Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06 juin 2018

Carnet / Du vertige et de l’angoisse de la page noire

porto,portugal,carnet,note,journal,prairie journal,christian cottet-emard,journal de bord,billet,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,écriture,correction d'épreuves,relecture,pages,porto,image,vertige,doute

La relecture d’un livre au stade du manuscrit ou des premiers jeux d’épreuves est une phase durant laquelle il peut m’arriver de détester mon texte. Dans ces moments, je me dis qu’il faudrait cesser d’écrire, qu’il est ridicule de continuer d’ajouter des pages à toutes celles qui sont noircies dans le monde. Seul devant mon écran, le même vertige peut me saisir que dans une grande librairie où chaque ouvrage attend d’entrer le plus souvent quelques heures ou plus rarement toute une vie dans la tête de quelqu’un. Le vertige est aussi celui du néant : la tentation de jeter les épreuves papier au milieu des bûches qui flambent dans la cheminée ou de cliquer sur supprimer dans le menu du logiciel. Mais si écrire de la fiction romanesque, des essais ou de la poésie n’est pas une bonne idée, détruire ce que j’ai écrit n’en est pas forcément une meilleure. Alors, puisque la nature a horreur du vide...

Photo : vertige à Porto (photo © Ch. Cottet-Emard)

 

06 février 2015

Carnet / Pour quelques grands arbres

L’enfance du piéton

patiente

dans le grand âge de l’arbre

ai-je écrit juste après quelques pas sous l’un des plus anciens et des plus hauts feuillages du parc. J’arpente ce jardin public depuis que je sais marcher. 

À l’évidence, ces grands arbres me parlent ou quelque chose ou quelqu’un me parle à travers eux. L’enfant resté au bord de la route de Jean Tardieu? Ma propre voix que je comprends si mal ? Pourquoi ne suis-je pas parti ? (puisque toujours résonne en moi le sec constat de René Char, « Écrire : s’exclure » .

arbre,grands arbres,carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,blog littéraire de christian cottet-emard,doute,question,parc,nature,promenade,oyonnax,ain,rhône-alpes,france,europe,christian cottet-emard,épicéa,sapin,orme,hêtre,sapin pectiné,frêne,église saint léger,école jeanne d'arc,platane,marronnier,érable plane,tempête 1999,écolier,rené char,jean tardieu,poésie,littérature,souvenir,nostalgie,mélancolie,paysage,évasion,racines,enracinement

Je les soupçonne, ces arbres, d’être pour quelque chose dans mon enracinement. Ce sont eux les arbres et c’est moi qui ai les racines. Pour moi, ils sont éternels puisqu’ils étaient là avant moi et que leur longévité est bien supérieure à la mienne, même si je vis jusqu’à cent ans, même si certains d’entre eux ne sont pas à l’abri d’un accident (sécheresse, tempête, foudre...), d’une attaque (bûcheron, « paysagiste »...), ou d’une maladie (champignon, insecte xylophage...) autant de péripéties qui pourraient venir contrarier leur destin. Lorsqu'ils disparaissent d’une rue ou d’une place où j’aime faire un détour, j’ai l’impression que la rue et la place s’évanouissent ou qu’elles existent moins, que le paysage a été gommé par la main brouillonne de quelqu’un qui n’arrivera pas à le redessiner.

arbre,grands arbres,carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,blog littéraire de christian cottet-emard,doute,question,parc,nature,promenade,oyonnax,ain,rhône-alpes,france,europe,christian cottet-emard,épicéa,sapin,orme,hêtre,sapin pectiné,frêne,église saint léger,école jeanne d'arc,platane,marronnier,érable plane,tempête 1999,écolier,rené char,jean tardieu,poésie,littérature,souvenir,nostalgie,mélancolie,paysage,évasion,racines,enracinement

Bien sûr, on est parfois obligé, surtout en ville, de remplacer certains arbres trop vieux et malades par d’autres qui joueront à leur tour leur rôle de témoin d’éternité pour celles et ceux qui attachent de l’importance à ces choses-là mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’une vie réussie est celle qui s’est épanouie du début à la fin sous les mêmes arbres. Je crois avoir eu cette chance jusqu’à maintenant et je touche du bois (!) pour que cela continue. 

Il n’est guère de jours où je ne passe sous les vieux platanes noueux qui me voyaient marcher tout gosse le nez en l’air entre l’église Saint-Léger et l’école Jeanne d’Arc, peu de semaines sans une visite aux quatre sapins pectinés de quarante mètres de haut que les siècles ont légué à mes promenades en forêt (même si, du plus colossal du groupe, âgé de 225 ans, avec près de 4 mètres de tour, ne reste que la souche après ce funeste soir de la tempête du 27 décembre 1999), peu de temps, en somme, sans les marronniers des parcs et jardins qui, l’automne, me fournissaient en munitions lorsque dégénéraient les cavalcades et bagarres de sorties de classe. 

Je trouve tout le reste futile. Je mesure le luxe extraordinaire qui m’est donné de pouvoir dire cela et j’en remercie je ne sais qui car je n’ai malheureusement pas la Foi mais je remercie quand même car je n’aime pas l’ingratitude.

arbre,grands arbres,carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,blog littéraire de christian cottet-emard,doute,question,parc,nature,promenade,oyonnax,ain,rhône-alpes,france,europe,christian cottet-emard,épicéa,sapin,orme,hêtre,sapin pectiné,frêne,église saint léger,école jeanne d'arc,platane,marronnier,érable plane,tempête 1999,écolier,rené char,jean tardieu,poésie,littérature,souvenir,nostalgie,mélancolie,paysage,évasion,racines,enracinement

Voilà peut-être pourquoi je ne suis pas parti, pourtant très tôt conscient que mes projets littéraires, conçus dans l’enfance, ne trouveraient pas d’humus plus pauvre, de sol plus aride et de cieux plus indifférents que ceux de ma terne bourgade recroquevillée dans sa nostalgie mortifère de gloires artisanales puis industrielles fugaces au beau milieu d’une immensité de splendeur végétale.

« Écrire : s’exclure » ou plutôt écrire : partir, ce à quoi, m’étant pourtant exclu sans regret, je n’ai pu me résoudre, sans doute pour quelques grands arbres...

Texte paru dans la revue Le Croquant. Droits réservés.

24 mai 2014

Carnet / Sous le ciel bas

Samedi dernier j’ai de nouveau écouté en concert privé (chez Olivier Leguay et dans son interprétation) les œuvres pour piano du compositeur américain Morton Feldman que j’avais découvertes il y a quelques semaines lors d’une soirée entre amis et mélomanes, notamment  Palais de Mari qui est revenu aujourd’hui me trotter dans la tête alors que je regardais mes frênes battre leur record de lenteur pour pousser leurs nouvelles feuilles.

carnet,note,journal,blog littéraire de christian cottet-emard,doute,scepticisme,méfiance,lilas,pivoines,iris,morton feldman,olivier leguay,georges-emmanuel clancier,la grande librairie,ciel bas,littérature,poésie,palais de mari,musique américaine,cigare,efferalgan,douleurs à la nuque,grillons,limites,campagne,prairie,prairie journal,écriture de soi

Cette année, toute la végétation est très en retard. Les lilas sont en train de passer et les pivoines encore en boutons contrairement aux iris en majesté pour me rappeler que nous sommes fin mai dans ce déprimant premier semestre.

Ce vendredi soir, après de violentes douleurs à la nuque heureusement enrayées par l'efferalgan (que deviendrais-je sans ce médicament ?) je suis sorti fumer un cigare dehors. La nuit permet d’oublier le ciel bas. Les derniers parfums des lilas mêlés aux stridulations des grillons redonnent un peu de baume au cœur dans cette interminable et affreuse grisaille jurassienne.

carnet,note,journal,blog littéraire de christian cottet-emard,doute,scepticisme,méfiance,lilas,pivoines,iris,morton feldman,olivier leguay,georges-emmanuel clancier,la grande librairie,ciel bas,littérature,poésie,palais de mari,musique américaine,cigare,efferalgan,douleurs à la nuque,grillons,limites,campagne,prairie,prairie journal,écriture de soi

Il me faudrait sans doute prendre des leçons d’énergie vitale auprès de poètes tels que Georges-Emmanuel Clancier. Le voir et l’entendre parler tranquillement et en apparence sereinement à cent ans de la force de la poésie sur le plateau de l’émission La Grande librairie que j’ai regardée ce soir sur mon ordinateur devrait m’encourager à remonter la pente ou, du moins, à m’en tenir avec plus de rigueur et de confiance en moi à mes propres chantiers littéraires.

Mais je ne suis pas certain qu’il soit judicieux, quand on est comme moi un homme gouverné par le doute, le scepticisme, la méfiance et le sentiment permanent de l’absurde, qu’il soit judicieux dis-je, de tenter de puiser exemple et forces auprès de tempéraments si différents du mien.

Peut-être au contraire faut-il que j’aie la force de remonter du puits obscur que je suis (re) devenu cette eau rare et fraîche qui semble couler en abondance et en surface chez des personnalités plus actives et sûres d’elles que moi mais dans l’élan desquelles je risquerais de me perdre en me faisant distancer.

Toujours le même problème : se connaître et en tirer les conséquences, identifier ses limites, les accepter et ne pas céder au nouveau conformisme ambiant qui fait croire à qui a envie de le croire qu’il n’existe pas de limites ou que nous pouvons indéfiniment et impunément repousser les nôtres alors qu’elles constituent l’essentiel de ce que nous sommes lors de notre inexplicable et bref passage en ce monde.