26 octobre 2009
Trois croquis vénitiens
Venise : c’est dans la boîte !
Mes carnets regorgent de ratures, d’écriture bâclée, parfois de fautes. Il s’agit d’aller vite. L’important est de capturer l’idée, la sensation, avant qu’elles ne s’échappent. Pas le temps de bien écrire, de calligraphier, d’autant qu’en fixant quelque chose qui passe dans la tête ou qui remonte de la mémoire, on le fait souvent très mal installé.
Un jour, à Venise, j’ai posé mon carnet sur une des passerelles installées en prévision de l’alta aqua. Devant moi, je voyais l’eau du canal de la Giudecca déborder doucement sur le quai en un discret clapotis. Pattes de mouches, gribouillis, écriture sale. Qu’importe, c’est dans la boîte, dirait un photographe !
Venise et Pessoa
À la fin des années 70, Venise était une destination qui faisait ricaner. Pour les nombreux rescapés qui naviguaient encore dans le sillage du bateau 1968 rapidement parti à vau-l’eau, Venise n’était qu’un salon de thé défraîchi pour écrivains lâchés par leurs éditeurs, comtesses fardées, vieux beaux et adolescents réacs. Petit coup d’oeil dans le rétroviseur. Oui, c’était bien moi l’adolescent réac qui venait de claquer la porte du lycée en milieu de terminale, qui avait trouvé un boulot bien payé malgré le peu de compétence dont il pouvait se prévaloir et qui revenait à la récré cigare au bec pour annoncer à sa future épouse qu’il allait l’emmener à Venise !
Cette destination présumée ringarde dans l’esprit de certains barbudos d’opérette (l’un d’eux pondit sur le tard un bref et poussif essai « Contre Venise ») fut en réalité l’un des grands chocs esthétiques de ma vie, équivalent peut-être, en littérature, beaucoup plus tard, à ma découverte éblouie de l’immense et labyrinthique Fernando Pessoa.
Deux précieux
À la table d'un restaurant renommé où l'on peut goûter aux spécialités de la gastronomie vénitienne, j'attendais mes filets de Saint-Pierre Casanova dans leur sauce au vin blanc avec moules et crevettes. Survint alors un jeune couple aux manières des plus affectées. Les malheureux qui les servirent durent endurer sans broncher mille hésitations. Quant au sommelier, il avait dû embrasser, dans une vie antérieure, une carrière dans le corps diplomatique tant il avait supporté, impassible, les mines de connaisseur du jeune homme et les soupirs blasés de sa compagne. Pour finir, après une très théâtrale étude de la carte, ils avalèrent à toute vitesse ce qu'on leur avait spécialement préparé pour les satisfaire : deux steaks-frites bien saignants - ô barbares ! -
© Éditions Orage-Lagune-Express
Photo MCC
11:54 Publié dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : venise, voyage, italie, promenade
02 septembre 2009
Carnet du premier quartier de lune
Ce matin, le petit crêt qui s’élève au-dessus des frênes, tout au fond du verger, a disparu dans un immense nuage et ce fut presque un soulagement de contempler ce spectacle après l’inhabituel et piquant soleil de fin août. Je suis sorti pour me laisser emmailloter à mon tour par ces nuées qui ont dévalé jusqu’au village où des enfants vivent probablement leur première rentrée scolaire. J’espère qu’il ne s’en trouve aucun parmi eux pour me ressembler et vivre ces moments comme je les ai vécus, c’est-à-dire conscient dès les premiers instants en classe maternelle que ce serait long, pénible, éprouvant. L’avantage de la cinquantaine qui approche et de ma vie marginale, c’est de savoir que, sauf réincarnation malencontreuse, je ne revivrai jamais la scolarité et ce qui vient après.
Comme chaque année à cette époque, je termine un cycle de lectures parmi lesquelles Haruki Murakami aura tenu une place non négligeable. Je ne savais rien de ce japonais très occidentalisé en commençant son roman Les Amants du spoutnik que j’ai lu avec plaisir même si la fin est bâclée. Mais cela n’est pas grave car il ne peut en être autrement dans ce style de narration onirique dans laquelle l’intrigue ou ce qui en tient lieu n’a guère d’importance. J’ai été plus gêné d’apprendre que Murakami est un marathonien, non seulement dans le domaine sportif (ça le regarde et personne n’est parfait) mais encore, ce qui est beaucoup plus contestable, dans son écriture. Murakami est de ces écrivains doués qui écrivent trop, sans doute pour le bonheur de leurs éditeurs mais ce n’est point l’affaire des lecteurs. En ce qui me concerne, j’ai toujours préféré les livres courts et les auteurs paresseux. Un gros livre qui n’est pas un chef-d’œuvre est une impolitesse et la plupart des chefs-d’œuvre ont au moins cent pages de trop.
Après Les Amants du spoutnik, j’ai continué avec une épaisse compilation de nouvelles sous le titre L’éléphant s’évapore dans lesquelles se déploient sans complexes les défauts des auteurs trop prolixes qui finissent par se plagier eux-mêmes, devenir des faiseurs en tirant parti de la moindre idée saugrenue pour en dérouler le fil jusqu’à la rupture ou du moins jusqu’à l’extrémité de la bobine. Le plus étonnant est que j’ai pourtant lu facilement ces nouvelles pour la plupart bavardes et sans grand intérêt, sans doute parce que Murakami sait emmailloter le lecteur dans son univers comme le nuage de mon début de matinée a enveloppé tout ce qui se trouvait sur son passage en ce deuxième jour de septembre. En tous cas, je ne compte pas en rester là avec Murakami puisque j’ai le projet de lire, rien que pour la beauté du titre, Saules aveugles, femme endormie, lorsque ce recueil paraîtra en poche bien sûr.
Bien que la lecture d’œuvres déjà si nombreuses devrait en toute logique me dissuader d’écrire les miennes, il me faut maintenant reprendre mes chantiers et veiller à ne pas m’ensevelir dans la contemplation de ce merveilleux paysage sur lequel ouvrent mes fenêtres. Pour des natures comme la mienne, le risque est grand... Comme la tentation de Venise toutes les années à la même époque...
18:53 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, journal, rentrée, murakami, littérature, venise, blog littéraire christian cottet-emard
22 mars 2008
Cravates du Rialto
Tu regrettes aujourd’hui de n’avoir acheté sur le pont Rialto qu’une de ces deux cravates cent pour cent soie avec motifs lion de Saint-Marc et tu décides six mois après de te procurer la deuxième départ en train demain matin de Genève arrivée vers la fin d’après-midi à Santa Lucia
Sur la photo de famille encadrée et fixée au mur des messieurs à moustaches et des dames corsetées te toisent avec sévérité à droite un bambin flou c’est ton grand-père qui a bougé
On dirait qu’ils sont au courant de ta décision — qu’est-ce que c’est que cette nouvelle lubie mon garçon ? — partir à Venise dans le seul but d’acheter une cravate en soie
Tu n’es pas d’une famille qui part à Venise et encore moins d’une famille qui voyage en train de la Suisse vers l’Italie dans l’idée d’acheter une cravate — est-ce ainsi qu’on t’a élevé ? —
Tu as beau remonter jusqu’au début du dix-neuvième siècle aucun de tes aïeux n’est parti à Venise même si certains d’entre eux venaient de la Suisse du côté de Berne avant de passer dans le Jura français pour descendre jusque dans l’Ain en finissant par y créer une affaire d’ornements de coiffure assurant leur fortune puis périclitant assez tôt
Assez tôt pour que tu ne viennes pas au monde avec une petite cuiller en argent dans la bouche mais juste à temps pour te léguer le dégoût des affaires
Une bonne raison de filer du jour au lendemain vers le pont Rialto où t’attend ton autre cravate cent pour cent soie avec motifs lion de Saint-Marc
© Éditions Orage-Lagune-Express 2008.
Photo 1 : sur le Rialto. © Marie-Christine Caredda.
00:36 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : venise, voyage, escapade, rialto, vaporetto, cravate en soie, christian cottet-emard