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03 novembre 2010

Carnet des premières gelées

 Après avoir entendu parler de chats campagnards qui ne refusaient pas de finir une vieille soupe mélangée à du pain, j’ai voulu tenter l’expérience en versant un reste de potage dans la gamelle du matou semi-sauvage qui s’est approprié le territoire autour de la maison. Pas concluant.

 

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Mardi après-midi, j’ai écouté à la radio une interprétation que je ne connaissais pas du cinquième concerto pour piano de Prokofiev, celle de Samson François. Je n’ai pas aimé du tout. Excepté dans Chopin et Debussy, j’apprécie peu ce pianiste mais sans doute son interprétation est-elle trop différente de celle que je préfère (Sviatoslav Richter fulgurant dans cet étrange concerto) pour que je puisse m’habituer à une autre.

 41rKY0ySUOL._SL500_AA300_.jpgLes premières gelées se succèdent. Les bons moments au coin du feu exigent une contrepartie : tronçonner et ranger des quantités de bois. Est-ce cette activité qui m’a conduit à lire Winter de Rick Bass ?   Peut-être. En tous cas, les mésaventures qu’il relate à propos du maniement des tronçonneuses incitent à la prudence. Au point de vue littéraire, je lis cet auteur sans ennui mais sans m’expliquer l’enthousiasme qu’il a pu susciter auprès de quelques critiques.

04 mai 2010

Carnet des frênes frileux

Le printemps n'en finit pas d'hésiter. Autour de la maison, les frênes semblent décidés à retenir le plus longtemps possible IMG_5997.JPGleurs feuilles. Les lilas vont bientôt s'épanouir mais si la goutte froide persiste au-dessus de nos têtes, on ne pourra pas profiter longtemps de leur parfum. Heureusement, d'autres arbres moins frileux ont déjà verdi et les haies d'épines embaument même sous la pluie. Depuis deux jours, je jette des bûches dans la cheminée et quelques vieux flacons que je réserve plutôt à l'automne et à l'hiver ont tendance à me tenter.

chan96373.jpgAinsi que j'en ai l'habitude après une nouvelle publication, j’écoute ces temps-ci encore plus de musique, notamment Sergueï Prokofiev (1891-1953) compositeur qui me passionne depuis mon adolescence. Des années plus tard, j’animais une émission de poésie sur une radio locale et le générique que j’avais choisi était le début du premier mouvement de son troisième concerto pour piano. En plus de sa musique, la personnalité de Prokofiev me fascine. On peut dire que malgré son intelligence supérieure, sa virtuosité de pianiste, sa modernité, il a été parfois injustement malmené par la critique, sans doute en raison de certains traits de caractère qui pouvaient être confondus avec un peu de froideur ou de distance.

À différentes périodes de sa vie marquée par l’exil, il tient un journal qu’il rédige en écriture abrégée (technique de prise de notes consistant à supprimer les voyelles des mots). Dans ces pages qu’il a fallu retranscrire avant leur tardive publication, on découvre un Prokofiev moins intimidant, conscient de son génie mais en proie au doute et au mal du pays. Un jour de dèche, il avoue errer dans New York avec treize cents en poche. Il a du mal à trouver sa place en Amérique où Rachmaninov lui fait de l’ombre. Même si l’Europe lui réussit un peu mieux, il peine à s’intégrer à un milieu musical qui lui est étranger. Par exemple il qualifie la musique de Debussy de gélatine ! Finalement, peu doté de sens politique, il cède à la tentation de rentrer dans son pays natal où on lui fait miroiter une reconnaissance officielle qui sera troublée par de nombreuses et graves tracasseries émanant du régime soviétique. Par une ironie du sort, Prokofiev décède le 5 mars 1953 qui est aussi la date à laquelle Staline est officiellement déclaré mort.

Finalement, c’est un piège qui s’est refermé sur Prokofiev lorsqu’il est rentré en URSS. Lorsque je pense au destin de ce compositeur génial, une phrase que j’entendais souvent dans les années 70 du siècle dernier et qui m’a toujours déplu au plus haut point me revient aux oreilles : si tu ne t’occupes pas de politique, la politique s’occupe de toi.


20 octobre 2009

« Et qui est mort et qui ne l’est pas ? » (Ezra Pound)

800px-Halloween.JPGCet été, je n’ai pas été entièrement satisfait de mes lectures et ce n’est pas le marronnier de la rentrée littéraire qui risquait de me combler de ses fruits. En plusieurs décennies, je n’ai pas le souvenir d’avoir lu un seul livre des différentes rentrées littéraires en édition brochée. Mes lectures ont pour gisement le poche et l’occasion et je ne m’aventure du côté des nouveautés que dans la petite ou microédition voire par le canal du service de presse. Seule exception, la volonté mûrement réfléchie de me procurer ce que j’appelle un livre par moi élu ou attendu. Cela ne m’empêche évidemment pas d’abuser de la presse péri ou paralittéraire, même si je ne suis presque jamais ses avis.

Ne pas tomber sur les bons livres au moment où j’en ai besoin ne serait pas grave si cela ne réveillait pas tout de suite en moi la très désagréable sensation de ne pas être vivant, sensation que j’éprouve encore plus profondément dès que me parviennent les bribes du radotage permanent qu’on appelle les informations à la radio et à la télé, ces chroniques de la non-vie censées refléter nos préoccupations quotidiennes débitées dans un vocabulaire dont tous les mots sont truqués ou vides de sens. Dans ces informations qui n’en sont pas et dans lesquelles j’inclus la publicité, je trouve encarté dans un hebdo culturel un dépliant où le mot « joie » est répété à satiété à seule fin de fourguer de la bagnole et encore de la bagnole. On a la « joie » qu’on peut...

Heureusement, dans le courrier des lecteurs du même hebdo, cette apostrophe d’un correspondant, Rémy Aune : « Esclaves... qui vont faire leurs courses le dimanche dans un supermarché désormais ouvert, qui dorment avec leur portable et sont incapables de l’éteindre, qui se battent lors des soldes pour un objet ou des vêtements superfétatoires, qui marchent dans la rue la bouche ouverte, le regard vide, l’œil bovin et les oreilles explosées de bruit, qui campent trois jours devant une salle de concert, qui achètent mille fois son prix le maillot d’une équipe de football, qui s’endettent pour un écran plat, à tous ces esclaves qui se croient libres, je suggérerais la lecture du texte d’Etienne de la Boétie : Discours de la servitude volontaire. »

J’ai toujours aimé aborder les œuvres littéraires par le biais des musiques qu’elles inspirent parce que la musique a autant d’importance pour moi, parfois plus, que la littérature. Je n’ai pas procédé autrement lorsque j’ai découvert, voici bien des années, Le Lieutenant Kijé de Serge Prokofiev, œuvre composée d’après la nouvelle de Iouri Tynianov, et Le Coq d’or, l’opéra de Nikolaï Rimsky-Korsakov, d’après le conte de Pouchkine. Dès que mes explorations littéraires marquent le pas, je retourne à la mise en perspective de ces chefs-d’œuvre dont le sens n’en finit plus de ricocher. Je ne peux évoquer les auteurs russes qui me parlent le plus sans évoquer Nikolaï Gogol, notamment ses Âmes mortes.  Malgré leur part d’engagement politique contestataire, Le Lieutenant Kijé, Le Coq d’or et Les Âmes mortes restent avant tout des créations artistiques d’une portée bien supérieure et sont des œuvres ironiques à propos desquelles on pourrait citer Ezra Pound  : « Et qui est mort et qui ne l’est pas ? » . Question que posait Pier Paolo Pasolini en pleine société de consommation  au vingtième siècle : «  Ce nivellement culturel auquel le fascisme n’avait pu parvenir en vingt ans, la civilisation du bien-être l’a obtenu en quelques années seulement. Nous sommes tous morts et nous ne le savons pas encore... » Question d’une lancinante actualité dans nos pays riches en ce début du vingt-et-unième siècle.

Note : Le Lieutenant Kijé est un officier inexistant (au sens propre) né d’une ligne fautive dans un registre de la bureaucratie tsariste. Personne n’osant avouer la coquille à l’origine de l’erreur, l’officier inexistant va poursuivre toute sa carrière militaire.
Dans l’épilogue du Coq d’or, il apparaît que la plupart des personnages n’existaient pas.
Dans Les Âmes mortes, le mot « âmes » désigne des serfs décédés mais considérés comme vivants d’un point de vue administratif.

Photo de citrouille Halloween prise sur Wikipédia