26 mars 2012
Du vote d'humeur
(Extrait de mon roman Le Club des pantouflards, éditions Nykta, 2006.)
Dans le bonheur (Chapitre 4)
Le clair de lune égara l’ombre d’Effron Nuvem contre une palissade recouverte d’affiches et l’une d’entre elles retint son regard parce qu’il y reconnut la tête du marchand de chaussures. Il se souvint alors que les élections approchaient. Pour la première fois, le club des pantouflards présentait une liste conduite par le petit gros. Maintenant, Effron Nuvem comprenait mieux ses approches mais tout de même, aller jusqu’à lui proposer de l’accueillir au sein du club... Que pouvait valoir l’adhésion d’un chômeur, une de ces « âmes mortes » à peine bonnes à émigrer d’un fichier à un autre au gré des fluctuations d’une comptabilité d’actifs et de passifs que se jetaient sans cesse à la figure lors de joutes télévisées les dignes héritiers de l’escroc Tchitchikov ?
Le jour du scrutin, Effron Nuvem, muni de sa carte d’électeur et de sa carte d’identité, alla aux urnes avec l’intention de voter contre et peu importait contre qui. Mais sur le trajet, son soulier droit s’enfonça mollement dans une énorme crotte de chien de couleur orange. Saisi d’une bouffée de colère, il mit un bon quart d’heure à nettoyer sa chaussure dans les toilettes publiques moyennant une pièce de vingt centimes, ce qui ne fit que décupler encore sa rage au point qu’il arriva tremblant et le visage congestionné au bureau de vote. Monsieur Nuvem ! Quelque chose ne va pas ? Vous ne vous sentez pas bien ? s’enquit le marchand de chaussures qui se tenait à proximité de la table où étaient disposés les bulletins et les enveloppes et qui saluait tout le monde. Tout à son exaspération, Effron Nuvem abandonna en une seconde ses intentions de vote et choisit ostensiblement un bulletin où figurait la liste du club des pantouflards sous l’oeil approbateur du petit gros qui lui décocha un clin d’oeil de connivence. Toujours contrarié, il décida d’aller respirer l’air de la Saône. Sur le pont Masaryk, il croisa une femme accompagnée d’un garçonnet qui le mit en joue avec un pistolet en plastique.
© Éditions Nykta, 2006.
ISBN : 2-910879-76-3
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17 mars 2011
De l'engagement politique (notes éparses)
En 1975, si je me souviens bien, je traînais au lycée et j’assistais aux réunions du comité antinucléaire local. Ce qui me frappe encore aujourd’hui, c’est la précision et la qualité des informations techniques qui nous étaient communiquées lors de ces rencontres et de ces débats. Informations pessimistes dont la justesse s’est révélée non seulement avec la réalisation des scénarios catastrophes que nous avons connus en 1986 (Tchernobyl) et aujourd’hui (Fukushima) mais encore dès 1979 (Three Mile Island). Je ne parle ici que des accidents civils les plus médiatisés. Pour les autres, civils et militaires, il suffit de consulter les listes impressionnantes, faciles à trouver sur internet.
Après plusieurs séances, j’ai fini par déserter le comité antinucléaire, à partir du moment où celui-ci a commencé à être investi par des excités membres de divers groupuscules, des types connus pour peaufiner des listes noires avec personnes à abattre en priorité au moment du Grand Soir, des types qui nous encourageaient à profiter du service militaire pour y apprendre à manier des armes que nous pourrions retourner le moment venu contre ceux qui nous les avaient confiées. Bien que ce discours n’ait pas du tout séduit les candidats à la réforme que nous étions pratiquement tous, il eut surtout pour effet de mettre par terre tous les efforts des militants du comité antinucléaire.
Par la suite, la lutte antinucléaire connut divers aléas que je suivis de loin en lisant la presse. Il n’était pas difficile de comprendre que les choix nucléaires étaient faits depuis longtemps et qu’on pouvait toujours en débattre si cela nous amusait. Ces expériences peu propices à l’aspiration à un éventuel engagement politique (elles furent pour moi à l’origine d’une longue période d’abstentionnisme) me conduisirent à me concentrer sur un but plus accessible et plus personnel, à savoir mon refus du service militaire. Une fois ma réforme obtenue, j’entrai dans ce qu’on appelle bêtement la vie active et continuai d’autant plus à me désintéresser de la politique que j’étais aux premières loges, dans mon sot métier de journaliste localier, pour en voir certains navrants acteurs à l’œuvre.
Le plus drôle est qu’au cours de mes années de presse écrite, j’ai été approché par des élus de gauche comme de droite qui me faisaient comprendre que je pouvais être accueilli dans leurs rangs, non pas pour mes éventuelles qualités personnelles mais parce qu'un politique apprécie souvent d'avoir un journaleux à sa botte en lui faisant croire qu'il fait partie du cénacle. Mais j’étais bien trop accaparé par le démon littéraire pour vendre mon âme à ces pauvres diables de politicards. De plus, j’avais encore cette histoire de comité antinucléaire en travers de la gorge. Et puis, de toute façon, je ne suis pas politiquement fiable (on me croit à droite quand je parle sécurité et à gauche quand je réclame du social, toujours plus de social, et on ne sait plus où me ranger quand j’affirme que la plupart des industriels sont nos ennemis).
Aujourd’hui, il m’arrive parfois de voter, toujours contre quelqu’un, jamais pour. La comptabilisation du vote blanc me serait bien utile. Mais de toute façon, pendant ce temps, le nucléaire continue. Bientôt les EPR ! Les enseignes commerciales et les bureaux vides pourront continuer de briller la nuit. Que demande le peuple ?
Oui, que demande le peuple ? Rien peut-être. Où alors du courant à tout prix pour pouvoir oublier les ténèbres, s'étourdir comme les papillons de nuit autour des lampadaires. Le plus désolant aujourd'hui est que nous ne pouvons même plus être antinucléaire puisque les centrales sont là et qu'il faudra faire avec, même si par extraordinaire, elles devaient toutes fermer. Même à l'arrêt, le nucléaire est là et sera désormais toujours là. Quant au nucléaire militaire, il faut hélas bien reconnaître que l'effroi qu'il inspire nous a garanti jusqu'à maintenant, au moins en ce qui concerne les grandes puissances, une paix relative depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L'équilibre de la terreur pour toute consolation...
Allons, finissons sur une note d'espoir. Stéphane Hessel vient de publier Engagez-vous ! Voilà qui nous donne décidément du baume au cœur !
02:28 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : tchernobyl, three mile island, abstentionnisme, vote blanc, epr, nucléaire, comités antinucléaires, politique, engagement
24 janvier 2011
Résignez-vous !
Je ne me suis pas précipité pour lire Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Je me disais : le succès auprès du grand public de cette brochure ne risquait-il pas de ne s’expliquer que par le contraste, très prisé des médias, entre l’image vieille France (au sens noble du terme) de l’auteur et sa critique appuyée de l’action des pouvoirs en place ? On se prépare à une soirée chez l’ambassadeur et on se retrouve en train de refaire le monde comme au bon vieux temps de l’adolescence. Et ce n’était pas le paquet débordant d’Indignez-vous ! derrière le comptoir du libraire qui m’encourageait à baisser la garde. Avec tous les coups d’édition tordus qu’on nous mitonne depuis que le business remplace les idées, que voulez-vous, on finit par se méfier de tout et de tous...
Or, pendant que les nouveaux tirages se multipliaient, les discussions allaient bon train sur internet avec, bizarrement, des échanges plutôt nerveux entre blogueurs et commentateurs qui déclaraient au préalable n’avoir pas lu ou ne pas avoir l’intention de lire Indignez-vous ! . Diable, me suis-je dit, un opuscule agrafé qui n’a même pas besoin d’être lu pour alimenter autant de débats ! Lisons... Bon. C’est bien ce que je pensais : comment ne pas être d’accord avec Stéphane Hessel ? Il ne me restait plus qu’à ranger cette plaquette avec Matin brun de Franck Pavloff (Cheyne éditeur), autre best-seller miniature qui suscita il y a quelques années le même engouement populaire inattendu qu’Indignez-vous ! .
Cependant, aujourd’hui, alors que se succèdent les réimpressions d’Indignez-vous ! , je constate tout de même avec plaisir l’effet « poil à gratter » de ces quelques pages pourtant bien convenues, notamment sur le cuir endurci d’une droite qui a réussi à installer durablement dans les consciences sa vision désespérante de la vie humaine, une droite qui a perdu l’habitude de se faire contredire (en particulier par une gauche atone qui s’obstine à enclencher de nouveau la machine à perdre) une droite arrogante qui, tel un aspic enroulé au soleil et dérangé par peu de chose, n’en a pas moins le venin toujours prêt. Je n’en donne pour exemple que la réaction haineuse, dans le journal Le Monde du 14 janvier 2011 d’un président de plus (le pays en fourmille), celui-là étant « Président des Jeunes Actifs de l'UMP » et la phrase embarrassée du premier ministre Fillon : « L’indignation pour l’indignation n’est pas un mode de pensée » .
Vingt-quatre pages d’une plaquette publiée par un minuscule éditeur provoquant un commentaire agacé jusqu’au plus haut niveau d’un État qui met la société en soldes, il faut croire que les évidences sont parfois bonnes à redire, notamment lorsqu’on regarde à la télévision les images des ces salariés de l’automobile à qui on demande de renoncer à leurs acquis sociaux pour conserver leur emploi. Une femme hurle sa colère et dénonce l’arnaque. Un homme, fataliste, accepte en espérant qu’il sauvera peut-être son job alors qu’il sera jeté comme les autres, le moment venu, qu'il y laisse ou non ses congés payés ou pourquoi pas son salaire, l’Entreprise désormais Société Anonyme à Irresponsabilité Illimitée pouvant un jour juger qu’elle ne sera plus rentable parce que le personnel refusera de travailler bénévolement.
Pas étonnant que pour notre gouvernement, l’indignation ne soit pas un mode de pensée et que ceux de la caste dont il sert les intérêts préfèrent quant à eux ce mode de pensée beaucoup plus moderne, pragmatique et constructif qu’est la résignation.
02:13 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : indignez-vous !, stéphane hessel, politique, polémique, le monde, christian cottet-emard, le blog littéraire de christian cottet-emard