23 mars 2015
Carnet / Des débats toxiques, de l’abstention, de l’anxiété et de la musique de Sir Edward Elgar
J’aimerais bien passer une journée sans entendre parler de religion, en particulier de celle qui m'effraie le plus en ce moment.
C’est pourquoi je n’ai pas assisté au café philo proposé vendredi à la médiathèque municipale d’Oyonnax sur le thème « la religion enferme-t-elle ou libère-t-elle ? » et qui a connu si l’on en croit la presse locale un record de participation. Faut-il s’en féliciter ou s’en inquiéter ? Je ne sais. Peut-être aurai-je l’occasion de demander aux organisateurs ce qu’ils en pensent. Partagé entre la curiosité et la crainte, inquiet d’éventuels incidents ou débordements, peu désireux d’accroître encore mon anxiété, je me suis finalement abstenu.
L’abstention, le retrait et la fuite sont des postures qui ne me remplissent pas toujours de joie (quoique, parfois...) mais qui sont le reflet de ma nature allergique à tout engagement collectif.
Je pense aussi qu’en Occident, nous sommes en train de nous laisser piéger dans des débats toxiques, d'un autre âge, qui nous tirent vers le bas et dont les sujets devraient normalement nous apparaître à notre époque comme définitivement réglés, ce qui n’est hélas pas le cas à cause de forces hostiles visant à faire éclater la société civile laïque.
À propos d’abstention, politique cette fois-ci, j’ai assisté récemment à l’échange contradictoire aigre-doux de deux amis sur ce sujet. Le fait qu’ils aient tous deux raison, l’un de ne pas voter, l’autre d’y aller, ne change rien au problème de fond : que faire quand on a « le couteau sous la gorge » ? Ma réponse : essayer d’estimer le danger au plus juste et se débrouiller avec sa conscience.
En ce qui me concerne, j’irai donc voter ce dimanche après-midi, certes sans enthousiasme, en évitant tout vote défouloir dans une élection finalement peu politique puisqu’il s’agit tout simplement d’élire des gestionnaires. Dans le contexte de ce type de scrutin, l’abstention n’a guère de sens ou tout au plus un sens individuel dont tout le monde se fiche hormis celui qui, dans le meilleur des cas par rapport à quelqu’un qui va à la pêche, entend marquer ainsi son mécontentement, son opposition ou son indifférence.
En tous cas, voilà au moins des élections, les départementales, qui ne seront pas trop polluées et faussées par l’angoisse liée aux questions religieuses. Du moins peut-on l’espérer, sauf si un électorat exaspéré utilise ce scrutin pour (se) faire peur, une tentation et une pratique qui remet tout simplement en question l’opportunité du suffrage universel. Je veux dire que le geste démocratique de base, le vote, ne doit s’accomplir que dans la réflexion la plus élaborée dont chaque citoyen soit capable.
Si cette réflexion est emportée par un torrent d’exaspération, autant rester chez soi et, sauf à vouloir nuire délibérément, se défouler en cassant un peu de vaisselle ou en pratiquant un sport quelconque si l’on est adepte de ce genre de petite perversion.
La politique ne m’intéressant guère plus que la religion, je préfère conclure cette page de carnet en évoquant ma dernière trouvaille discographique, un coffret de deux CD regroupant deux compositions de Sir Edward Elgar, Scenes from the Saga of King Olaf, cantate sur un vaste poème modifié d’Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), et The Banner of Saint George, une ballade composée sur des vers de Henry Shapcott Bunce (1854-1917) connu sous le pseudonyme de Shapcott Wensley.
La religion est certes l’un des thèmes de ces deux œuvres poétiques mais les livrets étant à mon goût sans le moindre intérêt et de toute façon chantés en anglais, seule la musique d’Elgar m’intéresse et elle est somptueuse.
À qui partagerait ma passion pour les œuvres de Sir Edward Elgar, je recommande cet enregistrement Chandos tout récent de Sir Andrew Davis à la direction du Bergen Philharmonic Orchestra avec la soprano Emily Birsan, le ténor Barry Banks, le baryton Alan Opie, le Chœur philharmonique de Bergen, le Collegiûm Mûsicûm de Bergen dirigés par Hakon Matti Skrede, et le Edvard Grieg Kor de Bergen.
Photos d'Elgar prise ici
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02 mars 2015
Carnet / Hommage / Au bon plaisir de Joseph Bassompierre
J’ai appris ce week-end la disparition à l'âge de 73 ans de Joseph Bassompierre et je souhaite lui rendre un hommage particulier dans ces colonnes.
Joseph Bassompierre aux claviers de l'orgue Nicolas-Antoine Lété de l'abbatiale Saint Michel de Nantua (photo Christian Cottet-Emard)
Dès mon plus jeune âge, Joseph Bassompierre fut pour moi toujours associé en premier lieu à la musique, à la littérature et à une manière de vivre que je qualifierais de « selon son bon plaisir » . Dans mon adolescence, je fréquentais sa librairie à Oyonnax où l’on trouvait en plus un bon choix de disques classiques. Le commerce des livres et des disques — le commerce tout court — n’était cependant pas le grand souci de cet aristocrate qui possédait la plus rare des qualités, l’élégance du cœur et de l’esprit. En faisant petit à petit sa connaissance, je me rendis vite compte que Joseph Bassompierre était un homme du dix-huitième siècle « parachuté » dans le vingtième siècle.
J’aurais à ce sujet beaucoup d’anecdotes amusantes et émouvantes à raconter mais je ne voudrais pas réduire cet hommage à la seule évocation des aspects les plus pittoresques de sa personnalité en réalité empreinte d’une complexité secrète mêlant en un alliage subtil le goût de la vie, l’humour distancié et, en retrait, affleurant à peine, une discrète mélancolie qu’il veillait à dissimuler en public sous une civilité joviale. Je me souviens notamment de sa joie enfantine le jour où il m’annonça avoir déniché à la grande foire à la brocante de Leyment un buste représentant un de ses ancêtres.
Joseph Bassompierre ne cherchait jamais à afficher sa culture, son érudition et ses multiples talents qu’il n’avait aucun besoin de mettre au service d’un métier, d’une profession. Encore assez jeune, dès qu’il en eut l’idée et le loisir, il cessa d’être libraire et consacra sa vie à ses passions : l’orgue, les voyages (dans un souverain mépris du confort le plus élémentaire), l’aviation, la plongée, avec pour seule règle son bon plaisir. Il avait tout son temps pour lui, ce qui le rendait disponible à qui lui témoignait une amitié sincère.
Je ne manquais aucun de ses concerts d’orgue en l’abbatiale de Nantua où son action fut décisive pour la préservation, le classement et la promotion de cet instrument exceptionnel qu’est l’orgue Nicolas-Antoine Lété à la tribune duquel il joua avec brio, invitant d’autres organistes célèbres à contribuer au rayonnement de l’instrument et favorisant l’enregistrement de disques réédités en CD parmi lesquels l'œuvre pour orgue de Robert Schumann par Philippe Lefebvre (FY) et des pièces de Louis Alfred James Lefébure-Wely par René Saorgin (Harmonia Mundi). C'est bien sûr grâce à Joseph Bassompierre que les élèves de la classe d'orgue du Conservatoire d'Oyonnax peuvent jouer sur cet instrument classé monument historique et dont l'organiste titulaire est depuis de nombreuses années leur professeure, Véronique Rougier.
Lorsque ses forces l’abandonnèrent progressivement, Joseph Bassompierre cessa de donner des concerts mais assista fidèlement à ceux des autres interprètes, toujours prêt à intervenir sur l’orgue qu’il connaissait par cœur lorsque pouvait survenir un problème technique.
Joseph Bassompierre au cœur de « son » orgue à Nantua (photo Christian Cottet-Emard)
Pour conclure cet hommage sur une note plus personnelle, je préfère me contenter d’évoquer un des moments passés en sa compagnie à l’époque où je lui rendis visite chez lui à Groissiat dans l’Ain pour écrire un article sur l’orgue de Nantua. J'ignorais encore que de nombreuses années plus tard, j'allais devenir papa d'une fille élève organiste à qui Joseph Bassompierre fit un compliment qui me toucha beaucoup : après l'avoir écoutée jouer une pièce de Louis-Nicolas Clérambault, il déclara : « Elle a les doigts pour jouer cette musique » .
En cette lumineuse journée d’été, il m’ouvrit la porte de sa grande maison de village surplombant la vallée verdoyante, me fit traverser une vaste cuisine sombre, en désordre, où un chat à trois pattes nous escorta jusqu’à un salon aux fenêtres grandes ouvertes sur la campagne ensoleillée. Le chat à trois pattes se jucha sur une pile vacillante de livres anciens. Joseph Bassompierre s’installa au piano et me joua la Berceuse de Louis Vierne au rythme de laquelle, en un instant suspendu, semblait s’accorder l’ample ondulation des foins sous la brise.
Christian Cottet-Emard
PS : Dans le sillage de l’avion de Saint-Ex.
Organiste, Joseph Bassompierre avait aussi un vrai talent littéraire qu’il ne se soucia pas d’exploiter mais qui s’exprime dans ses lettres et dans un texte (voir la copie en fin d'article) qu’il envoya à la revue de littérature et de sciences humaines Le Croquant suite à l’organisation du Prix Vol de nuit avec le soutien du Conseil Général de l’Ain, à l’occasion du centenaire de la naissance d’Antoine de Saint-Exupéry.
Aviateur lui-même et admirateur de Saint-Ex, Joseph Bassompierre vit son texte retenu par le jury et publié dans le n°29 du Croquant. Dans sa grande modestie, il était persuadé, me sachant au comité de rédaction de la revue, que j’étais pour quelque chose dans la sélection de son texte, ce qui n’était évidemment pas le cas. Il ne devait ce plaisir qu’à son seul talent.
J’eus beau lui affirmer qu’appréciant quant à moi peu l’auteur du Petit Prince, je me serais de toute façon bien gardé de participer au jury de ce Prix, il n’en démordit pas et voulut m’offrir un baptême de l’air dans un planeur qu’il pilotait. Il me fut d’autant plus facile de refuser catégoriquement cette invitation lorsque Joseph Bassompierre me précisa avec enthousiasme : « Vous savez, on peut monter jusqu’à pas loin de dix-mille mètres » !
CC-E
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15 février 2015
Carnet / De la sincérité
Levé à 6h ce samedi matin. Je ne dors que d’un œil et seulement quelques heures. Dehors, grand vent, averses et éclaircies dans la matinée. Les frênes s’ébrouent de leurs glaçons et se redressent.
La maison émerge peu à peu de sa gangue de neige. Encore quelques gros flocons fondus transformés en pluie battante. C’est toujours moins pénible que la neige. Dès qu’il fait plus doux, les parfums de terre sont libérés. J’ai de nouveau entendu la chouette.
Musiques chorales et avec orgue de Walton le matin (The Twelve, Coronation Te Deum, Magnificat and Nunc Dimittis, Jubilate Deo, Antiphon) et Brahms l’après-midi (Variations sur un thème de Haydn, Ouverture tragique, Ouverture académique). Poursuite de la lecture du pavé de Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations.
Avant de rendre visite à ma mère vers midi, une brève incursion au marché d’Oyonnax pour acheter du comté Seignemartin. Oyonnax, bourgade de plus en plus déprimante et pas question de lui préférer Saint-Claude qui est dix fois pire dans un autre style. Pas étonnant que le photographe Raymond Depardon ait fait son miel de ces deux villes dans son affreuse et éprouvante série intitulée La France.
Je remonte vite dans mon village jurassien où ma maison et ma propriété un peu à l’écart et donnant sur un beau paysage me plaisent (malgré l’hiver) mais je n’irai ni plus haut ni plus loin dans la Franche-Comté que je trouve sinistre.
Ce coin de nature où je suis installé est une bulle spatio-temporelle dans laquelle j’arrive à faire mon nid parce que je sais que je peux m’en échapper quand je le souhaite. Cette solution me semble plus prudente et plus adaptée à mon caractère assez réactionnaire, craintif, méfiant et peu enclin aux adaptations rapides que nécessiterait un déménagement dans le Sud-Ouest ou à Lisbonne ainsi que j’en suis souvent tenté. C’est aussi une question d’argent. Je ne suis pas dans le besoin mais je n’ai pas non plus les moyens d’avoir des résidences secondaires. Le mieux pour moi est donc de garder ma base actuelle et d’effectuer des séjours touristiques dans les grandes villes et capitales qui me plaisent. En plus, j’aime les hôtels (de préférence standards et où l’on parle français).
Je sais, tout cela n’est ni brillant ni original mais l’originalité, j’essaie de la réserver à la littérature tout en lui préférant tout de même la sincérité. Sinon, à quoi bon ces carnets ?
01:52 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, prairie journal, jura, franche-comté, oyonnax, ain, france, europe, saint-claude, comté, fromage, nature, campagne, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, sommeil, insomnie, nuit, matin, neige, pluie, frêne, musique, sir william walton, the twelve, coronation te deum, magnificat and nunc dimittis, jubilate deo, antiphon, brahms, variations sur un thème de haydn, ouverture tragique, ouverture académique, raymond depardon, la france de raymond depardon, photographie, lisbonne, portugal, tourisme, hôtel, sud ouest