02 juillet 2010
Alma s'en va (suite)
(Nouvelle en mini-feuilleton)
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
3
« Du café, major ?
— Merci. Pardonnez cette visite matinale, mais j'avais besoin de me dégourdir les jambes. J'ai marché dans la pinède et je me suis retrouvé chez vous. Votre maison est la dernière avant la dune.
— Oui. Un jour,le sable entrera par la cheminée ! Après, c'est la plage.
— J'espère ne pas vous avoir réveillé.
— Non. Je venais de prendre mon petit-déjeuner.
— Vous veniez même de commencer à écrire, ajouta le major en désignant le petit guéridon bancal qui me sert de bureau.
— Non. Je suis en panne. Ce cahier est ouvert à la même page depuis des semaines.
— Que faites-vous de vos journées?
— Je fume, je bois du café le matin et de l'alcool le soir.
— Et à part ça ?
— J'essaie d'écrire.
— Depuis quand êtes-vous installé ici ?
— Une bonne vingtaine d'années.
— Vous êtes encore jeune pour un retraité...
— J'ai beaucoup écrit pour de l'argent. Cela me permet aujourd'hui d'écrire peu pour rien.
— Je vois.
— Vous êtes venu sans votre ordonnance ?
— Il est en permission. Le temps lui sera clément.
— En effet, nous aurons une belle journée. Et cette épave ?
— Nous n'avons rien trouvé à l'intérieur.
— Qu'en pensez-vous, major ? »
L'officier sortit un morceau de bois de sa poche et le posa sur le guéridon.
« Je vous retourne la question. Pour moi, c'est un tas de bois pourri venu s'échouer sur la plage.
— Une telle quantité... Et sur une telle hauteur...
— Je vous souhaite une bonne journée. Merci pour le café.
— Vous oubliez votre pièce à conviction. »
Le major soupira.
« Vous pouvez la garder. J'en ai des tonnes sur la plage... »
4
Encore une journée sans écrire. Juste du vent, du sable, du soleil et des aiguilles de pin. Et aussi du café, de l'alcool et des cigarettes. L'hiver se déchire. Des stries de ciel bleu le craquellent comme un vieux parchemin. J'ai pu manger dehors, sur le balcon du haut, d'où l'on peut voir la mer au-delà de la dune. J'ai pris les jumelles, pour les oiseaux. L'épave est toujours là, massive. Voilà l'ordonnance du major qui tourne autour. Malgré son congé, il a gardé son uniforme. Je l'imagine facilement en civil. Il n'a rien d'un militaire. Cet air nonchalant, cette démarche souple... Tout le contraire du major. Pourtant, il m'inquiète. Sa façon de me fixer me met mal à l'aise. J'ai tort de m'inquiéter. Il ne peut pas savoir que j'ai gardé cette petite boîte puisque j'ai été le premier à pénétrer dans l'épave. Tu te fais des idées, mon petit vieux.
La boîte, la voilà. Je l'ai sous les yeux, ouverte. Des petits cailloux polis par les vagues. Avant de les réduire en sable, de siècle en siècle, l'usure les pare de couleurs qui varient selon la nature des roches. Certains sont translucides, d'autres marbrés. Quelques débris de coquillages effacés les rejoignent dans leur destin de sable. Voici même un tesson de bouteille aux faces et aux contours si bien polis qu'il s'épanouit dans tout l'éclat d'une pierre précieuse. On en trouve partout sur la plage et les gens les ramassent parce que l'eau fait chatoyer leurs teintes. À peine séchés par l'air, ils perdent de l'intensité et retrouvent leur condition de cailloux en quelques ricochets d'écume.
(À suivre...)
© Éditions Orage-lagune-Express
00:03 Publié dans Mini-feuilleton | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : feuilleton, soldat, mer, alma, alma s'en va, éditions orage-lagune-express, nouvelle, jardin d'essai, revue, christian cottet-emard, plage, épave, jeep
01 juillet 2010
Alma s’en va
(Nouvelle en mini-feuilleton)
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
1
« Je ne me souviens de rien d'autre » répondis-je au major qui arpentait les abords de l'épave encore odorante de mer. Ses bottes crissaient dans le sable encore vierge de toute trace à cette heure matinale, hormis celles de la jeep dans laquelle attendaient deux soldats. L'un écrivait sur un calepin et l'autre scrutait la mer.
« Mon ordonnance va vous raccompagner, proposa le major. J'ai encore à faire ici. »
Les yeux du soldat glissèrent de la mer vers les miens. Je compris tout de suite qu'il savait que j'avais pris quelque chose dans l'épave et que je n'en avais rien dit au major.
« Je préfère rentrer à pied car me lever tôt me donne mal à la tête. »
2
« Reprenons votre déposition, voulez-vous ? Vous avez déclaré : " j'ai été réveillé dans la nuit par un bruit qui semblait venir de la plage. J'ai eu du mal à me rendormir. "
— Oui.
— Vous n'êtes pas allé voir ?
— Si, après.
— Après avoir été réveillé ?
— Oui.
— Je reprends la suite de votre déposition. Vous dites : " j'avais réussi à retrouver un peu le sommeil lorsque la chambre s'est emplie d'une drôle d'odeur, à peine perceptible, inhabituelle, mais tenace. " C'est à ce moment que vous êtes allé voir ?
— Oui, je me suis levé. J'ai d'abord cru que je rêvais.
— Vous rêvez à des odeurs ?
— Souvent.
— Moi, cela ne m'est jamais arrivé. Je vois des images mais je ne sens jamais rien. »
Le major s'approcha de la fenêtre et regarda dehors. Il se tut un moment et alluma une cigarette. Il était las, indifférent, et cette histoire l'ennuyait. Seule la fumée l'intéressait, et le vide reposant où elle s'en allait.
« Cette odeur, essayez de me la décrire un peu plus ; " plutôt agréable ", dites-vous.
— Oui. Comme le parfum d'un arbre en fleur.
— Nous sommes en hiver, coupa sèchement le major. Oui ? Gildo ? Qu'est-ce qui vous arrive ? »
L'ordonnance s'était arrêté de taper à la machine. Son regard se planta un court instant dans le mien et m'inspira un profond malaise.
« Allons, cessez de rêvasser et notez ! »
Le crépitement de la machine à écrire reprit.
« Vous avez rêvé. Vous êtes un poète et vous rêvez de fleurs en hiver, c'est normal... »
Sur ces mots, le major alluma une deuxième cigarette.
« Peut-on savoir ce qui vous amuse ?
— Les poètes qui rêvent de fleurs » ne puis-je m'empêcher de répondre au major.
« Bien. Bien, bien... Ce sera tout pour aujourd'hui. Gildo, raccompagnez monsieur. »
L'ordonnance m'ouvrit la porte. Je ne pus soutenir son regard dans lequel je lisais : « je ne suis pas dupe ... »
(À suivre...)
© Éditions Orage-lagune-Express
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21 mai 2010
Carnet du premier quartier de lune
Dimanche dernier en début de soirée, sous un ciel encore incertain, alors que j’allumais un cigare avec une braise du barbecue, la solution au problème d’une nouvelle bloquée en plein milieu depuis au moins deux ans m’est apparue à l’improviste. Je me suis donc attelé à la tâche dès que j’ai en ai eu le loisir, dans la nuit de mercredi à jeudi. Je n’ai eu qu’à tirer un fil et toute la pelote s’est dénouée. J’en ai ressenti un intense soulagement. Vers 1h30, une fois la première version de cette deuxième partie du texte fixée, enregistrée et sauvegardée sur une clef, je me suis autorisé une pause et je suis sorti fumer un cigare dans la nuit. Quelques coups de vents finissaient de dégager le ciel de plus en plus étoilé. Dans mon coin du Haut-Jura, les étoiles brillent avec beaucoup d’intensité en raison de la faible pollution lumineuse. Après avoir fini mon cigare, je suis resté encore un moment immobile dans la pénombre lorsqu’un froissement dans les hautes herbes à ma droite a révélé le passage du renard à quelques mètres de moi. Un beau spécimen, très costaud. Il a fournaté dans les taillis, repris tranquillement son chemin en prenant soin de ne jamais s’exposer au clair de lune et a disparu dans les fourrés. C’est la première fois que je le vois d’aussi près. Quelques minutes après, le cri de la hulotte a retenti juste au-dessus de ma tête. Elle aussi était tout près. D’habitude, je l’entends dans les grands champs qui s’étendent autour de la maison. Pour finir, le chat a surgi en silence du gros buisson de lilas en fleur et m’a fait des fêtes semblables à celles qu’il me dispense à mon lever qui correspond pour lui à l’arrivée dans sa gamelle de la première boîte de la journée. Il m’a regardé avec l’air de me dire : « qu’est-ce que tu fabriques encore debout à cette heure-là ? » Pendant qu’il reprenait ses incessantes patrouilles destinées à marquer tout son territoire et au besoin à en chasser tout rival, je suis rentré et me suis remis à l’ouvrage. Une fois la narration fixée, je procède à un élagage (coupures, corrections, chasse aux coquilles) puis à un lissage (autres coupures, recherche de toutes les simplifications possibles et chasse aux fausses bonnes idées qui contentent sur le moment mais qui se révèlent souvent lamentables en seconde ou troisième lecture). Vers 3h, j’ai déclaré forfait car il me restait à éteindre les lumières, fermer les volets, vérifier le verrouillage des portes et préparer la table du petit-déjeuner. Cette dernière opération me permet de fournir le minimum d’efforts lorsque, quelques heures après, je dois me lever hébété de fatigue au moment de commencer la journée suivante...
01:56 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lune, premier quartier, nouvelle, écrire, veiller, nuit, renard, hulotte, chat, cigare