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07 janvier 2012

Amoureux trois quarts d'heure

Pour commencer l'année, une nouvelle extraite de mon prochain livre à paraître.

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Louis s’éloigna du groupe car il ne s’était pas trouvé seul depuis la veille. La lune éclairait le plateau et les seuls intermédiaires entre la voûte céleste et l’arrondi des prairies étaient les buissons de buis et de genévriers aux silhouettes tour à tour inquiétantes et rassurantes. Il marcha quelques instants dans l’herbe et retrouva vite le chemin qui descendait vers la forêt. Plus bas, le chemin s’élargissait en une route goudronnée qui serpentait jusqu’au-dessus de la bourgade où habitaient la plupart des filles et des garçons réunis ce week-end autour du feu de camps. Ceux qui avaient renoncé à la promenade nocturne continuaient de jeter dans le foyer de grandes brassées de genévrier. Louis n’entendait plus crépiter les flammes qui s’élevaient avec les rires vers la voie lactée mais il flairait encore le parfum du feu. Lorsqu’il eut rejoint la route goudronnée, le silence et l’humidité des futaies l’enveloppèrent. Il avançait d’un pas régulier qui s’accordait bien avec le rythme de sa rêverie. Combien de temps marcherait-il ainsi ? Il n’en avait pas idée. De toute manière, il ne pouvait pas s’égarer puisque la route menait jusqu’à la ville et comme il n’avait pas l’intention de rentrer chez ses parents, il n’aurait qu’à faire demi-tour pour remonter au campement lorsqu’il le déciderait. Déambuler seul dans la forêt en pleine nuit constituait une expérience inédite. Une nouvelle porte semblait s’ouvrir sur le monde. Ses camarades partageaient-ils la même sensation ? Bon nombre d’entre eux n’en étaient pas à leur premier feu de camps et avaient déjà l’habitude de sortir le soir pour aller faire la fête. Dans le groupe, quelques filles avaient déjà plus d’expérience et de maturité que lui.

La veille, tout le monde s’était donné rendez-vous à la sortie de la ville, en bas de la route qui montait au plateau. Certains s’accrochaient à deux par cyclomoteur, d’autres transportaient les provisions dans les sacoches de l’engin. Louis avait hérité d’un solide chargement de pain. Plusieurs garçons chevauchaient des bécanes aux couleurs des années cinquante. Louis roulait quant à lui sur un « Amigo » jaune tout neuf qui semblait prêt à faire le tour de la planète. Avec l’aide d’un grand frère qui venait d’obtenir son permis de conduire, les plus âgés du groupe avaient acheminé puis monté les tentes depuis deux jours. Ils n’étaient pas mécontents de voir arriver le reste de la troupe avec les victuailles. Après quelques bières, on relança le feu dès le crépuscule en déposant de l’épicéa et du genièvre sur les braises. Le grand frère était remonté faire un tour après avoir acheté des saucisses qu’on fit aussitôt griller. On arrosa les hot-dogs d’une piquette que l’air frisquet du plateau transforma en nectar. La fringale générale n’épargna pas une miette des baguettes pourtant réservées au petit déjeuner. Demain serait un autre jour. Quelqu’un gratta l’éternelle guitare et le genièvre pétilla dans les flammes odorantes très tard dans la nuit. Presque tout le monde tomba d’accord pour une balade au clair de lune, excepté le grand frère et ses copains qui bossaient à l’usine à quatre heures du matin. Louis tenta d’imaginer quel effet cela pouvait faire de se retrouver à l’usine à quatre heures du matin après avoir passé une partie de la nuit à boire, manger et raconter des blagues autour d’un feu de sapin et de genévrier. Maintenant, il marchait d’un pas régulier sur le goudron parfois soulevé par de grosses racines. De puissantes senteurs d’épicéa et de pin s’échappaient de cuvettes obscures et se dispersaient dans un léger souffle de brise qui retombait aussitôt. La forêt semblait se contenter de ces courtes respirations qui avaient à peine effleuré les chevelures des filles, tout à l’heure, autour du feu. Au début de sa promenade solitaire, Louis avait entendu leurs rires étouffés à mesure qu’il s’éloignait mais maintenant, le silence n’était rompu que par un froissement d’aile invisible ou le craquement d’une branche sèche. Pour se donner de l’assurance, il s’imprégna du quatrième mouvement de la septième symphonie de Gustav Mahler, l’andante amoroso intitulé « Nachtmusik » . Peut-être avait-il marché trop loin, ce qui l’obligerait à remonter très tard au campement.  Son seul désir était désormais de rejoindre le groupe qui devait déjà se retrouver réuni autour du feu. Louis regarda sa montre. Finalement, il n’avait pas pu marcher aussi longtemps qu’il en avait eu l’impression. Les autres étaient peut-être tout près, derrière quelque virage, un peu plus haut sur la route. Pourquoi n’était-il pas resté avec les filles, en particulier avec Prune qui lui avait souri quand leurs regards s’étaient croisés au moment d’allumer le foyer ? Le sourire espiègle de Prune, ses joues empourprées par la bonne chaleur du feu et le grand air, sa voix douce, quelle idée de préférer de solennelles rêveries à cette magie toute neuve... Que devait-elle penser de lui en cet instant ? Cette route forestière moirée sous le clair de lune, ce paysage qui lui évoquait Verlaine, Laforgue, ces grands arbres qui berçaient encore sous leurs ramures les féeries de son enfance, tout n’était plus qu’un décor à l’abandon, un cahier interrompu aux premières pages. La vie était auprès de Prune, il devait se rapprocher d’elle, prononcer son prénom, Anita, et non pas ce surnom, Prune, qui lui venait d’on ne sait qui. Anita ! Anita ! Il allait l’appeler par son prénom et lorsqu’elle l’entendrait l’appeler « Anita ! Anita ! » au milieu de la forêt, « Anita ! Anita ! » , elle comprendrait qu’il la préférait, elle, bien sûr, si fraîche et lumineuse, si présente et chaleureuse, qu’il la préférait évidemment aux fantômes du monde ancien. Elle le saurait, elle en aurait la certitude, comme lui. Et les autres qui entendraient prononcer son prénom ne trouveraient rien à redire à une telle évidence. « Anita ! Anita ! » Les autres ne s’étonneraient pas d’entendre la jeune fille lui répondre et l’appeler à son tour dans la nuit fantasque pour qu’il vienne enfin à elle dans le présent qu’elle incarnait et qu’il ne fallait pas manquer de vivre sans se poser trop de questions. Ce n’était pas bien compliqué, finalement. « Anita ! Anita ! »

Louis tressaillit et cessa d’appeler. Un virage un peu plus loin libéra une tache claire qui prit rapidement les contours d’une silhouette. Quelqu’un marchait à sa rencontre. Louis ne reconnut personne du campement. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer d’avancer lui aussi. Dans la poche droite de son pantalon, il n’avait que son couteau suisse qu’il avait utilisé pour tailler de petites branches de bois sec. Lorsque Louis put distinguer le visage de l’homme qui s’approchait, ils échangèrent un salut en même temps. L’homme s’arrêta puis repris son souffle. Il flottait dans un imperméable léger et Louis lui donna une cinquantaine d’années. Son expression semblait bienveillante. En restant à distance, l’homme dévisagea Louis avec intensité et déclara : « il y a du monde cette nuit dans la forêt. Je viens de croiser un groupe de jeunes gens. Des amis à vous peut-être ? » Louis se sentit soulagé. Les autres n’étaient pas loin. Ils l’avaient sûrement entendu appeler. « Je vais les rejoindre » dit Louis. « Bien sûr, jeune homme, rejoignez-les. » Et l’inconnu s’éloigna d’un pas lent. Quelques minutes après, Louis retrouva les autres qui marchaient en direction du plateau en plaisantant. Un des garçons était bien éméché. Prune riait bruyamment à chacune de ses pitreries. Elle semblait un peu ivre elle aussi. On s’assit autour du feu qu’un copain cafardeux du grand frère venait de ranimer en y jetant de grosses ramures d’épicéa. On fit circuler un paquet de cigarettes et un ange passa. Le garçon éméché saisit la guitare et frotta les cordes avec une branche comme s’il jouait du violoncelle. Louis détourna les yeux et demanda aux autres si le type qui se baladait sur la route tout à l’heure leur avait dit quelque chose. « Un type ? Quel type ? On n’a vu personne. » Prune eut un petit rire. Louis la dévisagea. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua que d’après ses calculs, il avait dû être amoureux d’elle à peu près trois quarts d’heure.


© Droits réservés (texte et photo de couverture).

12 décembre 2011

Tu écris toujours ? (68)


La suite de mon feuilleton Tu écris toujours ? dans le Magazine des livres n°33 actuellement en kiosques : titre de ce nouvel épisode : Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres. Sommaire.

MDL 33


TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE  


23 novembre 2011

Tu écris toujours ? (67)

Conseils aux écrivains qui ont des problèmesfeuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, littérature, humour, lafont presse, écrivain, auteur, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris,problème,solution,maîtresse,concubine,loir,sommeil,christian cottet-emard,blog littéraire de christian cottet-emard,condition d'auteur,voiture,roue,pneu,jante,vol,trafic


(Cet épisode de Tu écris toujours ? est paru dans le bimestriel Le Magazine des livres n°32 (septembre/octobre 2011)


L’autre jour, madame Tumbelweed, que je soupçonne d’être la concubine plus que la gouvernante de mon voisin écrivain, n’a rien trouvé de mieux à faire que de me confier ses états d’âme, ce qui prouve au moins qu’elle en a une ou, du moins, quelque chose d’équivalent. feuilleton, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, littérature, humour, lafont presse, écrivain, auteur, magazine des livres, éditions le pont du change, lyon, paris,problème,solution,maîtresse,concubine,loir,sommeil,christian cottet-emard,blog littéraire de christian cottet-emard,condition d'auteurElle m’a affirmé tout net que les écrivains sont des types à problèmes, commettant ainsi non seulement un impair puisqu’il m’arrive à moi aussi d’écrire bien que personne ne soit au courant, mais encore au pire un pléonasme, au mieux une redondance. Cela se discute mais aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur parce que je rentre de vacances. D’ailleurs, je discute peu, de préférence avec les gens qui sont toujours d’accord avec moi, et je dois dire que l’échange avec madame Tumbelweed a épuisé en quelques minutes une grande partie de mes réserves annuelles de conversation. Malgré ses qualités évidentes (cette dame cuisine le canard à l’orange comme un chef et met un point d’honneur à se raser le visage de près tous les matins pour n’être point confondue avec son frère jumeau) madame Tumbelweed n’a pas la langue dans sa poche, ce dont on doit tout de même se réjouir de la part d’une personne au physique déjà bien assez difficile. De ce fait, qu’elle puisse être la maîtresse de son employeur m’intrigue au plus haut point mais peut expliquer, s’il en était besoin, pourquoi on désigne une institutrice par le terme de maîtresse : c’est pour dissuader les petits garçons d’en prendre une lorsqu’ils seront des hommes mariés.

Mais ne nous égarons pas dans la mangrove des relations amoureuses entre personnes qui, comme disait Jacques Lacan, veulent offrir à quelqu’un qui n’en veut pas quelque chose qu’elles n’ont pas.

Revenons au reproche que madame Tumbelweed adresse aux écrivains, lesquels n’écriraient pas une ligne s’ils n’avaient point de problèmes. Du coup, il n’y aurait pas d’écrivains, pas de livres, pas de littérature, pas de rentrée littéraire, pas de Prix Goncourt, Renaudot, Femina, Interallié, Médicis et Jeux Floraux de l’Amicale des Anciens Mutilés du Travail Bénévole de la Commune de Corneille-en-Désert. Évidemment, il y aura toujours de beaux esprits pour rêver d’un monde sans rien. Patience, ce monde viendra lorsque le soleil aura enflé au point de devenir une géante rouge qui gobera notre planète comme un gourmet aspire un ortolan. En attendant cet événement reposant et définitif, il nous faut compter, n’en déplaise à madame Tumbelweed, sur tous les humains problèmes qui viennent s’étaler de manière impudique dans notre bonne vieille littérature et dans celle d’avant-garde aussi. Ceci dit, comme l’affirmait un de mes anciens supérieurs hiérarchiques avant d’être mis au placard puis viré de son entreprise à laquelle il avait presque tout donné, ce qui entre nous est une drôle d’idée, « il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions. » Comme madame Tumbelweed, j’aurais plutôt tendance à penser l’inverse tout en nuançant : l’absence de solution est parfois la solution.

Bien. Redescendons un peu des cimes de la philosophie et examinons la solution qui peut nous permettre à nous autres écrivains d’endosser un costume plus seyant que celui de « type à problèmes » , non pas pour plaire à madame Tumbelweed et à ses nombreux frères et sœurs spirituels mais simplement pour nous faciliter la vie en société. Tout repose sur un sommeil de qualité. La plupart des écrivains qui produisent des œuvres soporifiques sont de mauvais dormeurs et par conséquent de mauvais coucheurs. Le mieux est à mon avis de se référer au modèle que nous offre Mère Nature pour peu que nous soyons capables d’en observer la fabuleuse ingéniosité. Prenons un exemple classique. Vous êtes un écrivain insomniaque ? feuilleton,tu écris toujours ?,christian cottet-emard,littérature,humour,lafont presse,écrivain,auteur,magazine des livres,éditions le pont du change,lyon,paris,problème,solution,maîtresse,concubine,loir,sommeil,blog littéraire de christian cottet-emard,condition d'auteur,voiture,roue,pneu,jante,vol,traficInspirez-vous du loir et voyez comment cet astucieux mammifère rongeur sait se reposer toute la journée en dormant comme un loir. Attention cependant. On peut lire sur le site instructif http://www.marchelibre.be : « la peau qui entoure la queue du loir est susceptible de se déchirer lorsque l'animal est saisi par là. Le prédateur se retrouve alors avec un fourreau garni de poils et la proie qu'il convoitait a eu le temps de s'échapper. Les vertèbres caudales mises à nu finissent par se dessécher et par tomber. Il n'est pas rare de trouver, dans la nature, des animaux mutilés de la sorte qui semblent mener une vie parfaitement normale. »

Moi-même je me dis souvent qu’en ce qui concerne mes rythmes de sommeil perturbés, il me faudrait imiter le loir. Pour le sommeil seulement...

Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE), inédit. Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE   feuilleton,tu écris toujours ?,christian cottet-emard,littérature,humour,lafont presse,écrivain,auteur,magazine des livres,éditions le pont du change,lyon,paris,problème,solution,maîtresse,concubine,loir,sommeil,blog littéraire de christian cottet-emard,condition d'auteur,voiture,roue,pneu,jante,vol,trafic

La suite du feuilleton dans le Magazine des livres n°33 qui vient de sortir en kiosques : Conseils aux écrivains qui veulent devenir célèbres.

Photos : - quand quelqu'un a eu besoin des roues de ma voiture, à l'époque où j'habitais en ville.

- Visite d'un loir au-dessus de la porte d'entrée, chez moi à la campagne.