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18 novembre 2021

Carnet / Tumbleweeds

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J’essaie, avec beaucoup de difficultés, de comprendre comment une grande partie des soixante-huitards, des post-soixante-huitards et de leurs pâles successeurs des années 80, principalement des gens de gauche et de sensibilité proche, en sont venus à détester et à rejeter l’Occident et leur culture d’origine en allant jusqu’aux extrémités auxquelles ils arrivent aujourd’hui (wokisme, complaisance voire accointances avec l’islamisme, fascination morbide pour le déclin et la défaite, désir de soumission et autres formes plus ou moins farfelues de fantasmes suicidaires).
 
Pour étudier ces variations d’un syndrome de Stockholm collectif au long cours, il faudrait la science d’une armée de sociologues et de psychologues. Moi qui ne suis ni l’un ni l’autre, ce qui ne m’a pas empêché d’observer à mon humble niveau ce phénomène depuis près de quatre décennies, en particulier dans le secteur culturel vulnérable par nature à ces attaques, j’ai observé que les « publics » concernés ont souvent un profil en commun.
 
Il s’agit de personnes instruites, issues des générations d’après-guerre jusqu’aux années 70 / 90. Dans cet intervalle, on remarque qu’elles ont aussi en commun une origine sociale comprise entre une petite et une moyenne bourgeoisie ayant parfois subi un déclassement ancien ou récent. Il arrive que ce déclassement soit revendiqué par les ultimes rejetons de ces classes sociales petites ou moyennes-bourgeoises comme un processus positif, une sorte de libération douloureuse plus ou moins affichée avec une certaine complaisance masochiste.
 
Cet échantillon assez large de population rassemble des individus qui ont tous des comptes à régler avec leur milieu social, cette petite et moyenne bourgeoisie, déclassée ou non, dont ils estiment avoir subi une éducation vécue comme étriquée, corsetée voire en opposition totale avec leurs idéaux et leurs désirs, ce qui, une fois conduits aux portes de l’âge adultes, les a bloqués dans les postures rebelles et contestataires d’une adolescence permanente dans laquelle certains se retrouvent figés jusque dans leurs vieux jours. J’en ai des exemples parfaits dans mon entourage d’amis et de connaissances.
 
Lorsqu’on discute avec eux de leur enfance et de leur jeunesse, on trouve presque toujours une figure d’autorité bornée, maladroite ou excessive qu’ils ont érigée en symbole de leur milieu social honni (un enseignant, un religieux, un éducateur, un parent...). De ce fait, tout ce qui contredit et s’oppose à cette figure symbolique leur devient désirable et a priori bénéfique, qu’il s’agisse d’autres croyances religieuses, d’autres cultures, d’autres modes de vie, d’autres façons de penser, d’autres manières de présence au monde, d’autres formes de sociabilité, n’importe quoi d’autre pourvu que cela soit « autre » et de préférence en opposition frontale ou violente à la culture occidentale d’origine. C’est de ce terreau que vient, je crois, leur aveuglement, leur déni, leur mauvaise foi face aux maux que j’ai cités plus haut.
 
Issu moi-même d’une des générations exposées à ce malaise, j’ai eu la chance d’y échapper pour une raison très simple : je n’ai jamais eu à nourrir un quelconque ressentiment en réaction à mon éducation familiale. Il y avait certes de l’autorité et des limites mais jamais d’autoritarisme, tout au contraire, beaucoup de bienveillance, de considération et de dialogue.
 
Du côté de l’enseignement (instituteurs, prêtres, professeurs), je n’ai jamais rencontré d’individus véritablement mal intentionnés, à l’exception, au collège, d’un prof de sport cinglé avec qui se mit en place pendant plusieurs années un affrontement psychologique constant, méthodique et sournois où tous les coups tordus étaient permis de sa part comme de la mienne, un rapport de force extrêmement dur qui faillit plusieurs fois dégénérer en violence physique, ce qui fut heureusement évité de justesse. Ce ne fut cependant pas cet adjudant qui provoqua mon allergie au sport puisque je l’avais déjà à l’école primaire. Il avait décidément tout raté !
 
À part cet épisode dont j’ai tiré un bref récit, ce qui est une manière d’extraire du positif de cette parenthèse de négativité, rien d’autre ne m’a conduit à rejeter mon éducation à l’ancienne, conforme aux valeurs de la petite-bourgeoisie provinciale (bien que le déclassement économique de ma famille aisée se fût produit au moment de la seconde guerre mondiale, bien avant ma naissance).
 
Aujourd’hui, quand je regarde toutes ces personnes dont j’ai brossé, certes à la truelle, le portrait, (ils me font penser à des tumbleweeds, ces amas de brindilles et de buissons déracinés roulant au gré des vents dans des paysages arides) tous ces gens qui se croient en rupture subversive mais qui ne sont en réalité qu’abandonnés à de morbides chimères, je suis reconnaissant aux miens de ce qu’ils m’ont transmis du cher vieux monde parfois fragile mais toujours renaissant, n’en déplaise à ceux qui le croient mort parce qu’eux-mêmes le sont ou le souhaitent.
 
 

 

18 décembre 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (3)

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Lisbonne, 2013

(Extraits de mon essai sur l’autobiographie)

Première partie à lire ici.

Deuxième partie : là.

 

Qui ne s’est pas entendu dire un jour, notamment dans l’enfance et l’adolescence : on ne te demande pas ton avis, ce n’est pas ton cas personnel qui compte, tu ne vas pas raconter ta vie... Et qui n’a pas intégré au plus profond ces injonctions au point d’y souscrire en les reformulant sans y réfléchir vraiment : je ne cherche pas à parler en mon nom, mon avis n’a pas d’intérêt, ce n’est pas que je veuille raconter ma vie mais... Mais quoi au fait ?

 

Mettre notre individualité en veilleuse est la première et principale injonction que nous recevons du groupe dès le début de notre socialisation, et cela depuis la nuit des temps. C’est l’implacable loi tribale que l’évolution de chaque civilisation module selon ses besoins et ses croyances. Même en Occident, les notions d’individu et de vie privée relèvent de la modernité. Signer une œuvre et en revendiquer la propriété est une pratique récente (quelques siècles) dans l’histoire de la création artistique occidentale.

 

C’est ainsi que nous en arrivons à l’autobiographie, cette œuvre caractéristique de la modernité dont l’auteur est la matière et qu’il signe en tant qu’individu unique et irremplaçable tout comme son expérience. L’individu, la vie privée, la signature, l’être unique et irremplaçable sont les victoires de l’Occident y compris dans sa dimension religieuse chrétienne. Pour les croyants, Dieu voit et regarde chacun ; et chacun a une relation personnelle avec Dieu, ce qui est une idée cruciale, si j’ose dire, y compris pour l’agnostique qui écrit ces lignes, parce que l’auteur de l’autobiographie réalise qu’il est digne d’être lu, regardé, que ce soit sous le regard divin ou humain.

 

Voilà qui explique une partie des réticences exprimées de nos jours plus encore qu’en d’autres époques à l’encontre de l’autobiographie, ce péché contre l’humilité, ce défi au collectif. En effet, quoi de plus orgueilleux voire de plus arrogant que de prétendre créer et plus encore, dans une certaine mesure, se créer ! Comment une telle prétention, une telle impudence, ne pourraient-elles pas heurter de front tout système de pensée et toute culture hostiles à la notion d’individualité ? De ce point de vue, l’autobiographie a eu et a toujours beaucoup d’ennemis, même au sein de la civilisation occidentale lorsque celle-ci a connu les effondrements des deux guerres mondiales mais aussi, de nos jours, dans l’Occident qui doute, ou pire, qui se prend lui-même en détestation, ce qui constitue encore une menace d’un nouvel épisode d’effondrement.

 

Mais laissons là les digressions et revenons au sujet par une anecdote.

 

J’avais il y a quelques années fait lire à une connaissance un petit ensemble d’articles sur Marguerite Duras que j’avais publié dans le Magazine des livres. Il m’avait été reproché d’employer la première personne du singulier pour décrire mon approche de Duras et de ce fait, de me mettre en scène. Ce reproche m’est parfois adressé lorsque je choisis ce type de narration dans mes chroniques, notamment dans mes collaborations pour la presse. Je me tiens souvent à ce choix parce que je trouve cet angle plus vivant que cette pseudo objectivité dont on nous rebat sans cesse les oreilles et qui n’aboutit le plus souvent qu’à des textes calibrés, lisses et bien ennuyeux.

 

Comme disait Federico Fellini, « Je suis toujours autobiographique, même si je me mets à raconter la vie d’un poisson. »

(À suivre)

© Éditions Orage-Lagune-Express

 

18 mai 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (2)

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Porto, juin 2015

La défiance vis-à-vis de la littérature autobiographique se nourrit de préjugés politiques et psychologiques. J’évoquerai les premiers dans le billet d’aujourd’hui et les seconds dans une autre publication dans quelques jours.

Cette défiance s’inscrit dans ce que j’appelle les nouveaux conformismes qui ne sont que la répétition à l’opposé des anciens selon des successions de cycles plus ou moins longs facilement comparables à des effets de mode. De la mode, ces usages de prêt à penser ont la futilité. Sans en dresser un inventaire fastidieux à travers les siècles, on peut se contenter d’observer la période révélatrice comprise entre l’avant et l’après mai 68.

Le genre littéraire autobiographique a toujours existé, seul diffère le regard porté sur lui au gré des différents contextes historiques et sociaux.

Avant la grande libération de parole qui a caractérisé mai 68, s’exprimer à titre individuel, donner son opinion, raconter sa vie, se raconter, relevait de prérogatives voire de privilèges consentis à une élite intellectuelle et artistique vaguement considérée comme excentrique. Pour le commun des mortels, la norme et les usages dictaient la discrétion et la mesure dans l’expression de soi, ce qui conduisait l’individu à se brider lui-même pour éviter de se détacher du groupe. Dans la société encore très corsetée de l’époque, cette exigence était considérée comme une forme élémentaire de civilité voire de politesse.

Le pli était donné dès la socialisation des enfants, en famille, notamment dans les milieux bourgeois, puis sur les bancs de l’école. Il suffit de regarder les photos de classe de ces années pour mesurer le poids de conformisme qui s’abattait sur les visages de la plupart des écoliers. Ce n’était certes pas grand-chose en comparaison des décennies précédentes où les sourires étaient presque toujours absents de ces photographies scolaires, l’atmosphère s’étant déjà un peu détendue au début des années soixante.

J’étais à l’école primaire privée Sainte Jeanne d’Arc d’Oyonnax au milieu de ces années et je me souviens que nous avions parfois le droit d’évoquer rapidement une expérience personnelle lors des leçons de morale qui tenaient lieu d’instruction civique. En dehors de ces brèves parenthèses, on était prié de garder pour soi toute idée, réflexion, humeur ou émotion ne relevant pas de la sphère collective. Il en allait évidemment de même dans le monde des adultes.

Le grand soir vite remisé au magasin des accessoires, mai 68 ouvrit tout de même une fenêtre dans la valorisation de l’expression personnelle. Dans l’enseignement comme dans les entreprises, l’individu était encouragé à donner son point de vue, ce qui n’était plus vécu par la hiérarchie comme une impolitesse ou une inconvenance mais comme une volonté positive de s’impliquer avec plus d’enthousiasme et de spontanéité dans l’action collective.

C’est à ce moment qu’apparut en littérature ou tout au moins dans l’édition la vogue du témoignage ouvrant à nouveau la voie sur les différentes formes d’écriture autobiographique qui donnèrent encore plus tard des sous-genres tels que l’autofiction. Cette dernière contribua très vite à déconsidérer de nouveau l’autobiographie renvoyée une fois de plus à son insignifiance supposée.

Du point de vue politique, la frustration provoquée par l’échec du grand soir convergea en une radicalisation des courants idéologiques révolutionnaires ou simplement réformistes, lesquels ayant d’abord cru pouvoir tirer parti d’une libération du discours populaire spontané, finirent par renvoyer cette parole individuelle à l’inutile et méprisable expression du narcissisme petit-bourgeois désigné comme une entrave à la contestation et à la lutte contre l’ordre établi qui venait de se reconstituer en se contentant de lâcher un peu de lest.

En littérature, l’écriture de soi faisait désormais plus que jamais l’unanimité contre elle en étant aussi bien rejetée par l’ordre bourgeois que par le dogme révolutionnaire. La boucle était bouclée et cette vision fait aujourd’hui consensus.

On n'admet d’un auteur qu’il choisisse de puiser dans sa vie le matériau de ses livres qu’à la condition que son vécu individuel s’inscrive dans le courant du grand récit collectif ou dans la défense et l’illustration des valeurs en vogue, de préférence politiquement correctes ou correspondant aux standards de la posture rebelle qui remplace de nos jours la véritable action subversive.

Cette pression morale qui fait peser tant de suspicion sur l’autobiographie est tout à fait dans l’air du temps. Elle a même produit un conditionnement psychologique dont je décrirai certains aspects dans quelques jours, en suite des deux premières parties de cette série.

 

(À suivre)

Première partie à lire ici.