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25 juin 2007

L'avant-garde à la retraite

Je n'ai jamais lu John Banville mais cette petite vanne citée dans Le Monde des livres me plaît bien : « Maintenant que l'avant-garde est à la retraite, on peut retourner au plaisir du roman : raconter des histoires. »

16 juin 2007

Le sourire de Cézanne

d2fea89e7e3798863a7de8bfd8ed2033.jpegLe sourire de Cézanne, Raymond Alcovère, roman, éditions n&b, 2007, 105 p.

Je n’ai jamais rencontré Raymond Alcovère mais la lecture de ses nouvelles, publiées dans la revue Salmigondis, et la fréquentation quotidienne de son blog (http://raymondalcovere.hautetfort.com) m’ont rapidement révélé l’évidence d’une nouvelle découverte littéraire, confirmée par la toute récente publication de son deuxième roman, Le sourire de Cézanne, par le même éditeur qui avait publié le premier, intitulé Fugue baroque, Prix 1998 de la Ville de Balma.

Sur la trame d’un amour entre Gaétan, étudiant de vingt ans, et Léonore, quarante ans, en pleine rupture sentimentale, le texte se déploie en une riche variation sur les thèmes de la peinture, du regard, avec en filigrane la question de la maladie d’Alzheimer dont est atteint le père de Léonore. La rencontre en mer de ces deux êtres à la recherche d’un nouvel élan aurait pu se limiter à une banale aventure s’ils n’étaient tous deux portés par une intense soif de beauté et de liberté qui ne peut s’épanouir que dans le dialogue permanent entre l’art et la vie.
Dans cette nouvelle traversée, Léonore tente de renaître dans l’écriture d’un livre sur les peintres et par l’appétit de vivre de son jeune allié, arrivé lui aussi à un carrefour de son existence. Gaétan et Léonore sont à l’heure du choix : l’oubli d’eux-mêmes, dans la futilité pour Gaétan et dans les deuils pour Léonore, ou le consentement à une nouvelle présence au monde. Pour avancer dans ce choix, il leur faudra savoir rester attentifs aux signes des forces de vie nées d’un regard d’artiste ou de l’ultime sourire d’un père.
À ce premier niveau de lecture, les fervents de la dimension romanesque seront déjà comblés. Mais l’art de Raymond Alcovère (qu’on pourrait, je le dis au passage, qualifier de coloriste dans sa merveilleuse manière de décrire les ciels) saura aussi les entraîner beaucoup plus loin, par la grâce d’une écriture harmonieuse, épurée, au rythme élégant et soutenu.
C’est cette fluidité de style qui permet à Raymond Alcovère de développer, en contrepoint, ses variations sur un thème qui lui est cher, la peinture, en particulier celle de Cézanne cité en ouverture : « Pourquoi divisons-nous le monde ? », interrogation cruciale pour Léonore et Gaétan dans leur aspiration à un accord sinon parfait mais pacifié, tant dans la dimension intime de leur amour que dans celle de leur environnement extérieur.
Cette quête d’unité dans un rapport harmonieux au monde qui réunit Léonore et Gaétan, Raymond Alcovère la suggère en évoquant ses peintres préférés par petites touches ponctuant le récit de courtes parenthèses d’une subtile érudition. Le lecteur se retrouve ainsi plongé en quelques notations en apparence improvisées dans l’univers de Cézanne mais aussi de Gréco, Vélasquez, Rembrandt, Caravage, Rubens, Delacroix, Picasso, Titien, Poussin, Miro, Zao Wou Ki...
Raymond Alcovère sait si bien partager son amour de la peinture qu’on pourrait conseiller la lecture de son roman à qui veut s’initier à l’approche esthétique des grands artistes, seuls capables de modifier notre regard sur nous-mêmes et sur le monde.
L’alliance du romanesque et du commentaire artistique éclairé fait en tous cas de cette belle histoire d’amour qu’est Le sourire de Cézanne une oeuvre d’une grande fraîcheur et d’une vitalité communicative, qualités littéraires aujourd’hui assez rares pour être soulignées.

01 février 2007

Le Passeur d'éternité, de Roland Fuentès

medium_passeurdeternite.jpgRoland Fuentès,
Le Passeur d’éternité, roman,
Éditions Les 400 coups, 2007, 104 p., 11 euros.

Roman d’aventure et méditation sur l’art, Le Passeur d’éternité est un livre « tout public » dans le plus noble sens du terme. L’amateur de péripéties et de rebondissements le lira avec autant de bonheur que le rêveur éveillé. L’action, le suspense et un rythme narratif rapide y côtoient une fine réflexion sur le mystère et la fascination qu’exerce l’oeuvre artistique sur l’âme humaine.
Tout collectionneur sait qu’il doit tenir sa passion en équilibre entre ce qui va nourrir son esprit et son coeur et ce qui peut tout aussi bien les détruire. Maladite, bourgeois d’Aix-en-Provence, collectionneur et marchand qui s’est donné pour mission de sauver les oeuvres des grands maîtres du chaos social engendré par l’épidémie de peste de 1720, l’apprendra à ses dépens. Mieux que le destin, c’est son amour plus orienté vers la transcendance humaine que vers son prochain qui va causer sa perte.
Du commerçant froid et avisé à l’idolâtre, on verra la gloire et la chute de cet homme solide et volontaire arpentant sans état d’âme les décombres des villes et des campagnes en proie au souffle de la grande faux. Rien ne semble pouvoir le détourner de son but, pas même la compassion dont on lui prodigue pourtant des signes en le recueillant une nuit d’épuisement et en le soignant alors que les ténèbres sont prêtes à l’engloutir. Mais en ce temps de grande peste dont sa vitalité et sa force de caractère le protègent, il n'est pas invulnérable à d’autres ténèbres qui s’ouvrent en lui lorsqu’il cède à la tentation de tout esthète, celle de s’approprier un bien à la fois si humble et si précieux qu’il n’a pas de prix. Un bien qui échappe au négoce du commun des mortels et qui, de ce fait, élève bien au delà de l’humaine condition celui qui non seulement le possède mais encore le comprend, (c’est en tous cas ce que veut croire le poursuivant de cette chimère). On pourrait presque parler d’une variante de la quête du Saint-Graal et faire ainsi référence au goût de Roland Fuentès pour le fantastique dont on retrouve la touche dans ses nouvelles et dans son roman La double mémoire de David Hoog (éditions A Contrario).
Mais Le Passeur d’éternité est un texte qui colle beaucoup plus à la réalité d’un siècle certes passé mais toujours très présent dans la fiction romanesque. Cette dimension historique permet à Roland Fuentès de décrire avec plus de force la déchéance d’un esprit supérieur qui décroche du réel à force de le dédaigner pour mieux lui résister en croyant ainsi accéder aux secret d’une grande oeuvre née des mains d’un artiste inconnu. C’est que l’étincelle divine de la création (ou ce qui en tient lieu) aime naître et luire doucement à l’abri de mains calleuses, loin de la rumeur mondaine où elle a pourtant vocation à rayonner pour le bien commun ou à s’étioler dans la spéculation ou la collection maniaque.
L’histoire âpre et violente de ce Passeur d’éternité pose les questions qui parcourent le temps des hommes : qu’est-ce qu’une oeuvre ? D’où vient-elle ? Pourquoi peut-elle tout à la fois nourrir et affamer, bénir et maudire, protéger et menacer, guider et égarer ?
Ce roman tonique et très maîtrisé se garde bien de vouloir résoudre une énigme éternelle. Il nous plonge dans son abîme, ce qui est beaucoup plus passionnant et, par la force d’évocation du style de Roland Fuentès, encore plus palpitant.

Christian Cottet-Emard