08 janvier 2020
Carnet / Sur l’affaire Matzneff
Vu de la province, le petit monde littéraire parisien ressemble à un aquarium rempli de poissons exotiques. On les voit tourner, s’agiter, parader et frayer dans cet univers artificiel et confiné. Certains se mangent entre eux, d’autres sont coprophages et d’autres encore, trop délicats, meurent assez vite de se trouver perdus dans cet environnement hostile auquel ils sont inadaptés. Il en est au contraire qui prospèrent longtemps dans ces eaux peu fraîches, comme ces rustiques poissons rouges si parfaitement adaptés à un milieu pourtant stérile qu’ils trouvent moyen d’y vieillir jusqu’à en devenir les derniers spécimens.
La mode de l’aquarium de poissons exotiques s’est démocratisée après 1968 dans les années 70 et 80 du siècle dernier en même temps que diverses formes de littérature se voulant révolutionnaires et transgressives, notamment dans le discours sur la sexualité.
Les livres de Gabriel Matzneff ont été publiés dans ce contexte tandis qu’on voyait sur les plateaux télévisés son visage de cire et qu’on entendait de sa voix monocorde le récit de son goût des aventures sexuelles licites et illicites l’entraînant aujourd’hui, des décennies après les faits, dans de gros ennuis au soir de sa vie.
Je sortais à peine du lycée de ma bourgade lorsque j’ai lu en diagonale quelques titres de Gabriel Matzneff achetés dans des librairies de livres d’occasion. L’étalage des mondanités et de l'activité sexuelle de Gab la rafale sur fond d’un Paris littéraire snob et moribond relevait déjà pour moi d’une de ces lectures documentaires qui nous font nous pencher un instant sur la vie étrange de peuplades lointaines dont nous préférons nous tenir à distance.
Si lire Matzneff dans son œuvre de diariste ne m’a pas rendu l’homme sympathique, notamment pour les méfaits qui lui sont reprochés maintenant, je n’ai en revanche rien à dire contre lui sur le plan littéraire et sur sa critique acérée de notre époque lamentable.
L’affaire Matzneff m’inspire deux questions : la première, pourquoi n’a-t-il pas été inquiété plus tôt au regard de la loi ? La seconde concerne le livre qui vient de paraître à son sujet : où étaient les parents de la jeune fille de quatorze ans au moment des faits ? La réponse est peut-être dans cet ouvrage que je n’ai pas lu et que je ne lirai que si on me le prête. Je ne souhaite pas l’acquérir car en dehors du témoignage auquel je n’ai aucune raison de douter à priori, je suis plus circonspect sur ce qui relève à l’évidence d’un coup d’édition parfaitement orchestré, entreprise à mes yeux toujours déplaisante voire rédhibitoire.
Ce qui est déplorable dans l’affaire Matzneff : en premier lieu, bien sûr, le comportement sexuel pervers d’un adulte avec des enfants et des pré-adolescents n’ayant pour certains pas atteint l’âge légal de la majorité sexuelle.
Mais aussi : l’attitude piteuse de ceux qui ont soutenu Matzneff sur le plan amical, financier et médiatique et qui le lâchent aujourd’hui sans états d’âme en jouant les vertueux repentants pour se mettre officiellement en conformité avec notre époque propice aux tentations de retour à une nouvelle forme d’ordre moral n’ayant rien à envier à celle qui a pourri la vie de générations entières.
Il ne s’agit pas de cautionner les dérives hors la loi qui ont accompagné la libération sexuelle des années 70 mais de s’alarmer du danger que les nouveaux accès de fièvre moraline ne finissent par conforter dans son projet politique totalitaire le fanatisme religieux et meurtrier qui n’est plus seulement en embuscade mais dans un activisme ouvertement déclaré.
Il serait souhaitable qu’on mette autant d’énergie à opposer les rigueurs de la loi aussi bien à ceux qui appellent au meurtre dans leurs chansons et dans leurs prêches qu’à un homme certes pétri de turpitude mais âgé et affaibli sur qui il est commode de s’acharner en meutes en toute bonne conscience et sans prendre de grands risques.
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05 décembre 2019
Carnet / Une leçon de Venise
Venise est bien sûr la ville de ce que j’appelle des moments à poèmes, ces étranges épiphanies somme toute assez rares dans une vie et qui surviennent aussi dans les endroits les plus inattendus. L’une d’elles a saisi le jeune homme flottant dans un imperméable gris à la mode des années 80 que j’étais ce soir-là dans un arrêt de vaporetto.
À l’intérieur de ces petites stations flottantes reliées au quai par une passerelle, règne à cette heure tardive une atmosphère d’atelier où l’on a oublié d’éteindre les néons.
C’est pourtant bien à l’éclairage jaunâtre des ateliers d’usine de ma bourgade d’origine, Oyonnax, que je pensais malgré moi avant d’entendre le moteur du vaporetto et le clapot sur sa coque.
Je ne sais pas précisément pourquoi cette pensée m’a rempli d’une joie aussi intense dans cet abri bercé par l’onde du canal et dont les vitres exposées aux embruns me renvoyaient le pâle reflet d’un jeune touriste insignifiant qui se prenait pour un roi du monde au seul prétexte qu’il était à Venise au lieu de croupir dans son lycée vétuste puis dans les locaux blafards de l’industrie où risquaient de déboucher des études trop tôt interrompues.
Je suis au moins certain qu’en ce qui me concerne, mon obsession de Venise n’est pas pour rien dans la chance qui m’a permis d’éviter ce funeste destin. Il ne s’agissait pourtant que de monter dans le dernier vaporetto du soir, celui qui, cependant, ne risque pas de vous emmener là où vous ne voulez pas aller.
Extrait de Carnet vénitien © Club et éditions Orage-Lagune-Express 2014.
Photo : Venise, années 80, en attendant le dernier vaporetto du soir. (photo M.)
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29 novembre 2019
Carnet d'avant L'Avent
À quelques jours de l'Avent, c'est toutes les années la même rengaine des blasés, des austères, des pisse-froid, des sévères, des ricaneurs, des snobs, des aigris, des constipés, de ceux qui se détestent eux-mêmes et qui veulent en faire profiter les autres, de ceux qui auraient besoin de passer huit jours sous une benne, la longue plainte des allergiques à Noël.
À chaque fois cela me rappelle cette lettre d’information du responsable d’une revue littéraire reçue voici quelques années et qui se termine ainsi : « Et ne vous laissez pas submerger par la tristesse de Noël. Je vous souhaite de survivre. »
Je suis impressionné par tant d’anticonformisme ! Normal, je fais partie des benêts un brin réacs qui aiment Noël et ses musiques. Sans pour autant me laisser ensevelir sous la pacotille des marchands du temple, sans exiger disneyland de ma commune, j’avoue adorer les guirlandes, les bougies et le sapin décoré de toutes les couleurs. Pire, bien qu’agnostique, je reconnais être encore ému par la crèche. Il m’arrive même de me débarrasser d’une pièce de monnaie pour allumer une veilleuse ou un cierge dans les églises.
Je n'y peux rien, je suis un homme simple !
01:37 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, humeur, huit jours sous une benne, avent, noël, illuminations, guirlandes, bougies, fêtes, christian cottet-emard, sapin de noël, crèche, fêtes chrétiennes, blog littéraire de christian cottet-emard, occident, culture chrétienne, mode de vie occidental, églises