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05 mai 2018

Mauvais esprits, nous m’dame ?

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Autour du lycée, les préfas poussent comme des verrues sur un visage obèse qui peut tout aussi bien être celui du proviseur. Convoqué dans le bureau de cet homme sans cou ni taille, en raison de mon absence permanente au cours de gymnastique, j’ai failli m’asseoir sur son chapeau déposé là par quelque haineux subalterne.

Vraiment fort le proviseur : Voltaire dans un sermon, il fallait oser. Le chapeau sur la chaise, à côté, c’est l’harmonie, la logique, l’équilibre... La grâce ? Tout de même, n’exagérons rien.

La grâce, c’est plutôt le rayon de la prof de français, joli brin de fille épanoui entre les lézardes des préfas aux quatre vents mutins des affectations. Une fleur de décombres en quelque sorte, une belle plante rudérale... Dans la bouche du proviseur, Voltaire cité en rafales automatiques siffle mépris et reproches et sent l’aigre des digestions approximatives. Entre les lèvres de la prof de français, Voltaire gazouille tel l’oiseau de la pluie dans l’effluve d’un Chanel au numéro inférieur ou égal à ma moyenne en maths.

Cette appétissante oiselle a ses pudeurs. Elle nous fait travailler Voltaire dans une édition de classiques à deux sous vierge de tout épisode égrillard, notamment expurgée d’une bonne partie du chapitre seizième de Candide. Voltaire y prend plaisir à relater les clameurs qui partaient de deux filles toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses.

Nous sommes deux dans la classe à posséder les romans et les contes de Voltaire dans une édition de poche récente qui donne le texte intégral, selon la formule consacrée, ce qui nous conduit à demander l’autorisation de lire le passage manquant où Candide prend son fusil espagnol à deux coups, tire et tue les deux singes. Dieu soit loué, mon cher Cacambo ! J’ai délivré d’un grand péril ces deux pauvres créatures : si j’ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je l’ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles...

À la vue du rictus qui commence à tortiller le minois de la petite prof, nous comprenons que cette adepte de Voltaire allégé regrette aussitôt de nous avoir donné la parole. Pourtant, le plus dur est à venir. Candide continue de se féliciter de sa bonne action mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles fondre en larmes sur leurs corps, et remplir l’air des cris les plus douloureux. Je ne m’attendais pas à tant de bonté d’âme dit-il enfin à Cacambo ; lequel lui répliqua : vous avez fait là un beau chef-d’œuvre, mon maître ; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles.

Cette fois, le rictus libère une sorte de coassement. Le visage de notre juvénile enseignante vient de prendre quinze ans en deux secondes, et tout cela à cause de nous, adolescents vulgaires travaillés par nos hormones.

— Excusez-nous m’dame. Pour nous faire pardonner, on va vous lire un autre passage extrait de Micromegas et qui manque aussi à votre édition : son Excellence se coucha de tout son long car s’il se fût tenu debout, sa tête eût été trop haut au-dessus des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d’appeler par son nom, à cause de mon respect pour les dames...

— Mauvais esprits, nous m’dame ? Eh ben, si on peut même plus participer...

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Illustrations : détail de la statue de Voltaire installée à Oyonnax et 4ème de couverture de la revue Le Croquant n°16

 

 

03 mai 2018

Pourquoi je trouve judicieux le choix d'une statue de Voltaire à Oyonnax

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Voltaire est l’un de nos grands écrivains et philosophes. Il est bon qu’Oyonnax célèbre le patrimoine littéraire français, ce qui devient hélas de moins en moins courant dans l’espace public, surtout dans les nouveaux quartiers. C’est bien différent à l’étranger. Au Portugal par exemple, un pays où j’aime beaucoup séjourner, on voit partout des représentations de poètes et d’écrivains sous formes de portraits et de statues dans les rues, les squares et même les restaurants !

Voltaire est l’un des penseurs les plus connus du courant culturel et philosophique des Lumières, ce qui fait sens à notre époque où l’on voit le retour de certaines formes d’obscurantisme religieux et d’attaques répétées contre la laïcité. À Oyonnax comme ailleurs, il est utile de rappeler la pensée de Voltaire qui était très critique à l’encontre du fanatisme, de la superstition et des abus des religions.

Pour ces raisons et parce qu’il incarne une forme positive de la modernité, Voltaire a sa place dans le nouveau quartier central d’Oyonnax (par ailleurs très réussi) où sa statue est installée.

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06 avril 2018

Carnet / Des résidences d'écrivains

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J’ai lu ce journal avec beaucoup d’intérêt car, conforme à ce que j’imaginais d’un tel dispositif dans une ville qui confond action culturelle et action sociale, il m’a enlevé tout regret d’avoir écarté l’idée même de partir en résidence. Le quotidien de sa mission (qu’elle décrit d’ailleurs sans se plaindre) serait au-dessus de mes forces et de ma capacité pratiquement inexistante d’adaptation à un tel contexte.

 

Pour les auteurs qui n’ont pas comme moi la chance de pouvoir se consacrer exclusivement à l’écriture, la résidence d’écrivain constitue l’une des alternatives à la pratique d’un second métier alimentaire.

 

À l’origine, le concept offrait un indéniable attrait pour qui ne craignait pas de bouger d’un pays ou d’une région à l’autre, surtout lorsqu’il s’agissait de résidences essentiellement destinées à favoriser la création littéraire en donnant à l’auteur toute liberté de mener une de ses œuvres à terme et en lui garantissant non seulement le gîte mais encore une rémunération correcte. Dans le meilleur des cas, cette œuvre n’avait pas forcément un rapport avec le lieu d’accueil et l’on pouvait ainsi parler d’une forme de mécénat.

 

Hélas, ce concept est aujourd’hui de plus en plus dévoyé et rares sont désormais les résidences qui n’obligent pas l’auteur à se prêter à des activités d’animation scolaire et sociale souvent au détriment de la création littéraire. Le but premier de la résidence qui consistait en l’écriture d’un ouvrage littéraire est de nos jours passé au second plan.

 

Cette dérive a commencé le jour où l’on a demandé à l’auteur d’écrire un texte en lien avec son lieu de résidence, ce qui a rapidement et fréquemment donné de piètres résultats, des textes de commande au pire sens du terme. La situation s’est aggravée lorsque l’auteur a été contraint d’animer des ateliers d’écriture, de participer à des projets pédagogiques voire à intervenir dans des milieux sensibles (quartiers difficiles, prisons).

 

Presque tous les auteurs en résidence que je connais travaillent maintenant sous cette contrainte et ont souvent du mal, au sein même de ce dispositif, à dégager le temps, la concentration et l’énergie nécessaires à leur propre création même si certains à la fibre plus sociale s’en sortent mieux que d’autres.

 

À l’époque pénible où je devais concilier écriture et second métier purement alimentaire, ce qui ne me mettait pas de bonne humeur, il s’était bien sûr trouvé de bonnes âmes pour me conseiller de poser ma candidature à des résidences d’auteurs. C’était méconnaître mon allergie à toute mobilité géographique professionnelle. À l’exception des voyages de tourisme et d’agrément, je suis totalement perdu et angoissé dès que je suis loin de chez moi, de mes proches, de mes repères, de mon confort et de ma routine matérielle. Cerise sur le gâteau, je suis incapable de me repérer rapidement en terrain inconnu. Quant aux grandes villes, les seules où j'arrive à ne pas me perdre sont Venise, Lisbonne et Lyon.

 

Malgré ces mauvaises dispositions, une résidence parmi beaucoup d’autres avait attiré mon attention parce qu’elle semblait conforme à l’esprit d’origine du dispositif. Peu de temps après avoir demandé des précisions aux organisateurs, j’ai reçu une lettre de l’écrivain et poète Jean-Claude Pirotte. Le ton était aimable et chaleureux et Pirotte m’expliquait que cette résidence pouvait me convenir si elle parvenait à continuer alors que les difficultés financières menaçaient son fonctionnement.

 

Le temps que je me décide à répondre, la résidence avait été supprimée. Je dois avouer avec un peu de honte que j’en ai conçu un indéniable soulagement. J’ai gardé en souvenir l’enveloppe décorée d’un dessin de la propre main de Jean-Claude Pirotte. Elle contenait les modalités de la résidence et un de ses livres. Au moins, je n’avais pas fait la démarche pour rien.

 

PS : ce lien vers un texte (de mauvaise foi) sur le thème des résidences d’écrivains, extrait de mon livre Tu écris toujours ? (éditions Le Pont du change).