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30 avril 2019

Carnet / Aides et récompenses littéraires : coups tordus et foire d’empoigne.

carnet,note,journal,chronique,édition,coulisses de l'édition,prix littéraires,bourses d'écriture,aides littéraires,subventions,jury,lauréat,concours littéraires,littérature,petite cuisine de la littérature,blog littéraire de christian cottet-emard,la grande librairie,télévision,émission la grande librairie,émission littéraire,programme littéraire,promotion,plateau télé,manuscrits,dossiers de candidature,éligibilité,auto-édition,éditeur,poésie,roman,centre national du livre,cnl,christian cottet-emardJ’ai vu passer sur internet une pétition pour que l’émission littéraire La grande librairie invite aussi les auteurs publiés par les petites maisons d’édition.

Cette pétition part d'une bonne intention et d'un constat exact. Les petites maisons d’éditions indépendantes et leurs auteurs sont effectivement ignorés par les médias de grande diffusion mais cela relève un peu de la découverte de la lune !

Nous sommes là dans un circuit industriel dans lequel tout n'est d'ailleurs pas à jeter mais qui, en toute logique, défend âprement son monopole. Il s’agit de temps d’antenne, rare et cher, et de concurrence féroce entre grands groupes. Dans une telle foire d’empoigne, difficile de croire qu’un animateur aussi bien intentionné soit-il puisse avoir la liberté de réserver quelques minutes voire quelques secondes de plateau à un auteur inconnu publié par un éditeur discret ! Voila qui est bien dommage mais il y a plus préoccupant.

Lorsque j’ai commencé à publier tant bien que mal dans les années 80, deux dispositifs pouvaient encore donner une chance infime à des inconnus, méconnus et débutants non recommandés car sans réseau d’accéder à un début de visibilité : quelques prix littéraires décernés sur manuscrits et des bourses d’écriture. Tout cela n’était déjà certes pas parfait et affecté de fréquentes dérives voire parfois de magouilles mais avait au moins le mérite d’exister.

Quelques auteurs et quelques œuvres ont pu ainsi bénéficier d’un petit tremplin vers la notoriété. Beaucoup n’ont pu transformer l’essai, comme on dit dans le ballon, et quelques-uns, devenus de vrais professionnels de la constitution de dossiers de candidature à ces aides et à ces prix, en ont habilement vivoté.

Il suffisait en ces temps de début d’assistanat littéraire de pouvoir faire état d’une première publication, même confidentielle et en principe à compte d’éditeur, pour être déclaré éligible.

Il n’en va plus de même aujourd’hui. Les prix littéraires conséquents et médiatisés décernés sur manuscrits se sont considérablement raréfiés, notamment dans le secteur de la poésie. Pire, certains de ces prix débouchant jadis sur une publication sérieuse profitant donc à un lauréat inconnu ou débutant ont inversé leur fonctionnement et gratifient désormais des auteurs confirmés. C’est ce qui s’appelle passer des couronnes de laurier aux couronnes mortuaires. Il ne s’agit plus d’un jury qui sort le lauréat de l’ombre mais d’un lauréat qui éclaire le jury. Le mieux est d’en rire car ce n’est que pathétique mais il y a plus vicieux.

L’attribution des bourses littéraires relevant de ce qu’on appelle les aides à l’écriture a glissé sur la même pente.

Ces bourses ne sont pas distribuées comme des petits pains. Pour être admis à présenter un dossier de candidature dont on se demande si l’argumentaire et la forme ne sont pas plus importants que le fond du projet littéraire, il faut non seulement faire état d’au moins un livre publié à compte d’éditeur, ainsi que cela était toujours requis, mais encore établir désormais que ce livre fait l’objet d’un contrat d’édition classique assorti d’une diffusion et d’une distribution suffisantes en librairie.

Il est même fréquent qu’un tirage minimum soit exigé (500 exemplaires pour le roman et 300 pour la poésie, ce qui, en France, est déjà considérable pour un premier livre d’un auteur en devenir). Or, celles et ceux qui ont besoin d’être aidés, en particulier les jeunes, sont justement les moins à même de satisfaire à ces critères, notamment à cette exigence supplémentaire de diffusion et de distribution. Cela signifie en résumé que plus que jamais, on ne prête qu’aux riches.

Le résultat de ces conditions de plus en plus restrictives à la possibilité de présenter une candidature à ces dispositifs d’attribution de bourses ne s’est pas fait attendre. Seuls les auteurs déjà lancés dans le circuit et, répétons-le au passage, les virtuoses du dossier bien ficelé, bénéficient du système. Les autres resteront à la porte et ceux qui décideront de s’aider eux-mêmes dans une démarche qualitative et raisonnée d’auto-édition se verront traités avec le même dédain que s’ils publiaient à compte d’auteur chez n’importe quel prestataire douteux, ce qui est pourtant radicalement différent.

Dans un tel contexte d’exclusion, difficile de ne pas en conclure que les seuls critères qui devraient pourtant prévaloir, l’intérêt et la qualité du texte, semblent passer au second plan.

 

Note : à qui verrait éventuellement dans mon analyse l’expression d’une plainte ou d’une frustration personnelle, je tiens à préciser que j’ai bénéficié d’une bourse du CNL (Centre National du Livre). J’aborde donc ces sujets sans passions tristes.

 

06 mars 2017

Dans la presse / Le scandale Mehdi Meklat ou les dérives de la gauche culturelle

À lire sur Le Point, sous la signature de Brice Couturier, ici.

 

03 mars 2017

Scandale Mehdi Meklat : la piteuse mise au point de Télérama

nouvelles du front,polémique,tweets injurieux,télérama,scandale,complaisance,aveuglement,déni,rebelles subventionnés,abus,presse,télé,la grande librairie,le monde,les inrockuptibles,fondation cartier,mehdi meklatSi je reviens sur le scandale Meklat, ce n’est pas par intérêt pour la personnalité négligeable de cet individu, de cette créature (non, le terme est encore trop noble) disons plutôt de ce produit fabriqué par la gauche culturelle. C’est parce que cette lamentable affaire permet de lever un coin du voile qui permet à cette gauche de persister et de signer dans son aveuglement face au péril.

C’est par exemple sous la signature d’une rédactrice de Télérama que le lectorat de ce programme télé a dû cette semaine se contenter d’un articulet digne d’un  numéro d’équilibriste en guise de mise au point.

L’affaire est si embarrassante pour ce temple de la pensée édifiante et de la morale politiquement correcte qu’est devenu Télérama (Meklat était en couverture en octobre 2015 !) que la notule a été judicieusement mise en page, de manière à ce qu’elle puisse être lue par ceux qui avaient le mauvais goût d’attendre des explications et zappée par ceux qui veulent à tout prix « passer à autre chose » selon l’expression à la mode dès qu’une vérité les dérange.

Le texte de cet article discrètement maquetté page 15 pour ne pas être vu est quant à lui d’une tartufferie qui prêterait à rire s’il y avait encore de quoi.

On y découvre Meklat en « jeune homme talentueux, journaliste, réalisateur et coauteur » (rien que ça à vingt et quelques années à peine) tourmenté par son horrifique doublure, l’abominable Marcelin Deschamps. Voilà pour le côté docteur Jekyll et Mister Hyde.

Entrent alors en scène « ceux qui depuis longtemps ont fait une cible de cet ancien Kid de France Inter et qui se frottent les mains » . Je frémis d’horreur à l’idée de ces mains crochues qui se frottent dans l’ombre ! La talentueuse rédactrice nous suggérerait-elle que ces mains sont sans doute prolongées par des gros bras de mâles blancs de plus de 45 ans (*) qui ont caché des brassards à croix gammée dans les tiroirs de leurs buffets de salle à manger ?

L’homme que je suis, celui qui a  largement dépassé cet âge, qui ne collectionne pas ce genre d’objet et qui ne se frotte pas les mains d’une aussi désolante affaire apprend alors dans cette prose navrée qu’il y a « les autres » (dont je ne fais pas partie non plus) , ceux qu’elle appelle « les sidérés » à qui « Mehdi Meklat devra à l’avenir confirmer qu’il est bien l’auteur sensible au monde et à ses prochains qui transparaît dans son œuvre. » (!) Eh oui, son œuvre, rien que ça !

Est-ce à dire qu’à son retour d’exil, quand il se sera refait une virginité médiatique à la faveur de notre fabuleuse capacité à « passer à autre chose » , Meklat retrouvera un éditeur pour lui payer de nouveau des résidences à Los Angelès ou à Istanbul afin de nous pondre d’autres de ces belles histoires qu’aiment tant la presse bobo et post-soixante-huitarde ? C’est ce que sous-entend la rédactrice.

nouvelles du front,polémique,tweets injurieux,télérama,scandale,complaisance,aveuglement,déni,rebelles subventionnés,abus,presse,télé,la grande librairie,le monde,les inrockuptibles,fondation cartier,mehdi meklatAvec une nouvelle couverture de Télérama ? Comme le souligne Alain Finkielkraut, les leçons de cette épisode risquent bien de n’être pas tirées.     

Il faut dire que les grands moyens ont été employés pour qu’on puisse parler d’« œuvre » à propos des écrits de commande d’un ado attardé à l’époque où ses éditeurs l’ont envoyé plancher avec son copain aux USA et en Turquie. La Fondation Cartier a mis aussi le paquet. C’est là qu’il faut regarder si l’on veut analyser et expliquer le scandale Mehdi Meklat.

Les gens comme moi, nous sommes shootés à l’air pur de nos provinces, nous manquons de nez pour flairer les miasmes. Nous respirons trop haut. Dans ce genre d’affaire, notre erreur est de nous positionner sur le terrain des idées alors que tout se joue beaucoup plus bêtement, sur le terrain du commerce, même pas celui de la gauche culturelle saumon fumé mais bien celui de la gauche culturelle caviar, celle qui vend de la culture industrielle « bancable » .

C’est dans ce fatras paraculturel de luxe clinquant pour drugstores branchouilles qu’on trouve ainsi du produit rap, du produit banlieues, du produit rebelle et bien sûr du produit Meklat, du livre d’élevage, du livre calibré et toutes sortes d’« œuvres » préfabriquées puis déversées à grands coups de subventions publiques et de médias en attente de retour sur investissement.

Et hélas, si peu de monde pour se demander un seul instant comment on peut parler d’« œuvre » pour qualifier la morve et la schizophrénie d’une de ces multiples petites frappes que les héritiers des nouveaux riches et des parvenus de la culture envoient sur les plateaux de télévision, dans les studios radiophoniques et en résidence dans les centres culturels, les médiathèques et les collèges de province pour faire prendre à leurs publics conquis d’avance les vessies de la démagogie, du pur business et du prêt à penser pour les lanternes de la culture avec l’onction financière des Drac et autres usines à gaz d’un système devenu fou.

Mais le plus pathétique, à mon sens, est le silence gêné et assourdissant sur ce genre d’affaire d’un grand nombre d’auteurs que je connais et qui courent après 100 petits euros pour une lecture ou un atelier d’écriture. De quoi ont-ils peur ? D’être grillés dans Télérama, Le Monde, les Inrockuptibles, La Grande librairie, France Inter, France Culture ? Et alors ? De toute façon, ces médias les ignoreront toujours, ce qui n’est plus vraiment grave puisque ces organes de presse sont de moins en moins prescripteurs en ce qui concerne les ventes de livres.

Oui, comme tout cela est piteux, si peu « jubilatoire » pour citer l’adjectif préféré de Télérama. Certains me demandent pourquoi je reste abonné. Eh bien, désormais, pour savoir comment pense l’ennemi.

(*) Je fais ici allusion à une ancienne couverture de Télérama où une jeune cinéaste dont j’ai oublié le nom déclarait « j’en ai assez du cinéma fait par des hommes blancs de plus de 45 ans. »
La démangeaison du désabonnement m’était aussi venue à la lecture d’un entretien avec Abd al Malik (encore un rappeur slameur) dont les propos à l’encontre de Charlie Hebdo et de la liberté d’expression m’avaient révolté.
Il y eut aussi dans la période de Noël 2016 la diffusion d’une publicité de l’association Aides que certains jugèrent obscène mais qui me choqua quant à moi pour une autre raison : elle véhiculait à mon avis un message idéologique ethnique extrêmement biaisé, ambigu et malsain.