21 décembre 2023
Carnet / Des mots et expressions qui m’énervent.
On reconnaît la qualité, la force et la cohérence d’une société au rapport qu’elle entretient avec sa propre langue parlée et écrite, celle des élites et celle du peuple. Dans l’accélération brutale de la déliquescence ambiante commencée depuis quelques décennies (dont j’ai moi-même trop tardé à mesurer l’ampleur lorsque j’étais plus jeune), les exemples de formulations insensées au service du mensonge et de la confusion abondent.
« Discrimination positive » : comment la nature essentiellement négative de toute discrimination peut-elle se voir attribuer l’adjectif « positive » ?
« Secourisme à l’envers » : « Le concept de "secourisme à l’envers" expliqué dans l’avant-projet de loi sur la fin de vie a fait bondir le Dr Claire Fourcade, présidente de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs ». « Je ne sais pas qui a pensé qu’un soignant pourrait avoir envie de faire du secourisme à l’envers. C’est surréaliste ». ( Source : RCF Radio, 14 décembre 2023).
« Revisité » : (Dans l’air (pollué) du temps). Dans la création artistique notamment, ce terme ne désigne en réalité qu’un prétexte aux atteintes les plus diverses à des œuvres d’art du patrimoine, ce qui signe l’impuissance créatrice, l’escroquerie et une tentative de contourner l’accusation de plagiat. On change une couleur, on ajoute ou enlève un détail, on bidouille une photo, on se tient sur la crête (dangereuse) où l’on se prévaut souvent de l’interprétation. Le procédé est plus difficile en littérature mais fréquent dans la musique, le graphisme et la mise en scène.
00:09 Publié dans carnet, Le mot qui m'énerve | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langage, expression, langue, revisité, secourisme à l'envers, discrimination positive, mensonge, confusion, décadence, déliquescence, christian cottet-emard, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, journal, le mot qui m'énerve, impuissance créatrice
22 novembre 2023
Des crocs et des ailes
Avant la Toussaint, les arbres, en particulier les frênes, restaient verts alors que ceux-là sont habituellement les premiers à entrer tout en or dans la ronde automnale. Le grand vent ne faisait danser que quelques feuilles desséchées lors de l'été caniculaire.
On peut maintenant recommencer à marcher dans la campagne en savourant l'air vif qui donne faim. L'appétit, j'en manque rarement mais je suis à chaque fois étonné de constater que pour moi, il augmente dès le début de l'automne. Les oiseaux, que je vois s'envoler à mon passage dans les sentiers forestiers, du moins ceux que l'on chasse, m'inspirent autant d'émotions poétiques que culinaires. Je les imagine alors bien rôtis dans mon assiette. Heureusement, je ne suis pas chasseur. Les poissons que je vois sauter au-dessus de la surface paisible des lacs de chez moi me rappellent de subtiles accordailles entre eux et les vins. Heureusement, je ne suis pas pêcheur. La nature qui me donne les crocs autant qu'elle donne des ailes à mon imagination, voilà qui fera un peu plus douter de mon « âme de poète » dans les divers écosystèmes où l'on en trouve. Ce n'est pas grave, j'en doute aussi.
L'art ne saurait concurrencer la perspective de notre prochain repas, a écrit Jim Harrison dans Un Sacré Gueuleton (Éd. J'ai lu). Je le vérifie chaque fois que je savoure les petits burgers entièrement cuisinés par mon neveu Valentin. La dernière fois, j'ai dû prendre garde d'en laisser sur le plateau pourtant bien garni afin que chacun de ses invités puisse constater que ce sont les meilleurs.
Extrait du deuxième tome de mes carnets (2016-2023) qui vient de paraître.
Photo : derrière ma maison. (Photo © MCCE)
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18 novembre 2023
Sur un sentier recouvert
Les derniers temps de la canicule, j'écrivais dans la salle à manger en pleine nuit, sous le halo d'une petite lampe. La baie vitrée était grande ouverte pour que je puisse me rafraîchir. Dehors, il faisait noir, pas de clair de lune. J'ai entendu un souffle, comme un animal qui flaire, juste devant la baie.
J'ai d'abord cru à un chien en goguette mais je pense maintenant que c'était un sanglier qui ne m'avait pas senti. Peut-être était-il venu boire dans la piscine gonflable installée pour mon petit-fils. Plusieurs jours après, des pelouses de ma propriété et de celles des voisins ont été retournées ainsi que cela se produit assez souvent dans les villages.
Deviner la présence toute proche du sanglier qui est un animal puissant aux perceptions d'une extrême finesse est une sensation forte. J'ai encore en mémoire cet épisode de l'époque où j'arpentais les forêts presque tous les jours, en particulier en demi-saison. Pour accéder à une clairière depuis un ancien sentier en perdition recouvert de basses ramures d'épicéas, je rampais entre deux fourrés de hautes herbes très épaisses et très denses où persistaient quelques plaques de neige. J'ai alors entendu renifler et grogner à proximité sans pouvoir détecter ne serait-ce qu'un mouvement. Inutile de préciser que je me suis vite éloigné, de crainte de surprendre une laie avec des petits, ce qui peut arriver si le vent ne lui est pas favorable pour flairer l'humain.
Rencontrer le sanglier dans la nature (comme tout animal sauvage) n'est pas forcément un problème à condition de ne pas oublier qu'il défend ses intérêts. Pour le jeune homme de vingt ans que j'étais à l'époque de ces longues incursions dans les bois, il ne s'agissait pas d'éprouver ma résistance physique, encore moins de faire du sport ou de me lancer je ne sais quel défi. Je recherchais la force consolatrice de la nature parce qu'il ne m'était encore jamais venu à l'idée que j'étais moi-même une partie de cette nature, au même titre que le sanglier qui venait de détaler en silence pour m'éviter.
Je dois cette prise de conscience à une promenade matinale dans la forêt du Chemin de la guerre au-dessus d'Oyonnax et au poème que j'ai écrit en rentrant (Dans l'automne flamboyant, intégré à mes Poèmes du bois de chauffage). J'avais quarante-six ans mais j'avais beau connaître depuis longtemps la musique de Janáček * (à laquelle j'ai emprunté le titre du deuxième tome de mes carnets qui vient de paraître), il me restait encore à réaliser que j'allais marcher de plus en plus souvent sur un sentier recouvert c'est-à-dire un sentier non pas perdu mais soustrait au regard puis revenant de temps en temps en lumière parce que tracé dans la petite éternité du temps humain.
* Sur un sentier recouvert est un cycle de quinze pièces pour piano de Leoš Janáček (1854-1928) qui m’a inspiré le titre de ce deuxième volume de mes carnets. J’ai failli choisir le titre de la dixième pièce La chevêche ne s’est pas envolée ! car les animaux ont une grande place dans mon imagination et mes rêves. La chevêche est une petite chouette attachée à son territoire. On peut écouter cette pièce et tout le cycle de cette œuvre sur YouTube. Le titre du premier tome de mes carnets, Prairie Journal, était aussi en lien avec la musique, celle d’Aaron Copland (1900-1990). Très souvent, le processus d’écriture est chez moi déclenché et parfois entretenu par la musique.
02:08 Publié dans carnet, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, publication, parution, édition, christian cottet-emard, écriture, littérature, sur un sentier recouvert, blog littéraire de christian cottet-emard, orage-lagune-express, journal intime, sanglier, forêt, janáček, chevêche