21 janvier 2015
Carnet / Cigare, vin chaud et Tchaïkovski !
Le cigare et le feu dans la cheminée, c’est avant tout une question d’allumage. Quand c’est mal parti, c’est difficilement récupérable, ça charbonne, et il vaut mieux tout recommencer. J’ai souvent du mal à lancer le feu car cette activité m’est une corvée comme la plupart des actions techniques du quotidien.
En ce qui concerne le cigare, je m’en sors beaucoup mieux. Et si le feu dans la cheminée part bien, avec de belle flammes suivies de bonnes braises bien rouges, je suis moins énervé et donc dans les meilleures dispositions pour ne pas rater l’allumage d’un cigare.
Il faut d’abord veiller à ne pas noircir la cape délicate du cigare sur la longueur avec une flamme trop puissante puis tirer plusieurs petites bouffées jusqu’à obtenir une incandescence bien dosée, sinon la combustion risque d’être irrégulière, ce qui sera préjudiciable au tirage et donc au goût.
Le cigare ne doit absolument pas charbonner. Si l’incandescence n’est pas tout de suite régulière, on peut souffler un peu sur la cendre en formation pour corriger puis attendre quelques secondes avant de tirer les premières bouffées. Avoir bien mangé est un plus. Quand j’accompagne d’une fine de cognac, je bois d’abord et je fume après. Une fois que les saveurs se sont bien installées au début de la dégustation, je peux alterner mais gare au déséquilibre en cas de précipitation. De la lenteur avant tout. Si toutes ces conditions sont réunies, les deux saveurs entrent en harmonie et je peux alors voir voler les flocons de neige derrière la fenêtre sans trop m’en désoler.
L’hiver, le cigare se marie bien avec le vin chaud. J’en ai bu un dimanche à l’auberge du lac Genin (où ils le réussissent à merveille parce qu’ils appliquent une recette simple).
En sortant pour regarder le lac en train de geler, un Partagas Corona Senior s’alliait agréablement avec la légère astringence laissée en bouche par le vin chaud rehaussé de son quart de citron. Voilà comment j’arrive à tenir les moments de spleen à distance.
Rentré chez moi juste à temps pour écouter le pianiste Lang Lang interpréter le premier concerto de Tchaïkovski sur Arte. J’apprécie beaucoup Lang Lang mais, dans cette œuvre si importante pour moi car elle me fut comme une seconde naissance lorsque j’étais collégien, je l’ai trouvé trop léger, maniéré, comme s’il voulait dire « regardez comme je suis capable de le manier ce bon vieux premier concerto ! » .
Pour Tchaïkovski et pour ce concerto en particulier, il me faut du solennel, du pathos à volonté, en un mot du russe ! (Gilels, Richter, par exemple).
PS : où alors, très bien aussi : Yuja Wang
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18 janvier 2015
Carnet / Nostalgie du fœhn
Je le sais, je dois veiller à trouver de la beauté au visage de l’hiver qui souffle son haleine sur mes vitres. Toutes les fenêtres de ma maison ouvrent mes yeux à cette nature qui imite l’art et pourtant...
Ma maison, façade nord, hier vers 16h (photo Marie)
Pour le plaisir de contempler au coin du feu les blanches et lourdes silhouettes de frênes qui semblent avancer dans la nuit, combien de bûches entassées, de flammes à nourrir et de cendres à disperser avant de recommencer le lendemain.
Mon pré vu depuis ma chambre, même heure (photo Marie)
Tout ça, c’est bien joli mais c’est aussi très long, très froid et très mouillé. J’entends à la météo que certaines montagnes plus au sud vont connaître un effet de fœhn et la seule évocation de ce vent fiévreux me prive de sommeil.
Non loin de ma maison, même heure (photo Marie)
J’aimerais voir le fœhn essuyer tout ce blanc en une nuit, entendre craquer les branches qui se relèvent et sentir l’infusion d’herbe essorée qui est le premier parfum du printemps.
Paysage vu de mon pré, même heure (photo Marie)
Quand je pense qu’il y en a qui paient pour faire du ski... Pourquoi suis-je né dans une région de neige?
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17 janvier 2015
Carnet / Imbécile...
Qu’est-ce qu’une vie quand on commence à regarder dans le rétroviseur ? Quelques vieux papiers à ranger.
Au fond d’une armoire, j’ai retrouvé mes cahiers de l’école primaire, mes cahiers du jour et mes cahiers d’essai du cours préparatoire, conservés par mes parents qui n’ont pourtant pas dû les signer avec plaisir tant ils étaient mal tenus et témoins du début de l’échec scolaire. J’étais très malheureux à l’école, toujours entre la crainte et la colère sourde, silencieuse. Mes souvenirs scolaires sont aussi mauvais que mes souvenirs professionnels, c’est dire...
En ouvrant ces cahiers remplis de mes laborieux débuts de calcul et d’écriture noircis avec ces saletés de plumes en métal qui trouaient les pages à grands carreaux et maculaient le mauvais papier de grosses taches noires, les moments les plus pénibles de mon enfance, le temps passé à l’école, m’ont de nouveau sauté au visage, comme si c’était hier.
Quarante-neuf ans après le cours préparatoire où je me trouvais donc en 1966, je revois dans la marge les appréciations et annotations du maître, avec pleins et déliés à l’encre rouge, et cette mention « imbécile » parfaitement calligraphiée parce que j’avais commencé ma page un peu trop bas !
À l’époque, on ne s’embarrassait guère de pédagogie, laquelle se limitait souvent à une engueulade ou à une punition si on n’avait pas compris. Du coup, pour moi, le premier objectif n’était plus d’apprendre mais d’éviter l’engueulade et la punition, ce qui provoquait la faute, donc au final, l’engueulade et la punition avec pour résultat la spirale de l’échec.
C’est ainsi que tout gosse je fonctionnais. D’autres moins sensibles marchaient à la compétition, parfois au prix d’autant d’angoisses, juste un peu moins visibles. D’autres s’adaptaient sans trop de problème à ce système d’enseignement basé sur la carotte et le bâton. Tout cela s’écrivait en silence, au porte-plume grattant et bavant, au son du glas tombant du clocher tout proche, sous l’œil noir du maître.
Dans les pages de ces cahiers, les destins s’inscrivaient déjà entre les lignes avec à chacun son lot : ceux qui n’auraient droit qu’à une ébauche, un brouillon de vie, ceux qui deviendraient exactement ce pour quoi ils étaient programmés, ceux qui sortiraient du cadre, ceux qui tenteraient d’inventer leur vie, ceux qui se laisseraient porter par le flot, ceux qui se tiendraient à la marge (j’ai la chance de faire partie de cette dernière catégorie).
Des décennies plus tard, la vie pouvait parfois rebattre les cartes, créer un autre désordre, mais à de rares exceptions près, comme au casino, les jeux étaient déjà faits.
Éternelle histoire, du moins éternelle à l’intérieur de cet instant qu’est l’humanité envoyée seule dans l’absurde infini, dans cette nuit de flocons lourds où, fumant un dernier Punch avant d’aller dormir, j’ai envie de sortir dans le grand pré derrière chez moi pour écrire avec un bâton dans la neige ce mot « imbécile » à l’intention de ce maître qui ne m'a rien enseigné d'autre que l'inquiétude et quelques combinaisons de chiffres et de nombres en leur valse à jamais
02:10 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : note, carnet, journal, souvenir, prairie journal, école, vie, enfance, cahier d'écolier, cahier du jour, brouillon, calligraphie, plein et délié, plume, porte-plume, encre, papier, maître, instituteur, blog littéraire de christian cottet-emard, cancre, échec scolaire, glas, classe, clocher, christian cottet-emard, marge, pédagogie, chiffre, nombre, punition, casino, cigare punch, havane, nuit, neige, flocon