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08 mars 2009

Tu écris toujours ? (49)

file_MdL15_couvHdef.jpgLe 49ème épisode de mon feuilleton « Tu écris toujours ? » , Conseils à ceux qui veulent donner des conseils aux écrivains, vient de paraître dans le Magazine des Livres n°15, avril/mai 2009, actuellement en kiosques.

15 mai 2008

À contre-courant

Pour oublier l'ambiance de plus en plus lugubre d'Oyonnax, je me replonge dans mes carnets datant de l'été et de l'automne 2006, à la suite d'un de mes séjours en Sardaigne.588790349.JPG

Alghero (Sardaigne), juillet 2006, Lungomare Marco Polo, le soir et le matin.

Hier avant minuit, ce vaste chemin de ronde qu’on appelle à Alghero « Lungomare » bruissait d’une foule tranquille. À la terrasse au clair de lune d’un de ces petits bars où l’on sert le Vernaccia mousseux avec flûtes et seau à Champagne, j’ai fumé un « Cuaba » un peu sec. Avec Marie, nous repensons au garçon qui nous avait fait rire, dans ce même café en août 1999, en me donnant du « Sir » ! Aurais-je une tête de touriste anglais ? Le cigare de ce soir estival du vingtième siècle était un « Rey del Mundo » dont j’ai collé la bague dans mon carnet.
Depuis cette rituelle promenade nocturne sur ces remparts surplombant la mer, la petite aiguille a bientôt fait le tour du cadran et me voici de nouveau sur le Lungomare désert en cette fin de matinée éblouissante, assis sur un banc de pierre et griffonnant ces notes comme si je n’avais pas mieux à faire, comme si c’était bien le moment, en plein milieu de la Méditerranée, de penser aux livres en chantiers et aux collaborations aux revues... Comme s’il n’y avait pas assez d’hiver dans ma montagne pour cela...

Avant cet été 2006, Jean-Jacques Nuel me met en rapport avec Anthony Dufraisse qui veut lancer une revue consacrée aux carnets d’écrivains. Je trouve l’idée séduisante et Anthony Dufraisse me propose de collaborer. Je lui écris :
« l’idée me semble très prometteuse, avec des ouvertures non seulement sur le texte mais encore sur le graphisme, notamment à l’heure où le risque de ne plus laisser de traces manuscrites en raison de la saisie directe concerne de plus en plus d’écrivains.
Mon esprit plutôt lent et le harcèlement du quotidien m’obligent à tenir des carnets. Comparés à ceux d’autres auteurs, les miens sont assez moches mais bien utiles pour ne pas trop perdre des moments vécus, des surprises de lecture, des colères ou des instants d’accord avec le monde. Ils me sont bouées dans le naufrage, cailloux dans la forêt. Ce serait donc un plaisir pour moi d’être associé à vos travaux mais de quelle manière ? »
À quoi ressemblent mes carnets ? Donner quelques pages ? (Difficile, moi qui ne peut m’empêcher de détruire mes brouillons).
Mes carnets n’on rien d’attrayant, rien de la beauté chiffonnée (artistement brouillonne) de ces très esthétiques carnets d’écrivains recherchés par les collectionneurs ou, parfois, reproduits dans les magazines.
Mes carnets regorgent de ratures, d’écriture bâclée, parfois de fautes. Il s’agit d’aller vite. L’important est de capturer l’idée, la sensation, avant qu’elles ne s’échappent. Pas le temps de bien écrire, de calligraphier, d’autant qu’en fixant quelque chose qui passe dans la tête ou qui remonte de la mémoire, on le fait souvent très mal installé. Un jour, à Venise, j’ai posé mon carnet sur une des passerelles installées en prévision de l’alta aqua. Devant moi, je voyais l’eau du canal de la Giudecca déborder doucement sur le quai en un discret clapotis. Pattes de mouches, gribouillis, écriture sale.
Mes carnets bégaient. On peut y lire des choses ridicules, des projets avortés, des élucubrations de songe-creux. C’est la cuisine, une cuisine mal tenue. Dois-je la faire visiter ? Dois-je montrer ce qui m’entre dans la tête, ce que je prends pour une piste de réflexion ou une possible esquisse lorsque cela se présente juste avant le sommeil, au moment où je viens d’éteindre et lorsque je rallume pour noter et noter encore, à moitié hagard ?
Mes carnets sont spontanés, je ne le suis pas. Mon écriture ne l’est pas. Je tiens mes carnets car j’ai mauvaise mémoire, des difficultés de concentration et une bonne dose de sentimentalité.
Avec son idée de revue consacrée aux carnets d’écrivains, Anthony Dufraisse me pose problème. Au début, je voulais lui proposer des extraits d’un recueil inédit de carnets de voyage. Mais ces textes ne sont déjà plus des pages de carnets. Ils sont déjà « écrits », sortis depuis longtemps de la matière brute de la notation. Ce ne serait pas honnête et, de toute façon, il n’en voudrait peut-être pas. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’il veut exactement, malgré ses indications.
Que donner d’autre ? Ces réflexions rapides sur le projet de revue ? Ou peut-être les tout derniers poèmes écrits très vite au moment de cette rupture que j’ai récemment éprouvée dans la lecture et l’écriture de poésie ? Ces dernières tentatives privilégiant un rythme et des associations d’idées non arbitraires, au plus près du sujet et présentées dans une forme intermédiaire entre vers et prose constituent ce que j’ai écrit de plus proche de ce que je pourrais appeler un carnet poétique. Je pense notamment à mes récents « poèmes » L’Énigme du père et Le Poète mène une vie quotidienne.
Décrire les carnets est une autre possibilité.467819011.jpg
Mes carnets ne sont que des pense-bêtes.
Feuilleter mes carnets de notes.
J'ai en effet recours à ce bon vieux système pour tenter de fixer puis de me remémorer d'improbables moments de grâce capables de déchirer le voile poussiéreux du quotidien. J'allais ressortir du magasin l'image des pépites extraites du limon mais soyons modeste, en ce qui concerne mes esquisses, il ne s'agit que de cristaux glanés au hasard du sentier caillouteux ! De l'or, il y en a quand même dans ces pages de carnets. Il s'agit des citations, pensées épinglées tels des papillons de collection, vraies pépites celles-là, d'auteurs avec qui je me sens parfois en sympathie, glissées entre les bagues de cigares collées, les adresses, les photos, les beaux timbres, les coupures de presse et autres découpages, éparpillées dans ce petit matériel de dépannage pour réflexion à l'arrêt, en quelque sorte trousses de première urgence pour rêves égratignés...
Ce carnet que m’a offert ma fille, on dirait un gros morceau de chocolat noir. Il me plaît tellement que je n’ose pas le commencer à la légère. Je vais essayer de m’appliquer, de ne pas le couvrir de ratures, comme les autres. Je crois qu’il va être parfaitement adapté au recopiage de certaines notes que j’écris directement dans le canevas de mon blog. Ce sera une « sauvegarde de papier », en quelque sorte.
Ce carnet noir est différent de ceux que j’utilise d’habitude. Il s’agit d’une copie du fameux Moleskine fabriquée en Italie et vendue assez cher par rapport au modèle français d’origine, ce dernier étant désormais introuvable.
J’ai adopté depuis pas mal de temps des carnets à petits carreaux de marque « Clairefontaine » de format 11 X 17 cm, 192 pages, couvertures en couleur, pelliculées, avec motifs végétaux (écorces, brindilles, noeuds de bois...). Ces références à la nature m’apaisent. Solidement reliés et cousus, ils me permettent de coller aussi des fleurs séchées, des cartes postales, des tickets d’entrée de musées, de concerts, des publicités, toutes sortes de papiers qui attestent d’un voyage, d’un instant, d’un moment plus « vécu » qu’un autre. Il m’arrive de devoir revenir à ces papiers collés pour tenter de faire remonter vers la conscience un de ces souvenirs fugaces pouvant nourrir un texte ou un poème, voire même un chapitre, une nouvelle ou un roman entier. À la fin, sous l’effet des épaisseurs de papier et des multiples manipulations et déplacements que je lui inflige, le carnet double comiquement de volume, se distend, se patine. La pellicule se décolle, sèche, se ride. Le carnet s’épaissit et vieillit, comme son propriétaire.

Oyonnax, automne 2006

La Sardaigne est déjà loin et je n’ai pas donné de nouvelles à Anthony Dufraisse. Marie me fait remarquer que cela va bientôt friser l’impolitesse de ma part. Ce n’est pas moi qui suis impoli, c’est le temps, avec tout ce que nous inflige cet « animal », comme disait Jean Tardieu, cet « animal du temps » qui me transforme en un animal moi aussi : un vieil ours engourdi dans sa tanière des forêts d’épicéas columnaires, de hêtres et de sapins pectinés du Haut-Bugey et du Haut-Jura.
Je relis mes notes de l’été et je me demande ce qu’elles pourraient bien apporter au projet d’Anthony Dufraisse. Je l’informe que je déclare forfait et cela m’ennuie car je sens que cette revue s’annonce différente, audacieuse. Toujours cette manie de m’exclure. (« Écrire, s’exclure », disait René Char). La bonne excuse !
La parution de mon (faux) polar, Le Club des pantouflards, aux éditions Nykta animées par France Baron et Claude-Jean Poignant qui sont en train de devenir des amis, m’a distrait de mes autres chantiers. Autre bonne nouvelle datant de l’été, une bourse du Centre National du Livre. Là encore, on me demande « des extraits de travaux en cours » que je crains de montrer tant ils me paraissent, du moins pour l’instant, indigents.

Oyonnax, fin d’automne 2006.

Je viens de recevoir un message d’Anthony Dufraisse. Il insiste pour lire mes pauvres notes. Finalement, ma peur de dévoiler ces extraits de carnets, ces brouillons que je détruis comme pour faire disparaître les traces d’une mauvaise action, ce n’est rien d’autre que de l’orgueil. Les complexes, qu’ils soient de supériorité ou d’infériorité, ne sont que de l’orgueil. Alors, soyons humble ! Envoyons... Après tout, si le ridicule tuait, il n’y aurait pas d’humanité.

Photo : Alghero (Sardaigne), Lungomare Marco Polo, juillet 2006. 

13 mars 2008

Les mésaventures de Cardio Vasculaire

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(Extrait de deux épisodes que j’avais supprimés de mon feuilleton « Tu écris toujours ? » mais cependant publiés dans la revue Mercure n°1, novembre 2007, sous le titre « Souvenirs d’un localier »)

Ma phobie des chiffres m’a souvent jeté dans de stupides travaux alimentaires. L’une des moins reluisantes de ces activités professionnelles a consisté à faire le journaliste dans un quotidien régional qui eut ses heures de gloire en des époques bien antérieures à l’éventualité de ma naissance. La naïveté de mes vingt ans me portait aussi à croire que la pratique du journalisme permettait de consacrer un peu de temps à la littérature, ce qui est évidemment inexact.
C’est donc au fond d’un bureau d’agence locale, sous le néon jaunâtre qui sied à ce genre de cave par ailleurs excellente pour la conservation des cigares, voire propice à la culture de l’endive, de l’asperge ou du champignon de Paris, que je fis la connaissance, bien malgré moi, d’un personnage des plus antipathiques. Cardio Vasculaire (ainsi le baptisai-je dès qu’il se crut autorisé à me parler de ses ennuis de santé) était un de ces fâcheux qui débarquaient régulièrement à l’agence pour discuter le coup avec les pigistes ou le journaliste de corvée. Certains de ces bavards, presque tous retraités, étaient du matin, d’autres du soir. Cardio Vasculaire était du soir et même du dimanche soir. Ce commerçant retiré des affaires pointait son crâne d’œuf de Pâques dont on aurait dénoué le kiki à l’heure à laquelle les plumitifs des sports commençaient à jouer du téléphone pour obtenir les scores et commentaires de toutes les gesticulations dominicales, notamment celles qui dégénéraient autour d’un ballon. Le ballon, Cardio Vasculaire faisait (grise) mine de s’y intéresser et posait ainsi chaque dimanche à la même heure la même question anxieuse au localier en poste : « combien ils ont fait ? » Depuis des années, il obtenait ainsi le score de l’équipe locale de ballon en poussant la porte de l’agence, trouvant toujours un rédacteur pour sacrifier à ce petit rituel susceptible de lui procurer l’ersatz d’émotion auquel son cœur pouvait encore prétendre. Ceci dit, la maladie ne rend pas les gens meilleurs et celui-ci moins qu’un autre.
Cardio Vasculaire, pour le moins, ne m’appréciait pas. La première fois que je l’entendis me dire « Combien ils ont fait ? », je lui fis répéter la question en demandant des précisions (qui « ils », qui avaient fait quoi, etc., etc...). J’en avais aussi profité pour lui signifier mon aversion pour le sport et en particulier pour le ballon en le priant de me préciser que le rond, c’était bien le football et l’ovale le rugby, en rajoutant, au comble de la jouissance : « j’oublie toujours ! » J’ose le dire, cet homme ne me portait pas dans son cœur et j’en avais autant à son service. De toute façon, en dix ans d’exercice journalistique, je ne me suis jamais encombré l’esprit avec un seul chiffre ou nombre pouvant correspondre à un résultat de compétition sportive. Alors, « Combien ils avaient fait » , avec moi, il ne risquait pas de le savoir. En outre, ce que Cardio Vasculaire ignorait, c’est que son innocente question appelant une réponse chiffrée ne pouvait que mal me disposer à son égard. Il suffit en effet que quelqu’un me demande d’évaluer une distance, un volume, une quantité, en un mot une mesure, au moyen d’un chiffre ou d’un nombre, pour que je me sente envahi par une bouffée d’angoisse dont mon interlocuteur a vite fait d’interpréter les signes visibles comme des marques d’agressivité. Lorsque cela s’avère nécessaire, je prends la peine d’expliquer la situation aux personnes de mon entourage familial et amical. Ils me comprennent ou ils compatissent, réactions que je ne pouvais espérer de la part d’un individu tel que Cardio Vasculaire qui, pour être doté d’un gros crâne en forme de son ballon préféré, n’avait pas forcément le cerveau en rapport. Et je peux prouver ce que j’avance.
Malgré son état, Cardio Vasculaire vivait plutôt dangereusement. Il avait en effet la pitoyable habitude de jouer au loto toutes les semaines, toujours la même combinaison de chiffres et de nombres. Comme tous les riches, il voulait encore plus d’argent et il cochait donc consciencieusement, depuis des décennies, ses grilles hebdomadaires. Or, un beau jour, ainsi que cela se produit parfois, il décrocha six numéros. L’ennui, ainsi que cela se produit parfois aussi, c’est que cette semaine-là, pour une obscure raison, il n’avait pas validé son bulletin. Confronté d’un coup à trois émotions violentes (j’ai gagné, j’ai pas joué, j’ai perdu) Cardio Vasculaire fit un malaise.
Je ne sais pas s’il s’en est sorti. En tous cas, je ne l’ai jamais revu. Pourtant, lors de mon dernier jour de travail à l’agence, un dimanche justement, j’ai trouvé moyen de lui consacrer une petite pensée. Alors que j’avais vidé mon bureau et mon armoire dans deux grands sacs poubelle de cent litres, je me suis rappelé la question fusant de ce crâne blafard : « Combien ils ont fait ? » Je me suis imaginé en train de répondre : « des millions, des dizaines de millions, des centaines de millions ! »