03 juillet 2010
Alma s'en va (suite)
(Nouvelle en mini-feuilleton)
5
Depuis que je vis retiré et que je ne fais plus rien, je dors comme une souche. Pourtant, cette nuit, je me suis levé. Cette odeur d'arbre en fleur est revenue. Encore un rêve ? Je n'aime pas me réveiller la nuit car j'entends gronder la mer.
J'ai l'impression qu'elle s'approche et qu'elle peut m'emporter. Tout enfant, je pensais la même chose. Aujourd'hui, j'ai cinquante ans et rien n'a changé. Dans la pénombre, j'ai écrit sur les pages tachées d'un vieil agenda :
L'abandon des grands rêves accélère la chute des dents.
Complice du caillou, l'usure sauve la peau du vieil enfant qui n'en tirait que ricochets.
Toute fleur de décombres respire un paradis vécu.
Entre les plis du temps, chante le vent fossile.
Ne retenir de toute énigme que la poursuite des merveilles.
J'ai écrit. Mais qui a parlé ?
(À suivre...)
© Éditions Orage-lagune-Express
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
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02 juillet 2010
Alma s'en va (suite)
(Nouvelle en mini-feuilleton)
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
3
« Du café, major ?
— Merci. Pardonnez cette visite matinale, mais j'avais besoin de me dégourdir les jambes. J'ai marché dans la pinède et je me suis retrouvé chez vous. Votre maison est la dernière avant la dune.
— Oui. Un jour,le sable entrera par la cheminée ! Après, c'est la plage.
— J'espère ne pas vous avoir réveillé.
— Non. Je venais de prendre mon petit-déjeuner.
— Vous veniez même de commencer à écrire, ajouta le major en désignant le petit guéridon bancal qui me sert de bureau.
— Non. Je suis en panne. Ce cahier est ouvert à la même page depuis des semaines.
— Que faites-vous de vos journées?
— Je fume, je bois du café le matin et de l'alcool le soir.
— Et à part ça ?
— J'essaie d'écrire.
— Depuis quand êtes-vous installé ici ?
— Une bonne vingtaine d'années.
— Vous êtes encore jeune pour un retraité...
— J'ai beaucoup écrit pour de l'argent. Cela me permet aujourd'hui d'écrire peu pour rien.
— Je vois.
— Vous êtes venu sans votre ordonnance ?
— Il est en permission. Le temps lui sera clément.
— En effet, nous aurons une belle journée. Et cette épave ?
— Nous n'avons rien trouvé à l'intérieur.
— Qu'en pensez-vous, major ? »
L'officier sortit un morceau de bois de sa poche et le posa sur le guéridon.
« Je vous retourne la question. Pour moi, c'est un tas de bois pourri venu s'échouer sur la plage.
— Une telle quantité... Et sur une telle hauteur...
— Je vous souhaite une bonne journée. Merci pour le café.
— Vous oubliez votre pièce à conviction. »
Le major soupira.
« Vous pouvez la garder. J'en ai des tonnes sur la plage... »
4
Encore une journée sans écrire. Juste du vent, du sable, du soleil et des aiguilles de pin. Et aussi du café, de l'alcool et des cigarettes. L'hiver se déchire. Des stries de ciel bleu le craquellent comme un vieux parchemin. J'ai pu manger dehors, sur le balcon du haut, d'où l'on peut voir la mer au-delà de la dune. J'ai pris les jumelles, pour les oiseaux. L'épave est toujours là, massive. Voilà l'ordonnance du major qui tourne autour. Malgré son congé, il a gardé son uniforme. Je l'imagine facilement en civil. Il n'a rien d'un militaire. Cet air nonchalant, cette démarche souple... Tout le contraire du major. Pourtant, il m'inquiète. Sa façon de me fixer me met mal à l'aise. J'ai tort de m'inquiéter. Il ne peut pas savoir que j'ai gardé cette petite boîte puisque j'ai été le premier à pénétrer dans l'épave. Tu te fais des idées, mon petit vieux.
La boîte, la voilà. Je l'ai sous les yeux, ouverte. Des petits cailloux polis par les vagues. Avant de les réduire en sable, de siècle en siècle, l'usure les pare de couleurs qui varient selon la nature des roches. Certains sont translucides, d'autres marbrés. Quelques débris de coquillages effacés les rejoignent dans leur destin de sable. Voici même un tesson de bouteille aux faces et aux contours si bien polis qu'il s'épanouit dans tout l'éclat d'une pierre précieuse. On en trouve partout sur la plage et les gens les ramassent parce que l'eau fait chatoyer leurs teintes. À peine séchés par l'air, ils perdent de l'intensité et retrouvent leur condition de cailloux en quelques ricochets d'écume.
(À suivre...)
© Éditions Orage-lagune-Express
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01 juillet 2010
Alma s’en va
(Nouvelle en mini-feuilleton)
La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.
1
« Je ne me souviens de rien d'autre » répondis-je au major qui arpentait les abords de l'épave encore odorante de mer. Ses bottes crissaient dans le sable encore vierge de toute trace à cette heure matinale, hormis celles de la jeep dans laquelle attendaient deux soldats. L'un écrivait sur un calepin et l'autre scrutait la mer.
« Mon ordonnance va vous raccompagner, proposa le major. J'ai encore à faire ici. »
Les yeux du soldat glissèrent de la mer vers les miens. Je compris tout de suite qu'il savait que j'avais pris quelque chose dans l'épave et que je n'en avais rien dit au major.
« Je préfère rentrer à pied car me lever tôt me donne mal à la tête. »
2
« Reprenons votre déposition, voulez-vous ? Vous avez déclaré : " j'ai été réveillé dans la nuit par un bruit qui semblait venir de la plage. J'ai eu du mal à me rendormir. "
— Oui.
— Vous n'êtes pas allé voir ?
— Si, après.
— Après avoir été réveillé ?
— Oui.
— Je reprends la suite de votre déposition. Vous dites : " j'avais réussi à retrouver un peu le sommeil lorsque la chambre s'est emplie d'une drôle d'odeur, à peine perceptible, inhabituelle, mais tenace. " C'est à ce moment que vous êtes allé voir ?
— Oui, je me suis levé. J'ai d'abord cru que je rêvais.
— Vous rêvez à des odeurs ?
— Souvent.
— Moi, cela ne m'est jamais arrivé. Je vois des images mais je ne sens jamais rien. »
Le major s'approcha de la fenêtre et regarda dehors. Il se tut un moment et alluma une cigarette. Il était las, indifférent, et cette histoire l'ennuyait. Seule la fumée l'intéressait, et le vide reposant où elle s'en allait.
« Cette odeur, essayez de me la décrire un peu plus ; " plutôt agréable ", dites-vous.
— Oui. Comme le parfum d'un arbre en fleur.
— Nous sommes en hiver, coupa sèchement le major. Oui ? Gildo ? Qu'est-ce qui vous arrive ? »
L'ordonnance s'était arrêté de taper à la machine. Son regard se planta un court instant dans le mien et m'inspira un profond malaise.
« Allons, cessez de rêvasser et notez ! »
Le crépitement de la machine à écrire reprit.
« Vous avez rêvé. Vous êtes un poète et vous rêvez de fleurs en hiver, c'est normal... »
Sur ces mots, le major alluma une deuxième cigarette.
« Peut-on savoir ce qui vous amuse ?
— Les poètes qui rêvent de fleurs » ne puis-je m'empêcher de répondre au major.
« Bien. Bien, bien... Ce sera tout pour aujourd'hui. Gildo, raccompagnez monsieur. »
L'ordonnance m'ouvrit la porte. Je ne pus soutenir son regard dans lequel je lisais : « je ne suis pas dupe ... »
(À suivre...)
© Éditions Orage-lagune-Express
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