Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02 septembre 2019

Carnet / Le jour des blouses grises

 

carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,variations symphoniques,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,évocation,souvenir,rentrée scolaire,grandes vacances,rentrée des classes,école primaire,maître d'école,instituteur,blouse grise,baguette,salle de classe,estrade,glas,église saint léger,oyonnax,fête foraine,maréchal ferrant,pasage étienne Dolet,école jeanne d'arc,grande ourse,pierre et le loup,prokofiev,épicéa,fugue,christian cottet-emard,cm1,CP,cours préparatoire,enseignement privé,je vous salue marie,notre père,prière,retenue,colle,récit,enfance,mémoire

Quand j’étais encore concerné, la rentrée des classes marquait pour moi le jour le plus noir de l’année, surtout à l’école primaire. À cette époque, au début des années soixante du vingtième siècle, les vacances d’été commençaient le 27 juin et se terminaient le 15 septembre, ce qui en faisait véritablement, selon l’expression consacrée, les grandes vacances.

Le jour de la rentrée, l’odeur des goûters que les élèves transportaient en plus du cartable dans une petite besace de plastique tressée me révulsait plus que de coutume avec son mélange d’effluves de chocolat et d’orange. Cette odeur se répandait dans le couloir obscur qui servait de hall d’entrée à l’école et qui se prolongeait par un vaste escalier donnant accès aux étages et aux salles de classe. Sur le palier du premier étage, une porte ouverte donnait sur le préau et la cour de récréation, celle-ci constituant déjà plus à mes yeux une arène qu’un lieu de détente dans cet univers masculin. Il fallait attendre l’entrée en sixième au collège situé quelques rues plus bas pour retrouver la mixité dont nous étions subitement privés après la maternelle dès l’entrée à l’école primaire. 

J’avais trois rues à traverser pour aller du domicile de mes parents jusqu’à l’école. Le trajet s’égayait deux fois par an avec l’installation de la fête foraine aux abords de l’église. En attendant de scintiller et de tourbillonner, les manèges dormaient sous leurs bâches dans le matin brumeux. En bas des marches d’un étroit passage entre des maisons et des ateliers, le dernier maréchal-ferrant faisait tinter son marteau. À la sortie du passage, l’immeuble de l’école s’élançait dans le ciel gris. Lorsque j'arrivais (assez rarement) en retard, je levais les yeux vers la lourde porte à deux battants fermée et je restais quelques instants immobile pendant que me saisissait l’idée de la fugue en direction de la forêt distante d’à peine quelques centaines de mètres au bout d’une petite route en pente. Je me demandais alors comment j’allais pouvoir manger, boire et dormir une fois les hautes silhouettes des épicéas englouties par l’énorme nuit de l’automne. J’avais souvent entendu parler de la Grande Ourse sans bien comprendre de quoi il s’agissait dans le ciel et j’écoutais en boucle mon disque de Pierre et le loup de Prokofiev, ce qui ne m’encourageait guère dans mes projets de désertion. 

J’entrouvrais donc ce que j’allais appeler des décennies plus tard dans un poème la grande porte de la fugue et je me faufilais dans le hall sombre pour rejoindre les gamins les moins pressés d’obéir à l’ordre de se mettre en rang. J’avais alors vue sur les nuques et les oreilles de tous ces marmots de mon âge, à peu près tous tondus par le même coiffeur auquel nous confiaient nos mères lorsque nos têtes se hérissait d’un excès d’épis et de mèches rebelles. Nous gardions ainsi la posture tant que le silence n’était pas obtenu puis chaque cortège montait pesamment l’escalier pour rejoindre sa salle de classe respective sous l’œil suspicieux des maîtres. 

Le regard le plus noir, jaillissant du visage assombri d’un collier de barbe, appartenait au maître du cours préparatoire, un grand type aux épaules légèrement voûtées qui portait souvent ses vestons anthracite sans enfiler les manches, ce qui lui donnait l’allure évanescente d’un spectre à quatre bras. Cet homme très brun aux sourcils épais et noirs et au teint gris, jeune et taciturne, n’avait jamais besoin d’élever sa voix sourde pour donner des ordres. Ses larges mains recouvertes d’une peau blafarde pouvaient à tout moment s’envoler en direction de notre figure pour y atterrir en un claquement sec. Contrairement à son collègue tonnant du CM1, le maître du CP n’avait pas besoin de théâtraliser ses colères parce qu’il semblait tout entier habité par une colère permanente, froide et silencieuse qui me glaçait le sang. Ses annotations à l’encre rouge dans les marges de nos exercices exprimaient en une impeccable calligraphie l’ironie amère et  le réfrigérant dédain que lui inspiraient nos fautes d’orthographe et nos erreurs de calcul.

carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,variations symphoniques,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,évocation,souvenir,rentrée scolaire,grandes vacances,rentrée des classes,école primaire,maître d'école,instituteur,blouse grise,baguette,salle de classe,estrade,glas,église saint léger,oyonnax,fête foraine,maréchal ferrant,pasage étienne Dolet,école jeanne d'arc,grande ourse,pierre et le loup,prokofiev,épicéa,fugue,christian cottet-emard,cm1,CP,cours préparatoire,enseignement privé,je vous salue marie,notre père,prière,retenue,colle,récit,enfance,mémoireJ’admire encore aujourd’hui le dessin harmonieux et les parfaits pleins et déliés dont il gratifiait chaque lettre du mot imbécile délicatement déposé au porte-plume sur le mauvais papier de mes cahiers du jour. Étrangement, ce personnage effrayant détenait l’étonnant pouvoir de nous enchanter quand il racontait une histoire qu’il illustrait d’un tour de main en recouvrant le tableau noir (plus exactement vert très sombre) de somptueuses fresques foisonnantes d’animaux et de paysages composées aux craies de couleur. Cet homme cuvait-il dans l'enseignement l’amertume récurrente d’une vocation d’artiste contrariée ? C’est la question que je me pose aujourd’hui en revoyant son regard aussi ténébreux que l’eau profonde d’un lac glaciaire... À moins qu’il ne souffrît en ces années lointaines d’un vieux chagrin d’amour fossilisé qui le pétrifiait de l’intérieur.

Une fois en classe, nous devions attendre le signal du maître pour nous asseoir, non sans avoir auparavant récité collectivement le Notre Père ou le Je vous salue Marie. J’avais pour ma part une préférence pour cette Marie pleine de grâce dont l’évocation me souriait plus, dans cette poche de tristesse et d’inquiétude qu’était la classe, que l’image intimidante de ce Père énigmatique et si haut dans les Cieux. Mes prières n’en étaient pas moins sincères mais tournées vers de bien prosaïques soucis : Sainte Marie pleine de Grâce, faites que je ne sois pas interrogé au tableau, Notre Père qui êtes aux Cieux, délivrez-moi du calcul mental et faites que je ne sois pas collé jeudi.

Le reste de la matinée coulait alors au rythme du glas qui tombait du clocher tout proche de la bien mal nommée église Saint-Léger. L’après-midi était du même tonneau mais j’avais la chance de rentrer chez moi pour le déjeuner. Je sais gré à mes parents de ne m’avoir jamais imposé une seule fois de manger à la cantine. En voyant vivre les enfants aujourd’hui, j'ai conscience du luxe qui m’a été donné de connaître une enfance sans nounou, sans cantine scolaire et sans étude du soir.

carnet,note,journal,autobiographie,écriture de soi,prairie journal,variations symphoniques,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,évocation,souvenir,rentrée scolaire,grandes vacances,rentrée des classes,école primaire,maître d'école,instituteur,blouse grise,baguette,salle de classe,estrade,glas,église saint léger,oyonnax,fête foraine,maréchal ferrant,pasage étienne Dolet,école jeanne d'arc,grande ourse,pierre et le loup,prokofiev,épicéa,fugue,christian cottet-emard,cm1,CP,cours préparatoire,enseignement privé,je vous salue marie,notre père,prière,retenue,colle,récit,enfance,mémoire

Il faut dire que mon aversion définitive pour toute forme de vie en collectivité, pour toute activité sportive et pour tout engagement associatif est née dans la cour de récréation où la seule forme de loisir admise (à part une brève partie de billes) était le jeu de ballon obligatoire auquel s’ajoutait la séance d’éducation physique, activités qui m’ont inspiré mépris et dégoût dès mon plus jeune âge.

Lorsque je repense à ces rentrées scolaires déprimantes avec leurs relents de gymnase et leurs instituteurs en blouses grises pointant leurs baguettes du haut de leurs estrades, je mesure à quel point elles ont pu déterminer quelques aspects de mes débuts dans le monde et ma vision de la vie humaine tout en sachant qu’elles m’ont aussi ouvert une autre grande porte de la fugue, non pas celle qui me donnait envie de détaler en direction d’une sombre forêt mais celle, autrement imposante, qui m’indiquait l’étrange chemin vers les horizons du récit.

 

Extrait de mon livre Prairie Journal © Éditions Orage-Lagune-Express. Droits réservés.

Pour les oyonnaxiens, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale.

16 mai 2019

Carnet / Mémoire de piaf ?

rubrique nouvelles du front,politique,élections européennes,camapgne élections européennes,lrm,nathalie loiseau,journal le monde,presse,quotidien national,journal du soir,blog littéraire de christian cottet-emard,listes électorales,presse quotidienne régionale,oubli,mémoire,trous de mémoire,politique politicienne,christian cottet-emardJ’évoque assez rarement la politique sur ce blog, y compris en période de campagne électorale et d’élections mais je voudrais commenter cette réponse stupéfiante de Nathalie Loiseau, tête de liste LRM aux européennes, lors d’un entretien dans Le Monde :

Question : Mais pourquoi ne pas avoir reconnu tout de suite que vous aviez été candidate sur une liste étudiante d’extrême droite ?

Réponse de Nathalie Loiseau : On m’a demandé si j’avais été d’extrême droite, je ne l’ai jamais été. Pour ce qui est de la liste, je ne m’en souvenais pas. Qui se souvient de chaque journée passée il y a trente-cinq ans ?

Voici donc une dame qui fait de la politique, ce qui laisse supposer qu’elle accorde de l’importance à cet engagement, et qui veut nous faire croire qu’elle a oublié cet épisode ? Si c’est vraiment le cas, sa mémoire semble commencer à lui jouer des tours. Pas terrible pour exercer un mandat.

Trente-cinq ans après, on peut certes oublier pas mal de péripéties de la vie courante mais s’inscrire sur une liste électorale, quelle que soit son orientation, n’est pas anodin. C'est quand même autre chose que signer une pétition.

Lors de mon passage dans la presse locale dans les années 80 et même après mon départ au début des années 90, j’ai été approché à mon grand étonnement pour figurer sur des listes. Si j’avais accepté, ce qui ne risquait pas d’arriver, je m’en souviendrais encore parfaitement aujourd’hui en 2019.

Je n’ai pourtant pas une mémoire d’éléphant, excepté pour la rancune, je l’avoue, mais je ne peux pas croire qu’on puisse oublier d’avoir inscrit son nom sur une liste électorale, à moins que cette dame ait une cervelle en rapport avec son patronyme, ce que je ne peux évidemment pas croire non plus.

Voilà qui peut paraître secondaire mais comme on dit, le diable est dans les détails, surtout lorsqu'il s'agit d'accorder un minimum de confiance en politique, ce qui m'est impossible envers cette candidate et bien sûr le parti qu'elle représente.   

 

01 novembre 2016

Mon poème de la Toussaint et du Jour des Défunts

poème,toussaint,jour des morts,défunts,fidèles défunts,occident,christian cottet-emard,fête chrétienne,blog littéraire de christian cottet-emard,commémoration des fidèles défunts,élégie,jours d'automne,hiver,heure,heure d'hiver,deuil,mémoire

I

Toussaint

À la veillée des anciens mondes les feux d’humbles talus parfument les champs d’astres

La rivière est souvent déjà sombre et rapide mais la lumière en ses méandres y trouve un chemin dans les saules

Dans le courant chaque seconde et chaque vague reçoivent nos séjours

L’herbe chante à la flamme veilleuse des rivages des refrains de vergers loin derrière les fumées de berges incertaines

La voile accueille un vent fossile et conduit des paroles en forme de légendes et de mystères enchantés

 

II

Défunts

Les arbres bruissent du fond des terres où vous vous effacez

Défunts désormais loin des berges de l’aube et du soir où l’on allume des feux d’herbe pour croire encore en un retour en gloire

Qu’importe au fleuve ténébreux l’esquif de braconniers en loques tous ils retournent sur le flot

Toutes saisons ne furent qu’escales où l’on offrit et déroba le pain farci de clefs des champs la gourmandise du veilleur la provision du matinal

 

III

Élégie des beaux jours d’automne

C’est trop bête les beaux jours d’automne sans vous toutes et tous absents pour toujours

Partout des prodiges sur Terre elle-même prodige vue depuis la Mer de la Tranquillité

Chaque seconde des miracles la lune dans les frênes la campanule à fleur de roche le mauve de la colchique le marron d’Inde qui brille sur la petite route forestière

On n’a rien vu de tel ailleurs dans l’univers pourtant si extravagant jusque dans ses plus profonds enfers alors pourquoi

Pourquoi pas juste une fois encore même une seule ce si petit miracle comparé aux autres si prodigieusement absurdes si majestueusement et sidéralement stupides

Pourquoi pas ce minuscule miracle un peu de temps encore avec vous toutes et tous dans les beaux jours d’automne

Car en comparaison de vous toutes et tous qui êtes tout et qui avez existé Science Foi Philosophie et Destin pèsent moins qu’un caillou de la Mer de la Tranquillité

 

IV

Deuil

L’heure vient à l’hiver en son office de ténèbres pour naviguer sur l’estuaire inconnu

La prière se mesure à l’absence à l’énigme éternelle au récit d’un été

Les voûtes n’ont pu tenir le retour d’une joie ancienne

La nuit alourdit de pétales et d’encens la veillée des faux morts ceux dont l’oubli ne veut

 

© Éditions Orage-Lagune-Express 1992 et 2016 pour la version modifiée et augmentée

Photo © Christian Cottet-Emard