou ne pas signer ?

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J’en veux pour preuve les anecdotes désabusées qui m’ont été rapportées par des auteurs que je connais personnellement ou avec qui j’ai conversé après une lecture ou une conférence. Ces récits qui proviennent d’auteurs débutants ou expérimentés dont le travail est reconnu et publié mais non inscrit dans une démarche commerciale aboutissant à des chiffres de vente spectaculaires s’avèrent souvent édifiants. L’un de ces témoignages me paraît non seulement révélateur des réalités éditoriales d’aujourd’hui mais encore digne d’être pris en compte au moment de prendre la décision de s’engager pour la première fois auprès d’un grand groupe d’édition.

Invité à une importante foire du livre régionale pour dédicacer ses livres publiés chez de petits éditeurs, un ami voit s’installer à la table voisine de la sienne une toute jeune femme à l’air morose. Elle dispose en piles un roman qu’elle a publié à l’enseigne d’une maison très connue. Mon ami la salue et la félicite d’être publiée si jeune sous un tel label, un compliment qui ne suscite de la part de la jeune romancière qu’une moue de lassitude, ce dont elle finit par s’expliquer.

Son histoire est assez triste. Elle a certes connu la joie du message téléphonique qui l’a informée de la décision du comité de lecture de la publier mais elle a vite déchanté. Les ventes n’ont apparemment pas été à la hauteur, le dossier de presse est plus que léger et elle a ensuite été livrée à elle-même pour continuer la promotion de son livre dans les salons, promotion à laquelle elle est pourtant tenue de participer selon les termes de son contrat. Lors d’une visite chez son éditeur, elle est reçue par des stagiaires qui doivent chercher laborieusement son dossier et qui lui demandent à plusieurs reprises de leur rappeler son nom. Après de longs mois de silence, elle reçoit la proposition d’acheter à un tarif réduit une partie du stock de ses propres ouvrages pour les distribuer elle-même dans les foires et salons !

À ce compte-là, elle pouvait tout aussi bien s’autoéditer car elle serait ainsi au moins propriétaire de ses droits. La voici donc commercialement « grillée » dans le petit milieu de l’édition où tout le monde se connaît avec un livre captif sur les bras et un seul lot de bien maigre consolation : le nom d’un grand éditeur dans sa bibliographie, ce qui, notons-le au passage, n’impressionne plus grand monde dans la presse et auprès des instances dévolues à l’attribution de bourses de création et autres aides financières aux auteurs en raison de l’inflation de livres morts nés comme le sien publiés à chaque nouvelle vague des trois rentrées littéraires annuelles.

Je précise que le récit de plusieurs histoires similaires, toutes inscrites dans le contexte de ce qu’on appelle la grande édition, m’est venu aux oreilles par d’autres canaux, à quelques semaines d’intervalle, ce qui ne peut manquer de faire réfléchir à deux fois, lorsqu’on est auteur, avant de concrétiser un projet de longue date sur lequel on a travaillé plusieurs années...

Le plus ennuyeux dans cette affaire n’est pas l’absence de succès, de reconnaissance ou de profit mais l’immobilisation des droits sur une œuvre. J’en ai moi-même fait l’expérience avec un essai mal publié qui est toujours officiellement disponible alors que l’éditeur n’en vend qu’un exemplaire de temps en temps et que je n’ai jamais eu un seul relevé de ventes depuis sa publication en 1997 ! Du coup, ce livre que je pourrais maintenant republier dans une édition plus soignée et augmentée de nouveaux documents se retrouve bloqué sans qu’un espoir de dénouement favorable ne se présente avant longtemps. C’est dire si je suis aujourd’hui devenu circonspect en cas de projet avec un éditeur qui n’est pas un ami ou une connaissance rapprochée...

En discutant il y a deux ans avec un poète publié par une grande maison à qui j’avouais mon inquiétude de confier un manuscrit à des inconnus, j’ai appris qu’il vendait à peine plus que s’il était publié par un petit éditeur et que ses recueils de poèmes n’avaient presque pas de presse. Sa seule consolation était la collection renommée qui accueillait quelques uns de ses titres. Un livre estampillé d’un label éditorial prestigieux constitue certes une gratification pour un auteur mais cela peut-il suffire ? Bien évidemment non. De nos jours, la publication chez un éditeur connu ne garantit plus une diffusion et une distribution conséquentes. Ainsi que me le faisait remarquer un autre ami poète, s’il s’agit de vendre trois cents exemplaires, nous sommes un certain nombre à savoir faire cela nous-mêmes !

En recueillant ces témoignages, je me dis que j’ai quant à moi de la chance. Mes livres ont été publiés par de petits éditeurs et pour plusieurs d’entre eux, je n’ai pas à me plaindre des retombées. Éditinter m’a permis de publier dans une édition très soignée Le Grand Variable dont aucun grand éditeur n’aurait voulu parce que l’ouvrage n’appartient pas à un genre défini. En accueillant mon faux polar, Le Club des Pantouflards, la collection Petite Nuit chez Nykta m’a permis de bénéficier d’une bourse conséquente du Centre National du Livre. Quant aux éditions du Pont du Change, la relation de confiance, le soin de la réalisation et la diffusion ciblée mais efficace ont offert à deux de mes ouvrages une visibilité qu’atteignent difficilement de nos jours les textes humoristiques.

Me voici aujourd’hui à un tournant avec des décisions à prendre pour l’édition de mes prochains livres, ce que j’apprécie modérément car j’ai toujours préféré me laisser porter par le courant. Une chose est certaine, en ce domaine comme dans bien d’autres, nous ne vivons plus dans le même monde et il est fortement conseillé aux auteurs de s’en apercevoir.