23 octobre 2012
Jean Pérol, Libre livre, poèmes, Gallimard, 2012, 160 pages, 18 €
Ce jour de grand vent était un bon jour pour lire le dernier livre de poèmes de Jean Pérol car sa poésie a la même énergie que les bourrasques d’automne qui font le ciel d’or et de plomb, d’une montagne à l’autre, et d’un temps à l’autre écrit l’auteur dans son amicale dédicace. Sur une de ces routes de montagne, le jeune Jean Pérol dévale à vélo la côte qui déboule à Saint-Germain-de-Joux, département de l’Ain, et cherche à deviner quelle pouvait être la maison natale de Jean Tardieu
et surtout à quoi se pouvait bien
un « grand poète » reconnaître
non sans avoir judicieusement précisé :
c’était le temps béni où les poètes impressionnaient
et les joueurs de foot faisaient pitié et plutôt rire
Dans ma longue aventure de lecteur de poésie depuis mes quinze ou seize ans, au gré des découvertes, des étonnements, des engouements, des agacements, des renoncements, des revirements, des enthousiasmes et des enchantements avec les poètes admirés, abandonnés, quittés, retrouvés, j’ai toujours lu Jean Pérol, goûté ses poèmes d'un lyrisme nerveux, traversés de ruptures de rythme, de dissonances, d’harmonies, d’amour et de haine du pays natal, de voyages d’arrachements et de retours en éclaircies soudaines.
Je me souviens, dans les années 80 du siècle dernier, d’un détracteur de Jean Pérol qui déplorait son « écriture pâteuse » et ne mesurait sans doute pas la portée du compliment qu’il venait ainsi de lui adresser à une époque où finissait de se consommer le divorce entre le grand public et une poésie si souvent égarée dans l’expérimentation formelle.
Mais Mallarmé pardonne-moi
c’est quand même un peu ta faute
cette leucémie transmise dans les moelles diaphanes
de tes descendances qui n’en ont plus fini de chercher
Le Livre et ton secret
sous des pages rongées
écrit malicieusement Jean Pérol dans ce texte intitulé Servi à rien extrait des Notes incertaines au bas de certaines pages constituant la deuxième partie de son récent recueil Libre livre (Gallimard, 2012).
Au moment où Jean Pérol publie cet ensemble, le dix-septième de son œuvre poétique si l’on compte bien, une œuvre couronnée par le Prix Mallarmé justement, le « Goncourt de la poésie » après la parution de son recueil Asile exil aux éditions de la Différence en 1987, qu’en est-il de cette soi-disant « écriture pâteuse » peut-on se demander ? Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une écriture qui a de la patte, de la patine, et si pâte il y a, c’est vraiment celle de la vie humaine avec ses ruptures, son histoire contemporaine, son pouvoir de l’ombre, son feu du gel *, une écriture qui n’a rien à voir avec ces chants qui ont cru nous mener et nous faire plus grands, avec ce bavardage abscons se remordant la langue, cette parodie dont les hommes durement se sont un jour écartés.
Doute, regrets, nostalgie noire, blessures à vif du désir et du souvenir, le propos de Libre livre est tourmenté, mais derrière ces durs constats, on retrouve toujours la véhémence de Jean Pérol, notamment dans la troisième partie du recueil dont le titre Nouveau cœur véhément fait bien évidemment écho, quarante-quatre ans après, à l’ouvrage publié chez Gallimard en 1968 et qui s’intitulait déjà Le Cœur véhément. La boucle est-elle bouclée ? Le cercle s’est-il refermé sur le cœur des années ? La réponse est au lecteur car si le poète se veut lucide jusqu’à la noirceur, sa poésie laisse toujours filtrer la lumière.
Dès les premières publications, la poésie de Jean Pérol allait souvent à contre courant sans pour autant chercher refuge dans les formes du passé, même si la rime n’est pas dédaignée dans la première partie de ce récent opus, la plus sombre malgré son titre euphémique Petites variations avant la nuit. Jean Pérol ne prend pas le premier train de l’avant-garde qui passe mais il n’est pas pour autant réactionnaire. Il est simplement de la trempe de ces poètes qui explorent leur propre voie, guidés par leur voix singulière et empruntant de ce fait plus que les autres ce que Jean Tardieu appelait, dans une dédicace qu’il m’avait adressée « le difficile chemin de la création poétique ».
Jean Tardieu, justement, on le croise donc dans le dernier poème de la deuxième partie de Libre livre comme Jean Pérol raconte l’avoir croisé Au bas des escaliers plus exactement en 1968 si je me souviens bien au pied des escaliers gallimardiens. Rien d’étonnant à ce que le cadet Pérol ait composé cet espiègle et fraternel hommage à l’ainé Tardieu en y intégrant des extraits de ses poèmes car ces deux-là (l’un né en 1932 et l’autre en 1903) ont en commun une idée de la poésie ainsi que la vaste forêt d’ombres mielleuses et de sapins noirs du pays des Fleuves cachés**.
Dans cette idée de la poésie partagée par les deux Jean, on trouve la narration qui revient, on s’en réjouit, dans le poème contemporain après quatre décennies pendant lesquelles Jean Pérol, de recueils poétiques en romans et en essais, a maintenu son cap. Il s’en expliquait déjà lors d’une interview improvisée qu’il m’avait accordée voici presque un quart de siècle en évoquant notamment les titres et sous-titres de ces recueils :
Tous mes sous-titres étaient faits exprès, à un moment où la poésie n’avait rien à voir avec le quotidien. Ce ne devait être qu’une mécanique linguistique dans laquelle on se livrait à des expériences. Maintenant, tout le monde a retourné sa veste. Mais en 1972, la biographie, interdite ! Le « je », le quotidien, interdits ! Donc, moi, uniquement pour enquiquiner, j’avais appelé ça « journal-poème » pour bien dire : ce sont des poèmes qui parlent de la vie de tous les jours, des signes que je donnais pour me faire entendre, comme mon premier recueil intitulé « Le Cœur véhément ». Mais, à ce moment-là, on déniait tout sentiment, tout droit au sentiment à la poésie. Alors, toujours pour embêter, j’ai pris ce titre presque « à la rictus », Le Cœur véhément, pour qu’on voie bien qu’il s’agit d’une histoire de cœur. Après, il y avait « récit-poème » parce que la poésie raconte. Les gens ont compris. Alors, j’ai appelé ça « poèmes », tout simplement.
Oui, la poésie raconte, et à qui s’est éloigné d’elle par incompréhension et lassitude, il faut aujourd’hui pour de belles retrouvailles conseiller de lire Jean Pérol car il est un des poètes français de sa génération qui a le mieux réussi à rester à hauteur d’homme sans rien sacrifier à son exigence de vivre le libre livre.
* Titres de plusieurs recueils de Jean Pérol.
** Mon pays des fleuves cachés est un poème de Jean Tardieu. Le Fleuve caché est le titre d'un recueil de Jean Tardieu. Ce titre est aussi celui de la première plaquette de poèmes publiée par Jean Tardieu en 1933.
Photo : Jean Pérol au Pont d'Ardèche
01:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean pérol, libre livre, gallimard, poésie, jean tardieu, blog littéraire de christian cottet-emard, lecture, entretien, dédicace, bugey, haut bugey, ardèche, saint germain de joux, ain, rhône-alpes, france, poètes français, interview
13 juin 2011
C’est payé combien ?
Je viens une fois de plus de me rendre sympathique en répondant « c’est payé combien ? » à l’invitation d’une élue organisatrice d’un salon du livre où pas même un défraiement des auteurs n’est prévu. Face à ce genre de proposition, je m’en tiens désormais à cette question pour faire comprendre à qui ne serait pas encore prévenu que lorsque j’entends le mot bénévolat, je sors mon revolver.
Petite parenthèse : j’ai plaisir à lire des extraits de mes livres en public mais il faut que ce soit du sérieux, comme dans le cadre de la Scène poétique de Patrick Dubost où l’on témoigne de la considération et de la bienveillance pour le travail des auteurs invités, ce qui se traduit aussi par une rémunération. Je précise au passage que je suis intervenu lors d’une des dernières séances de la Scène poétique à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon. Suite à la suppression brutale de ce cycle de poésie parlée, la Scène poétique a trouvé un nouveau havre à l’ENS (École Normale Supérieure) de Lyon, ce qui est une très bonne nouvelle.
Revenons à ma dernière participation à un grand salon du livre. Cela remonte à la publication de mon Club des pantouflards. J’intervenais une journée sur le stand de mon éditeur et le lendemain sur le stand d’un important groupe de librairies où j’ai d’ailleurs été très gentiment accueilli par le personnel. J’avais accepté cet arrangement (en l’absence de tout défraiement) pour être agréable à mon éditeur qui fait du bon travail auprès des libraires, notamment chez celui qui me recevait pour la deuxième partie de ma prestation. La bonne ambiance qui régnait sur le stand du libraire me faisait oublier mes réticences à travailler bénévolement à une animation commerciale lorsque je vis se diriger droit sur moi un monsieur âgé mais énergique, coiffé d’un chapeau et vêtu d’un pardessus classique à la mode des années soixante-dix du siècle dernier. Il me gratifia d’une poignée de main vigoureuse en prononçant son nom d’une voix forte. J’avais devant moi le fondateur de la chaîne de librairies où je faisais de la figuration. Je me présentai à mon tour puis, voyant ce monsieur disposé à bavarder alors que je ne trouvais pas grand chose à lui dire, je fis allusion à la formation aux métiers de la librairie que j’avais suivie de nombreuses années auparavant. Il enchaîna sur ce sujet, évoquant même des personnalités que nous connaissions tous deux, lorsqu’il interrompit la conversation en me coupant fort grossièrement la parole. Il m’indiqua du doigt trois personnes qui feuilletaient mes livres et déclara sur le ton de qui est habitué à se faire obéir, comme si je faisais partie de son personnel : « vous avez des clients. »
L’âge vénérable de ce boutiquier me préserva de la tentation d’envoyer valdinguer son chapeau à l’autre bout du salon pour lui apprendre la politesse, ce qui eût certes été conforme à l’idée que je me fais des relations humaines lorsqu’on me prend à rebrousse-poil mais qui eût sans doute aussi ruiné les patients efforts de mon éditeur en faveur de la diffusion de la littérature.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette anecdote d’une autre, impliquant le même genre de personnage dans un contexte en apparence différent. En apparence seulement.
L’été de mes seize ans, j’eus la chance de découvrir en compagnie de quelques camarades les joies d’un mois d’usine pour financer mes vacances. Parfois, les conducteurs de machines devaient procéder à quelques réglages, ce qui nous ménageait à nous, simples manœuvres, un temps de répit bref mais appréciable en ces longues heures exténuantes.
Au cours d’une de ces pauses, le vieux fondateur de l’usine, en retraite depuis longtemps, vint faire son petit tour du propriétaire et nous repéra tout de suite en train de souffler en attendant la fin des réglages. Il nous ordonna de nous saisir des balais qui ne servaient qu’en fin de journée pour débarrasser le sol des débris de fabrication, ce qui était parfaitement inutile puisque nous allions reprendre la production et donc encombrer le sol de nouveaux débris quelques minutes après. Naturellement, dès qu’il eut le dos tourné, les régleurs nous firent poser les balais en rigolant et en nous disant de ne pas nous en faire : « ça lui rappelle ses bonnes années ! »
Quel rapport avec le premier épisode ? Eh bien là au moins, nous étions payés.
02:45 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : salon du livre, lecture en public, dédicace, signature, scène poétique, ens de lyon, école normale supérieure, bibliothèque de la part-dieu, christian cottet-emard
25 février 2010
Des salons et résidences
Retrouvant le MacBook après une brève escapade en forêt, j'ouvre un mail de relance à la suite d’une « invitation » à participer (bénévolement, cela va sans dire) à diverses rencontres autour du livre ainsi qu’à un salon qui avait déjà eu lieu l’an dernier. Sans en être, j’avais suivi attentivement la couverture de presse déplorable de cet événement, ce qui aujourd’hui encore me laisse perplexe sur les bénéfices que les auteurs ainsi « invités » peuvent espérer d’une telle initiative.
Je ne parle pas, dans le même ordre d’idée, de ces résidences d’auteurs qui s’ouvrent un peu partout de nos jours et à propos desquelles j’avais ironisé sur ce blog et dans Le Magazine des Livres. À l’époque où l’idée de participer à une de ces résidences m’avait effleuré, j’avais découvert, liste en mains, que la plupart étaient complètement en rupture avec le projet d’origine qui consiste à loger un écrivain et à le rémunérer sur une durée déterminée pour l’aider à apporter le point final à un livre. De nos jours, ce type de résidence devient très rare et l’on demande désormais à l’auteur de fournir (sans le salaire correspondant) un travail d’animation (interventions en milieux scolaire, pénitentiaire, organisation d’ateliers d’écriture et, dans le meilleur des cas, rédaction de textes destinés à valoriser un terroir, une tradition et que sais-je encore...) D’après ce que j’ai pu lire de telles productions, je pense que la littérature n’y gagne rien. De plus, un écrivain n’est ni un animateur social, ni un éducateur de quartier ni un agent du patrimoine. Dans un tel contexte, je considère que la meilleure résidence d’auteur est ma maison.
02:36 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : salons du livre, résidence d'auteurs, rencontres, littérature, livre, dédicace, signature




























