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06 mars 2021

Paysage / Évasion

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Dans une petite ville de province sans autre intérêt que celui qu’on veut bien lui prêter, on détruisit un jour un square minuscule pour construire une gare routière. Des arbres maigrichons mais gracieux furent empilés avec de vieux bancs publics dans la benne d’un camion.

Un poète à qui l’idée d’écrire un poème ne serait pas venue mais qui savait très bien prendre des photographies avait réuni dans un album, peu avant la destruction, des images du square.

Je relate ceci, croyez-moi, sans la nostalgie poisseuse en vogue ces derniers temps. Non. C’est juste une histoire de lumières pâles dans le soir bleu et de quelques piétons un peu plus attentifs que d’autres aux paysages qu’ils frôlent de leur pas le plus banal. Juste une histoire de paysage remplacé par un autre paysage où se croisent sans se voir des passants, un poète-photographe et encore d’autres passants.

Adulte, je traverse parfois l’étendue de la gare routière. Enfant, adolescent, je coupais souvent par le petit square et, entre ces deux époques (ou entre ces deux lieux), il y a quelque chose  que je ne peux pas décrire mais qui existe pourtant avec force. Quelque chose qui pourrait peut-être se nommer dans mon esprit lorsque je tourne les pages de l’album photographique. Quelque chose qui pourrait se traduire par « paysage / évasion » et qui chante en moi.

(Extrait de mon livre Le Grand variable, éditions Editinter, 2002, épuisé.)

Photo : Oyonnax, le petit square disparu, place de la gare, 1973.

Un autre texte inspiré par le petit square disparu ici.

 

27 octobre 2020

Le virage du pays natal

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Photo © Christian Cottet-Emard

 

Tu conduis sur les jolies routes ainsi les désignait ton père avant que ne vienne ton tour de tenir le volant et de voir défiler le paysage de toujours

 

Le paysage de toujours pourtant différent du seul fait que tu sois passé de la banquette arrière au siège avant

 

L’herbe des talus les vieilles bornes la maison vide du garde-barrière le château d’eau

 

le goudron qui coupe la forêt en deux

 

les grandes fougères qui s’inclinent au passage de l’auto les feuilles de charme de foyard de noisetier qui s’envolent dans la lunette arrière

 

le bras d’une rivière ombreuse à l’onde rapide les ponts sur la brume

 

le restaurant au menu très ordinaire l’autorail bicolore trente secondes dans la même direction puis qui prend la tangente

le tracteur piloté par une jeune femme rousse toute menue

 

le hérisson qui a de la chance la buse variable sur un poteau de ligne électrique les géraniums d’un hameau désolé

 

le cimetière à la grille rouillée où s’alignent quatre tombes de petits jeunes de vingt ans morts pour une querelle de vieux vampires consanguins à particules et à la progéniture reconvertie en barons et capitaines d’industrie

 

les wagons abandonnés la draisine en panne des années cinquante sur une voie de garage

 

l’horaire des messes l’enseigne décolorée Vin fou la drôle d’odeur les gouttes sur le pare-brise l’éclaircie

 

le soleil du soir dans les yeux le grand-père à sa fournache

 

le nuage en forme d’ours le coup de vent qui emporte un journal

 

la ligne droite entre les platanes la grande côte en lacets la falaise

 

encore l’autorail très loin accroché à flanc de montagne l’épingle à cheveux la descente

 

le mauve bonbon d’une ampoule d’éclairage public pour deux maisons

 

la déviation par la petite route au bord de la rivière profonde le héron

 

le clocher les bâches de la fête foraine le lac le petit barrage les nids-de-poule sous l’allée de saules

 

la pipistrelle la lune dans les frênes le dos d’âne le panneau Fin de déviation

 

Et bientôt ce virage après toutes choses banales dit-on qui ne cesseront de t’étonner

 

le virage du pays natal où tout semble à peine moins étrange

 

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06 février 2015

Carnet / Pour quelques grands arbres

L’enfance du piéton

patiente

dans le grand âge de l’arbre

ai-je écrit juste après quelques pas sous l’un des plus anciens et des plus hauts feuillages du parc. J’arpente ce jardin public depuis que je sais marcher. 

À l’évidence, ces grands arbres me parlent ou quelque chose ou quelqu’un me parle à travers eux. L’enfant resté au bord de la route de Jean Tardieu? Ma propre voix que je comprends si mal ? Pourquoi ne suis-je pas parti ? (puisque toujours résonne en moi le sec constat de René Char, « Écrire : s’exclure » .

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Je les soupçonne, ces arbres, d’être pour quelque chose dans mon enracinement. Ce sont eux les arbres et c’est moi qui ai les racines. Pour moi, ils sont éternels puisqu’ils étaient là avant moi et que leur longévité est bien supérieure à la mienne, même si je vis jusqu’à cent ans, même si certains d’entre eux ne sont pas à l’abri d’un accident (sécheresse, tempête, foudre...), d’une attaque (bûcheron, « paysagiste »...), ou d’une maladie (champignon, insecte xylophage...) autant de péripéties qui pourraient venir contrarier leur destin. Lorsqu'ils disparaissent d’une rue ou d’une place où j’aime faire un détour, j’ai l’impression que la rue et la place s’évanouissent ou qu’elles existent moins, que le paysage a été gommé par la main brouillonne de quelqu’un qui n’arrivera pas à le redessiner.

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Bien sûr, on est parfois obligé, surtout en ville, de remplacer certains arbres trop vieux et malades par d’autres qui joueront à leur tour leur rôle de témoin d’éternité pour celles et ceux qui attachent de l’importance à ces choses-là mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’une vie réussie est celle qui s’est épanouie du début à la fin sous les mêmes arbres. Je crois avoir eu cette chance jusqu’à maintenant et je touche du bois (!) pour que cela continue. 

Il n’est guère de jours où je ne passe sous les vieux platanes noueux qui me voyaient marcher tout gosse le nez en l’air entre l’église Saint-Léger et l’école Jeanne d’Arc, peu de semaines sans une visite aux quatre sapins pectinés de quarante mètres de haut que les siècles ont légué à mes promenades en forêt (même si, du plus colossal du groupe, âgé de 225 ans, avec près de 4 mètres de tour, ne reste que la souche après ce funeste soir de la tempête du 27 décembre 1999), peu de temps, en somme, sans les marronniers des parcs et jardins qui, l’automne, me fournissaient en munitions lorsque dégénéraient les cavalcades et bagarres de sorties de classe. 

Je trouve tout le reste futile. Je mesure le luxe extraordinaire qui m’est donné de pouvoir dire cela et j’en remercie je ne sais qui car je n’ai malheureusement pas la Foi mais je remercie quand même car je n’aime pas l’ingratitude.

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Voilà peut-être pourquoi je ne suis pas parti, pourtant très tôt conscient que mes projets littéraires, conçus dans l’enfance, ne trouveraient pas d’humus plus pauvre, de sol plus aride et de cieux plus indifférents que ceux de ma terne bourgade recroquevillée dans sa nostalgie mortifère de gloires artisanales puis industrielles fugaces au beau milieu d’une immensité de splendeur végétale.

« Écrire : s’exclure » ou plutôt écrire : partir, ce à quoi, m’étant pourtant exclu sans regret, je n’ai pu me résoudre, sans doute pour quelques grands arbres...

Texte paru dans la revue Le Croquant. Droits réservés.