08 avril 2008
Jean Tardieu de justesse !
À force de voir reprise sur internet et dans la presse écrite cette photo du poète Jean Tardieu (1903 - 1995), je crois utile de rappeler à qui juge opportun de la reproduire qu’il est d’usage de mentionner le nom du photographe (moi-même en l’occurence) à chaque parution.
Il ne s’agit pas pour moi d’en tirer une gloire particulière, d’autant que cette photo est techniquement ratée. Je l’ai prise l’été 1988 lors de ma première rencontre avec Jean Tardieu.
L’appareil que j’avais l’habitude d’utiliser n’avait pas fonctionné au moment où je voulais fixer quelques images de Jean Tardieu retrouvant après de nombreuses décennies la bibliothèque de sa maison natale dans l’Ain. Le temps que je me saisisse d’un autre appareil apporté en prévision de ce genre d’incident, Jean Tardieu s’attarda sur un vieux livre avant de sortir de la pièce, ce qui me donna un répit suffisant pour un cadrage improvisé mais ne me permit pas le meilleur réglage, de surcroît avec cet appareil de secours auquel je n’étais pas habitué.
Cette photo fut tout de même publiée dans mon livre « Jean Tardieu, un passant, un passeur », éditions La Bartavelle, 1997, et dans le magazine Lire.
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08 février 2008
Syndrome du dimanche soir
On aurait dit des perce-neige les derniers réverbères avant la forêt
La route avait disparu à travers les flocons tu cherchais l’un des vieux épicéas désigné par un camarade de lycée comme celui de sa pendaison ce dimanche de l’année 1975 à 19h
On a presque tous de bonnes raisons de se pendre et d’aussi bonnes raisons de ne pas le faire mais la perspective du lundi fait du dimanche un jour à risque
Tu sais qu’il existe une difficulté technique à se pendre dans un épicéa de quarante mètres de haut à moins d’apporter une grande échelle pour atteindre les premières branches solides (est-ce bien raisonnable ?)
Se compliquer la vie est-ce bien raisonnable le soir même où l’on veut se la simplifier pour toujours en se coltinant une échelle sans compter la route escamotée dans la tourmente de neige ?
Il t’aurait montré un foyard ou même une de ces variétés de pins qui se sont contentés du sol qu’ils ont trouvé sur l’autre versant (arole, ou de montagne à la rigueur) peut-être
À 18h45 on ne sait jamais tu es venu rôder dans le secteur des vieux épicéas secoués par les bourrasques pour en conclure vers 20h :
1) que la route attendrait au moins la nouvelle lune pour réapparaître
2) que le camarade avait sans doute trouvé mieux à faire que de se pendre un dimanche soir de tempête dans un épicéa de deux cents ans en pleine hibernation
3) que la forêt de résineux ne se prête pas à la pendaison
4) que décidément ces réverbères on aurait dit des perce-neige
© Éditions Orage-Lagune-Express, 2008.
Photo © Marie-Christine Caredda
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29 novembre 2006
Variations en gris
La vie dans les petites villes de province est un ballet d’ombres furtives.
Cette très grise matinée, j’ai emprunté mon itinéraire habituel, ces petites rues entre l’église et l’école primaire, cette place avec vieux platanes sous lesquels traînait hier mon cartable et sous lesquels flottent aujourd’hui mon imper blanc et mon parapluie noir. Quarante ans séparent ces deux silhouettes traversant une scène de quelques dizaines de mètres carrés, la scène d’un petit théâtre où l’on donne toujours la même pièce. Sorti plus tôt que d’habitude, j’ai dû éviter le porche de l’église où attendait le corbillard.
Dans la classe du cours moyen, le nez sur mes mauvais cahiers de brouillon constellés de pâtés à cause de ces saletés de porte-plume et d’encriers, j’entendais le glas rythmer ces heures ternes sous le regard inquiétant de l’instituteur.
Depuis quelques jours, je ne cesse de croiser le chemin de cet homme massif aujourd’hui un peu voûté et le cheveu à peine plus rare. Toujours les mêmes grosses lunettes rectangulaires et ce même regard qui semble dire exactement comme il y a quarante ans : “on n’est pas sur Terre pour rigoler”. À la fin de mon adolescence, époque à laquelle j’ai dû l’apercevoir une fois en ville, j’ai fait un détour de plusieurs centaines de mètres pour l’éviter. Précaution inutile puisqu’il ne m’aurait sans doute pas plus reconnu qu’aujourd’hui.
Cet instituteur est resté plus qu’un autre dans mon (mauvais) souvenir car il avait mis au point un système particulier de notation. Il s’agissait de “fiches de paie”, ainsi qu’il appelait lui-même ces fiches cartonnées oblongues de couleur grise distribuées chaque fin de semaine dans une grande tension. Elles comportaient trois rubriques respectivement intitulées “travail”, “écriture”, “conduite” (nous dirions aujourd’hui “comportement”), chacune étant destinée à recevoir une mention “très bien”, “bien”, “moyen”, “mal”, “très mal”. Toute fiche de paie ne réunissant pas le nombre voulu de “moyen”, “bien” ou “très bien”, nombre établi selon des critères qui m’échappent toujours, envoyait automatiquement son destinataire en colle le jeudi. Médiocre en “travail” et “écriture”, j’échappais en général à la retenue du jeudi grâce à la rubrique "conduite" griffée de la mention “très bien” que m’assurait à coup sûr la crainte dans laquelle je vivais ces heures de classe au son du glas.
C’est que le bonhomme piquait de terribles colères, notamment les jours de dictée, l’un des rares exercices auquel je prenais parfois plaisir dans d’autres classes que la sienne. Une faute, une tache d’encre, un murmure suffisaient à déclencher les grondements et les coups de tonnerre de cette voix sourde. Sur l’estrade, le dos de sa blouse en nylon formait un rectangle gris qui se superposait en une figure abstraite au triptyque du tableau noir. De temps à autres, de petits projectiles de papier plié jusqu’à obtenir la densité adaptée frappaient le dos de cette blouse grise en faisant plac plac. Ceux qui les projetaient au moyen d’un élastique étaient considérés comme les durs d’entre les durs.
Aujourd’hui le temps me joue un tour. Il est un invisible photographe qui nous a figés, ce maître d’école d’un autre âge et moi-même, lui dans sa blouse grise et moi dans mon imper blanc, dans la photo en noir et blanc de deux matinées identiques à ceci près qu’elles ont quarante ans d’intervalle. Nous nous retrouvons maintenant côte à côte sur le trottoir. Je suis désormais aussi haut et aussi épais que lui. Et peut-être plus lourd.
17:15 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : Souvenir, école, maître d'école, photo, temps, encrier