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27 janvier 2017

Risques et périls de Bernard Deson

Une anthologie personnelle de quarante ans de création poétique (éditions Orage-lagune-Express)

Lorsque mon chemin rencontra celui de Bernard Deson en 1981, je remarquai tout de suite que son univers poétique était déjà complètement en place, ce qui n’est pas si courant pour un auteur d’une vingtaine d’années.

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Cette cohérence qui indique le degré de maturité d’une œuvre se mesure très simplement, quand le fond et la forme coïncident au point de révéler la vision caractéristique d’un écrivain, d’un poète, sa présence individuelle au monde, indissociable de sa personnalité unique.

Bernard Deson n’en pratiquait pas moins le jeu des identités multiples parfois à son corps défendant lorsque je fis sa connaissance et il renouvelle l’exercice dans la section intitulée Hôtel Continental de son anthologie sous les pseudonymes de Trevor Rutherford, Tomàs Cervantes et Nuno Seabra « pour développer trois univers poétiques différents » explique-t-il en prologue. Prouesse supplémentaire, les textes de cette section furent traduits en français par l’auteur qui les écrivit directement en Anglais, Espagnol et Portugais !

Bien avant ces expériences de 2003, la plume du jeune poète du tout début des années quatre-vingt était déjà ciselée dans un alliage de métaux assez solide pour courir dans les pages de revues importantes de l’époque, Jungle et Vagabondages pour ne citer que les plus opposées mais d’autres aussi, plus modestes ou plus éphémères comme il était de mise en cette période de foisonnement de la presse littéraire alternative entre le milieu des années soixante-dix et le net recul dans la décennie quatre-vingt-dix.

Peu de poètes issus de cette mouvance sortirent indemnes du champ de ruines qui lui succéda et ce furent paradoxalement les plus mal lotis, ceux qui furent occultés parce que trop éloignés des réseaux d’influence et rétifs aux embrigadements, qui donnent de la voix aujourd’hui grâce aux nouveaux outils et circuits de diffusion de la littérature.

Bernard Deson est de ceux-là. Son œuvre a éclos dans des carnets fiévreusement remplis entre deux trains, au hasard des pauses rapides à quelques terrasses de café, dans la solitude des déplacements professionnels et dans les parenthèses de vacances touristiques ou de séjours entre amis.

« Depuis l’enfance il s’est mis en quête d’un Eden poétique dans l’enfer d’une vie prosaïque » note le narrateur à propos de Juan, le personnage de roman égaré dans le dédale des poèmes. En somme, la double vie de l’écrivain qui est plus que jamais la norme, le déterminisme de l’auteur qui n’a pas pu ou pas voulu se résoudre à s’exclure totalement de la société ou céder à la facilité du repli dans sa campagne.

Bernard Deson n’aime pas choisir. Il voudrait tout vivre et sa poésie en témoigne parfois avec fureur, parfois avec nostalgie ou désespoir.

Enraciné dans un terroir viticole dont il connaît les gestes et les secrets, le Bergeracois, il sait aussi se fondre dans le mouvement et l’anonymat des grandes cités, devenir le passager clandestin d’improbables voyages, l’ombre errante des squares et des parcs où il recueille le message mythologique dans le regard pétrifié des statues. Souvent, ces figures de marbre et de bronze s’animent et font irruption dans la modernité urbaine. Les rêves cinématographiques de Jean Cocteau affleurent dans cette écriture exigeante et familière. Le rythme est soutenu, les changements de focale constants.

Bernard Deson ne tourne jamais le dos aux grands thèmes poétiques, l’amour, la femme, le désir, le paysage, le rêve, mais il en insert les fragments dans un kaléidoscope d’où sortent des collages, des cadavres exquis et des images détournées attestant de cette écriture visuelle qui est aussi sa marque.             

L’anthologie personnelle intitulée Risques et périls, composée et illustrée par l’auteur, qui vient de paraître sous le label d’Orage-Lagune-Express exprime bien toutes ces tensions mais sa principale caractéristique est la cohérence de l’écriture poétique, même lorsque celle-ci investit la prose ainsi qu’on le constate dans la dernière partie de ce fort recueil, Le Journal de Juan Escobar. Double de l’auteur, « Juan doute qu’un jour il devienne un véritable écrivain, homme de métier, mercenaire appliqué parce qu’il a choisi de prendre son temps, de n’écrire qu’en cas de légitime défense. »

En quarante ans de création poétique, cette légitime défense qu’est parfois l’écriture face à l’aventure dangereuse de la vie s’est exercée dans la publication de recueils et de plaquettes rassemblés dans cette édition en seize sections datées de 1974 à 2014. Toutes affichent des titres annonçant la puissance et la variété du monde intérieur de Bernard Deson : le Pôle immobile, La grande sorcière noire, Anatomie du vol d’un épervier, Un paquet de gitanes vides, Le Logis des voyelles, La mort du Minotaure... 

L’anthologie s’ouvre sur Les Textes fétiches, notamment ce juvénile et pourtant si mature Vol plané (herbe des terres arides) qui pose les fondations des monuments à venir. Je n’emploie pas ce terme architectural par hasard car la fluidité de l’écriture est chez Bernard Deson une charpente et non un simple ornement.

Pierre Tesquet, directeur des Cahiers Joseph Delteil, préfacier de cette anthologie, écrit d’ailleurs à propos d’un ensemble daté de 1986 : « Il existe dans tout le livre une tendance à l’élévation que la présence, ici d’un paysage, là d’un écheveau de sensations, ailleurs de la jeunesse et de l’amour, préserve de tomber dans une excessive cérébralité. »

On touche ici à une dimension essentielle de l’univers poétique de Bernard Deson, des lignes et des flèches monumentales bien ancrées dans la terre pour mieux se lancer dans le ciel, jamais de vain formalisme même s’il y a jeu de langage car malgré la narration bien présente, nous sommes résolument dans le poème, dans sa dynamique, dans son jaillissement, aux risques et périls d’un poète dans le monde d’aujourd’hui.

Nota bene : Bernard Deson a inséré dans son anthologie poétique deux textes que nous avions écrits lui et moi en collaboration. Il s’agit de Survenance et de La Dune. Je le remercie de ce témoignage d’une amitié de trente-six ans.

Risques et Périls, anthologie poétique 1974-2014, (illustrée par l’auteur) Bernard Deson. Éditions Orage-Lagune-Express, 234 pages. 13,50€

 

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11 décembre 2016

À propos de Prairie journal

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Merci à Didier Pobel (Voix de l'Ain n°3737, vendredi 9 décembre 2016).

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Pour Oyonnax et sa région : disponible à la Maison de la presse d'Oyonnax et à la Maison de la presse de Nantua (Ain)

Par correspondance : éditions Orage-Lagune-Express

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22 août 2014

Jean Pérol et les cœurs véhéments

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La Djouille, de Jean Pérol, roman, éditions de la Différence, 272p., 20 €. Parution 21 août

Noir, poignant, ironique, rageur, hanté par le deuil impossible des bonheurs et des beautés fugaces, le dernier roman de Jean Pérol prend aux tripes et frappe fort sur les nouveaux conformismes.    

Encore à peu près épargné par les vilaines morsures du temps et de l’expérience, le jeune et provincial Fabien, lycéen, aide dans de menus travaux domestiques un professeur âgé, revenu de ses voyages et de ses illusions bien amoché. L’un est à l’aube de sa vie, l’autre au crépuscule mais cela n’empêche pas une amicale connivence de s’installer, bien au contraire puisque finalement, le terme de « crépuscule » désigne la lueur céleste visible avant le lever du soleil ou après son coucher.

La rapide montée en puissance de la narration de ce superbe et dérangeant roman baigne dans cette atmosphère qu’on dit parfois « entre chien et loup » . Autour des deux hommes (l’art du romancier finit par nous faire douter de qui est l’ombre de l’autre) gravitent des personnages eux aussi distribués dans les deux catégories de ces canidés auxquels l’humanité se plaît parfois à s’identifier. Ajoutons à ce bestiaire la dimension féline du caractère féminin et observons alors la cruauté, la naïveté, l’amertume, le désespoir, la résignation et, soudain, en une épiphanie, en « une poignée de jours en flammes dans une énorme obscurité » comme l’écrivait le poète Jean Tardieu, l’épisode fugace d’un bonheur aussi vite épanoui et fané que l’éclosion d’une fleur filmée en accéléré.

En une construction narrative dans laquelle le passé douloureux que le professeur tente d’enfouir remonte en surface au contact du présent du lycéen, l’écran de ce théâtre d’ombres se déploie, si l’on ose dire, sur plusieurs fronts.

Le premier est celui des dernières nuits festives du personnel d’ambassade dans un Afghanistan en proie à la révolution et à la guerre où le professeur déjà las du vieil Occident s’est résolu jadis à vivre sa double expérience culturelle et amoureuse de l’arrachement. Sur le second front, celui d’une retraite campagnarde cévenole (dont on pourrait dire qu’on y « sommeille tant ») et que le jeune Fabien est prêt à quitter pour un amour au-dessus de sa condition, le vieux professeur n’est plus acteur mais spectateur impuissant du drame puis de la tragédie qu’il voit s’annoncer.

La mécanique infernale du déterminisme social s’agence inexorablement, condamne toute utopie, broie toute espérance. Il suffit qu’un de ces coups de tête dont sont coutumiers les jeunes hommes blessés se transforme alors en un coup de sang pour que le rideau tombe, noir, si noir, sur la scène où tout est bien sûr joué d’avance.

L’amour, le départ, la fuite, le retour sont autant de chemins dont le professeur est revenu sans pouvoir en révéler les impasses et les chausse-trapes au lycéen. Ils habitent tous deux une province livrée au doute et à la nostalgie où l’on devient vieux de plus en plus jeune, une nation minée par le retour d’un conformisme pire que celui qui précéda l’artificielle et courte embellie des trente glorieuses.

La Djouille est non seulement le roman des amours congelées sur la « face nord glaciale du grand mythe féminin qu’on nous a construit dans le siècle » mais encore l’implacable inventaire des utopies modernes qui tournent en cauchemars et finissent dans la djouille, l’équivalent afghan du caniveau. Dans ce second exercice, l’ironie lucide de Jean Pérol frappe très fort et ne manquera pas de faire grincer les dentitions blanchies et parfaitement alignées des jeunes générations élevées à la tisane bio du politiquement correct. Rien de l’hygiénisme forcené de « l’époque (qui) vous a à l’œil » n’est épargné : les ligues de vertu revues aux goûts du jour avec « les nouvelles chaisières vengeresses du rabougri, encore plus coincées aujourd’hui que celles de nos églises hier » , le sexe pour le sexe, « le foutre façon hygiène. Aussi trompeur et fastidieux que le vrai jogging  » , le sport « Ah le sport, cette fadaise mondiale, ce pseudo-militarisme obligatoire, cette scie, ce poison du siècle ! »

Gardons nous cependant de rester sur ces seuls constats dans notre lecture. Comme tous les amples romans parcourus par le souffle de la littérature, le dernier opus de Jean Pérol ne se résume pas au simple regard critique, aussi acéré soit-il, d’un auteur sur son époque, car on y puise aussi une forte empathie en faveur des éternels perdants, ceux de la grande histoire et de la petite, toutes deux cruelles pour les cœurs véhéments.

Christian Cottet-Emard

Et à propos du dernier recueil de poèmes de Jean Pérol : ici