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17 août 2009

Carnet des trois semaines

P1000107.JPGDe retour des Landes et du Périgord, immersion dans l’été de ma petite montagne. Le vent dans les frênes est un allié précieux contre l’accablement de l’août jurassien. Je me dis souvent que j’aurais dû m’installer dans la forêt landaise ou au bord de la Dordogne où je me sens beaucoup plus en harmonie avec la qualité de vie que dans l’Ain et la Franche-Comté. Les villes et villages du Sud-Ouest de la France ont gardé un style et une identité — pour combien de temps encore ? — sérieusement mis à mal en Rhône-Alpes et dans certaines régions du Jura. Évidemment, c’est aussi une affaire de climat. Mais comme je me connais, si je vivais à Périgueux, ville où je trouve tout ce qui symbolise pour moi le bien vivre, je finirais par ressentir la nostalgie des épicéas, des sapins et de la neige que je maudis pourtant dès qu’elle s’éternise après le jour de l’an !

Il faut dire que cet été, seule l’abondance de soleil aurait pu me dissuader de m’absenter quelques temps de mes territoires familiers. Le désert culturel ne demande qu'à y regagner du terrain, notamment dans le Haut-Bugey où, comme je l’ai déjà dit, la disparition du festival estival de Nantua a privé de très nombreux mélomanes de l’unique rendez-vous musical ambitieux qui ait été organisé en cette période. N’étant plus depuis longtemps au fait de la vie locale, je ne connais pas les raisons précises de cette déconfiture. J’ai entendu dire que le public se raréfiait, que l’argent manquait. Admettons. Lors de la dernière édition du festival, j’ai craint le pire en entendant suggérer « qu’il fallait peut-être ouvrir à d’autres musiques » . Pourquoi diable ? Est-il si scandaleux, insupportable, que se maintienne un festival classique où puissent se retrouver les amateurs de cette musique ? Il faut le croire puisque, si l’on se réfère à des propos tenus dans la presse locale, on aurait recommandé à certains décideurs d’encourager des initiatives « un peu moins élitistes » . Si cette suggestion a réellement été faite, ce qui ne saurait étonner dans le contexte actuel lorsque la démagogie fournit un prétexte idéal pour tailler dans les budgets de la culture, les kermesses sonorisées dans le style de celles données à Oyonnax sous l’appellation pompeuse d’un soi-disant « festival Airs d’été » ont de beaux jours devant elles.

Un événement récent a tout de même permis de nuancer ces lugubres perspectives. Lors d’une véritable fête de la musique qui a trouvé refuge en l’abbatiale Saint-Michel de Nantua samedi 15 août, le grand clarinettiste Guy Dangain, soliste international, fondateur du regretté festival du Haut-Bugey, a réussi un coup de maître. Il ne restait en effet plus un siège de libre dans l’abbatiale toute bruissante de la foule des grandes heures musicales qui ont enchanté Nantua pendant presque deux décennies. Tous les étés dans cette région où il déclare se sentir chez lui (pour le plus grand profit des mélomanes) Guy Dangain partage son expérience, son savoir et son superbe talent avec une vingtaine de jeunes élèves de haut niveau à l’aube d’une carrière professionnelle et venus de nombreux pays étrangers. « En musique, l’Europe, c’est fait depuis longtemps » lance-t-il en présentant les musiciens avec qui il fait de la musique pendant une dizaine de jours en ces campagnes propices à l’éclosion de la beauté offerte au public lors du concert gratuit en conclusion de son Académie internationale de musique.  De fait, ce 15 août, ce fut une grande émotion d’écouter ces jeunes clarinettistes, déjà virtuoses, certains venant de Taiwan, accompagnés au piano par la pianiste japonaise Shoko Gamo, inoubliable dans La Fille aux cheveux de lin de Debussy, dans la deuxième ballade de Chopin et dans la Dédicace de Schumann. Cette année, on peut dire que Guy Dangain et ses brillants jeunes élèves ont sauvé la saison musicale à Nantua. Le public pourra les retrouver à la chapelle du plateau de Retors le 23 août. Cependant, si les mélomanes se déplacent en aussi grand nombre qu’à Nantua, la petite chapelle sera très vite saturée.

Avant de conclure cette page de carnet déjà trop longue, je me dois d’évoquer une autre chapelle, la chapelle Claude Venet qui vient de surgir de la nuit des temps et de la terre. Vous y croiserez le regard d’un apôtre que vous ne pourrez jamais oublier. Ce regard limpide, intense, s’élève d’une fascinante peinture murale mise à jour dans le sous-sol du nouveau musée de l’Abbaye à Saint-Claude (Jura). À l’étage, on peut admirer les peintures rassemblées à l’occasion des donations des artistes Guy Bardone et René Genis, une collection qui permet de voir des œuvres de Dufy, Bonnard, Sérusier, Vuillard, Roussel, Vallotton, Beaudin, Borès, Grommaire, Brianchon, Legueult, Limouse, Oudot et bien d’autres. Je n’avais pas encore pris le temps d’explorer ce magnifique musée récemment inauguré et je ne regrette pas le déplacement. Saint-Claude est pourtant une petite ville enclavée mais lorsque  s’exprime la volonté d’une vraie politique culturelle, tout devient possible.

Photo : rue pavée à Périgueux.

Note : L'œuvre intitulée Petite Chinoise du compositeur Chan Wu interprétée sur la vidéo mentionnée en lien a été jouée samedi 15 août à Nantua.

18 juillet 2009

Comme disait le poète Gabriel Legal, « pas la peine d'aller au Japon » ... *

... Si c'est pour avoir la même pollution sonore que chez nous, serais-je tenté d'ajouter. La preuve :

couv_elephant_evapore2.jpg« Je conduisis jusqu’au port, tout en écoutant la radio. J’avais envie d’écouter de la musique classique, mais pas une seule station n’en diffusait au milieu de la nuit. Partout il n’y avait qu’une soupe rock japonaise, des chansons d’amour poisseuses... »
- Haruki Murakami -

(Extrait de sa nouvelle Le Sommeil dans le recueil L'Éléphant s'évapore, éditions 10/18.)

 

Note : * « Pas la peine d'aller au Japon » (éditions Librairie-Galerie Racine) est le titre d'un recueil de poèmes de Gabriel Le Gal.

14 juillet 2009

Gabriel Le Gal (1936-2009)

gabriel_le_gal.gifTout mouillé des brumes matinales de la montagne, l'autorail qui m'emmenait à Lyon marqua, me sembla-t-il en pleine campagne, un court arrêt. On annonça Ceyzériat. Par la vitre, je vis une silhouette franchir le ballast. L'autorail repartait déjà lorsque Gabriel Le Gal s'installa en face de moi.

C'est encore dans les gares minuscules des villages que l'expression « prendre le train » garde son sens. On surgit d'un temps dans un autre, des heures habitées dans celles, provisoires, du déplacement. Aucune véritable accélération, aucune rupture dans ce bref mouvement, mais pourtant, quelque chose a changé. En soi, à l'extérieur ? On ne sait pas.

Cette infime modification est au coeur de l'expérience que constitue la lecture de la poésie de Gabriel Le Gal. En quelques mots témoins d'un discret passage, un glissement s'est produit vers un monde de visions fugitives où, subitement, on a enjambé une ligne invisible mais pourtant bien réelle, et plus rien n'est comme avant.

* J'avais écrit ce petit texte pour participer à un dossier consacré à Gabriel Le Gal. Je ne trouve pas d'autres mots pour lui envoyer un dernier salut.

 

Et puis, cette anecdote, pour le souvenir :

Mes plus fréquentes rencontres avec Gabriel Le Gal avaient pour cadre les réunions des comités de la revue Le Croquant, souvent organisées à Lyon. Un soir vers vingt-trois heures, à la fin d’une réunion chez Jean-Marie Auzias, rue Auguste Comte, Gabriel qui s’était fait déposer par quelqu’un, me demanda s’il pouvait profiter de ma voiture pour rentrer à Ceyzériat, son village de l’Ain qui était de toute façon sur mon chemin pour rentrer à Oyonnax. J’acceptai avec un mélange de joie et d’inquiétude car j’ai une fâcheuse tendance à m’égarer dès que j’apporte la plus infime variation dans mes rares déplacements. Or, déposer Gabriel chez lui modifiait légèrement mon itinéraire. À la périphérie de Lyon, cette simple perspective me fit probablement rater un accès et je me sentis très vite complètement désorienté. Ne souhaitant pas inquiéter Gabriel et encore moins lui avouer que j’étais déjà perdu, je lui déclarai : « Il semble que nous roulions vers le Sud... »
— Oui, il me semble aussi, me répondit-il d’une voix hésitante.
C’était justement la confirmation que j’attendais. Je saisis la balle au vol et ajoutai avec une totale mauvaise foi : « voilà ce que c’est que de vouloir prendre les raccourcis, finalement, on ne les trouve pas et on se rallonge !
— Alors nous allons faire demi-tour ? s’enquit-il.
— J’en ai bien peur...

Je profitai d’un rond-point providentiel pour repartir dans l’autre sens et, je ne sais trop comment, nous reprîmes une meilleure direction, ce qui ne nous empêcha pas de tourniquer encore sur quelques rocades supplémentaires. Finalement, nous nous retrouvâmes sur une départementale où finit par surgir dans mes phares le panneau de Ceyzériat. Je déposai Gabriel à sa porte, manifestement soulagé d’être arrivé à bon port. Je n’étais quant à moi pas sorti de l’auberge. À peine éloigné de Ceyzériat, je laissai la nuit sans lune avaler goulûment la voiture. Par je ne sais quel maléfice, je découvris Neuville-sur-Ain, commune où je n’avais strictement aucune raison de faire du tourisme à une heure du matin. Je m’enfonçai dans de nouvelle campagnes et, après un nombre considérable de demi-tours dans des cours de fermes où luisaient les regards de molosses insomniaques, je pus enfin trouver un panneau annonçant Oyonnax où j’arrivai enfin à trois heures bien tapées. Lorsque je me rendis à la réunion suivante, toujours à Lyon, j’eus la sagesse de prendre l’autorail. La machine marqua un arrêt à Ceyzériat. Un seul voyageur monta dans l’autorail et vint s’asseoir en face de moi : Gabriel. Les grands esprits se rencontrent !

Quelques temps plus tard, Gabriel m’envoya un de ses recueils tout frais sorti des presses avec cette dédicace : « à Christian, en souvenir d’un épique retour de Lyon. »