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19 juin 2020

Carnet / Double ville

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Photo CC-E

Je relis Requiem d’Antonio Tabucchi, lu pour la première fois en 2000. À cette époque, je ne connaissais pas Lisbonne. J’ai décidé de m’y rendre en octobre 2013 pour m’y promener dans les pas de Fernando Pessoa. C’est après tout une façon comme une autre de découvrir une ville. J’y suis retourné en septembre 2014 ainsi qu’en juillet et décembre 2016. J’espère y séjourner encore dès que possible.

Dans Requiem de Tabucchi, le narrateur s’endort sous un mûrier en lisant le Livre de l’intranquillité de l’hétéronyme Bernardo Soares avant de se perdre en rêve dans une Lisbonne caniculaire et déserte, propice aux rencontres avec des vivants parfois fantomatiques et des morts qui semblent avoir encore un pied dans la vie. Les rues, les quartiers et les squares sont nommés avec précision, ce qui n’évoquerait rien au lecteur n’ayant jamais visité la ville s’il n’y avait bien sûr la puissance de suggestion de Tabucchi.

C’est ainsi qu’à la lecture de Requiem s’est formée dans mon esprit une Lisbonne imaginaire à laquelle s’est ajoutée la Lisbonne réelle de mes séjours au cours desquels j’ai marché des journées entières et tard dans la nuit. Les deux visions se sont alors emboîtées pour n’en faire qu’une, ce qui constitue pour moi l’unique et merveilleuse expérience de la ville véritablement vécue comme lieu dit et lieu d’être.

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Photo CC-E

 

21 octobre 2014

Carnet / Des kilos, de la nourriture, des cigares, de Pessoa et du rêve.

Au printemps 2013, au cours d’une période que je qualifierais d’un point de vue psychologique d’« intranquille » pour emprunter à Fernando Pessoa, j’ai perdu près d’une dizaine de kilos en trois semaines sans être pour autant malade. Pour me maintenir à ce nouveau poids qui me convient mieux, j’ai constaté que la seule solution est de manger moins.

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Il ne s’agit même pas de faire un régime mais simplement de jouer sur les quantités de nourriture. Je continue de manger ce qui me plaît, aussi bien des bons petits plats très sains que toutes sortes de saletés bien grasses et bien lourdes à digérer. Du moment que je surveille la quantité de tous ces aliments, quelle que soit leur qualité, j’arrive à me maintenir entre 76 et 77 kilos au lieu des 86 que j’ai portés pendant vingt ans. 

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Pour essayer de descendre à 75 que je considérerais comme mon poids idéal, je me suis imposé des longueurs de bassin au centre nautique à mon rythme, c’est-à-dire lentement mais avec régularité, plutôt dans un souci de détente (j’aime l’eau) que dans le but de faire de l’exercice physique car j’ai une vieille aversion et un profond mépris pour le sport. 

À l’inverse du contrôle des quantités de nourriture, cette activité physique ne m’a pas fait perdre un gramme, le seul bénéfice étant un tout petit peu plus de tonicité musculaire. Après huit mois de piscine à surmonter mon dégoût du bain collectif, des mauvaises manières des nageurs sportifs et de certains comportements carrément répugnants observés dans le bassin, j’ai arrêté de fréquenter le centre nautique.

Comme je ne nage jamais dans les lacs et rivières, la perspective de reprendre des séances de natation est désormais pour moi très faible. En plus, ayant failli me noyer il y a deux ans dans les Landes,  j’ai décidé de ne plus jamais nager dans l’océan. Il me restera donc la possibilité de nager dans la mer en Sardaigne lorsque j’y retournerai.

L’activité physique ne présentant aucun intérêt pour maigrir (du moins dans mon cas personnel), je dois m’en tenir au contrôle de la quantité de nourriture, ce qui m’est un effort constant car j’adore me goinfrer, de préférence de cuisine des terroirs bien consistante mais aussi de sandwichs, de frites et de toutes sortes de sauces et de condiments. Et je ne parle pas du chocolat (mon antidépresseur) et de mon goût immodéré pour tout ce qui est sucré. Je dois me faire grande violence le soir et tard dans la nuit avant d’aller me coucher pour ne pas m’offrir une ou deux cuillers de confiture qui me déclenchent aussitôt une forte envie de fumer un cigare.

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Bien sûr, j’arrive à rester raisonnable et à ne pas dépasser les 77 kilos qui constituent mon alerte orange. L’été 2013, j’avais réussi à descendre quelques semaines à 75 mais je m’estime heureux avec mes 76 ou 77 actuels.

Je me demande souvent pourquoi je suis préoccupé par ces histoires de poids et de corpulence alors que je suis complètement indifférent à la mode des corps parfaits, sculptés, musclés, athlétiques. Peut-être suis-je influencé, parasité par  mon incapacité à me faire une idée  de ma propre image, peut-être suis-je  « agi » comme dit Pessoa dans Le Livre de l’intranquillité de Bernardo Soarès (éditions Christian Bourgois) : « Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis l’acte de naître jusqu’à celui de mourir, tu n’agis vraiment : tu es agi ; tu ne vis pas: tu es seulement vécu. »

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« Vis ta vie. Ne sois pas vécu par elle » écrit Pessoa. « Tu n’y parviendras qu’en rêvant, parce que ta vie réelle, ta vie humaine, c’est celle qui, loin de t’appartenir, appartient aux autres. Tu remplaceras donc la vie par le rêve, et ne te soucieras que de rêver à la perfection. »

Sur ce plan-là au moins, je dois dire que j’ai parfaitement réussi, bien avant d’avoir lu Pessoa !

 

Photo 1 : Casa Pessoa, Lisbonne, septembre 2014

Photo 3 : mes havanes préférés (Por Larrañaga)

Photo 4 : Fernando Antonio Nogueira Pessoa

 

 

 

12 février 2013

Jean-Jacques Nuel et ses doubles ou l'auteur en stéréoscopie

Chiendents 28

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La revue d’art et de littérature Chiendents consacre son numéro 28 à « Jean-Jacques Nuel, auteur en stéréoscopie ». Ce dossier de 40 pages illustré de photos comprend : un entretien avec Stéphane Prat, une étude de Christian Cottet-Emard, des articles critiques sur les livres publiés, des extraits de Courts métrages (Le Pont du Change, 2013), de Portraits d’écrivains (Editinter, 2002), des romans Le Nom (A Contrario, 2005) et L’autoroute (inédit).

Ce numéro a été coordonné par Stéphane Beau, qui en parle sur son blog.

Chiendents 28 peut être commandé auprès de l’éditeur : Editions du Petit Véhicule, 20 rue du Coudray, 44000 Nantes, pour la somme de 5 €  (3 € + 2 € de port).

Dans ce numéro :

Jean-Jacques Nuel et ses doubles ou l’auteur en stéréoscopie
Par Christian Cottet-Emard


Les deux tendances du roman français de ce début de siècle, le minimalisme de l'écriture intime et de l'autofiction opposé au regain de la fiction narrative parfois nommée nouvelle fiction, se télescopent dans l’œuvre en prose de Jean-Jacques Nuel, non seulement dans son recueil de récits Portraits d’écrivains (éditions Editinter, 2002) mais encore dans son roman Le Nom (éditions A Contrario, 2005).

Sur une trame réduite à sa plus simple expression, les quatre lettres d'un nom, l'écriture de Jean-Jacques Nuel, tendue comme la corde indispensable à la note juste, parvient à tisser (avec quel métier !) tous les fils romanesques (identité, racines, quête des origines) noués aux grands thèmes nueliens (solitude de l'écrivain, inquiétude de la création). À l'instar de ses précédents ouvrages, le premier roman de Jean-Jacques Nuel fait penser à ces tableaux dits stéréoscopiques, en particulier au virtuose Dali de dos peignant Gala de dos éternisée par six cornées virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs. Dans Le Nom, l'auteur assez proche de cet effet stéréoscopique, se recentre sur le singulier sans toutefois employer la première personne pour mieux incarner son personnage d'écrivain improbable, si peu sûr de sa propre existence et de la réalité fugace et mouvante que son écriture tente de fixer qu'il en vient à se raccrocher à son seul nom, trace tactile plus que palpable sur une vitre embuée qui vaut bien une page blanche. Lorsque, de la pointe de l'index, l'auteur reclus dans son petit appartement inscrit son nom sur la buée avec, dans le fond, les contours flous de la grande ville, il réalise assez vite qu'il vient de mettre au jour la principale matière de son œuvre en devenir. Dépouillée de ses scories narratives, de la redondance de l'autobiographie et des artificielles péripéties de la fiction, l'opus du personnage-auteur de Jean-Jacques Nuel se résumera donc à cet unique nom, d'abord calligraphié au stylo avec l'application mâtinée d'étonnement à laquelle s'exerçait le geste de l'écolier, puis dupliqué à l'infini par la magie informatique et numérique.
J'emploie à dessein le terme de magie même s'il s'avère impropre car cette vertigineuse démultiplication du nom dans des volumes entiers adoptant la présentation formelle de tous les genres littéraires évoque évidemment l'activité d'un certain apprenti sorcier qui, par l'utilisation de la magie, commande aux objets d'effectuer à sa place une corvée ménagère avec le résultat que l'on sait. Dans le roman de Jean-Jacques Nuel, la magie est une formule, ce fameux nom dont l'inscription sur tous les supports disponibles (feuilles de papier, toiles vierges, vitres, murs) caracole avec frénésie jusqu'à ce que cette accumulation délirante, cette véritable prolifération, finisse par se cogner à un premier obstacle du réel, la boîte aux lettres qui ne peut plus avaler d'un seul coup les paquets de tapuscrits envoyés aux éditeurs. À ce stade du récit, la déferlante du nom ralentit enfin quand l'auteur se retrouve à l'air libre où l'attend, lors d'une visite rituelle au cimetière, une autre folie du nom, celle que nous connaissons tous, gravée celle-là, non plus dans la vitesse éphémère de l'écran et du papier mais dans l'énigme éternelle de la pierre où persiste et signe ce qui, contre toute logique, veut absolument vivre.

Dans Portraits d’écrivains, le personnage récurrent de l’univers nuelien, l’auteur en mal de reconnaissance confronté au vertige de l’anonymat et de l’insignifiance, se tient plus à distance du gouffre auquel l’anti-héros du Nom échappe certes de justesse mais en se penchant sur un autre vide, celui de la tombe. Jean-Jacques Nuel relie ainsi le destin particulier de l’écrivain ou de l’écrivant à celui du commun des mortels dans le monde en trompe-l’œil de la moderne solitude.

Qu'il soit piéton d'un jour de trop, en mal d'une langue impossible ou arpenteur du marché de la poésie, le passant de Jean-Jacques Nuel est en errance mais non sur le départ. Ce marcheur nous accompagne au centre de l'expérience de l'homme contemporain : la solitude peuplée des villes et les voyages immobiles de l'attente. Tout lecteur attentif au monde des revues littéraires a une grande chance de se trouver un jour face à l'un de ces Portraits d'écrivains que Jean-Jacques Nuel confie aux titres les plus variés, des plus confidentiels aux plus connus, l'un de ces instantanés s'étant même révélé voici quelques temps aux familiers de la revue de Philippe Sollers, L'Infini. À quel fixateur, pour rester dans la métaphore photographique, Jean-Jacques Nuel a-t-il bien pu avoir recours pour donner une telle netteté à ce personnage multiple et forcément évanescent qu'est l'écrivain en devenir, celui qui n'a pas encore les faveurs du grand public ni même, souvent, celles des éditeurs ? Comme celui qui travaille longtemps sous la lampe rouge en quête de ce que l'ombre et la lumière porteront à la vision, Jean-Jacques Nuel a fini par épaissir une silhouette, à lui donner ce grain que le papier réclame et ces contours que la lecture pourra remplir. C'est dès lors à une sorte de naissance que nous assistons, celle d'un des personnages les plus représentatifs de notre époque, l'auteur en lutte permanente pour l'existence et, peut-être, pour la reconnaissance. En se multipliant — il y a de plus en plus de candidats à ce statut d'écrivain correspondant à un bien illusoire prestige — ce créateur de personnages devient lui-même un personnage. Là réside sans doute la difficulté du projet littéraire de Jean-Jacques Nuel mais aussi son originalité. Il a bien conscience que sa créature ne peut prendre corps que par l'emploi d'un style dépouillé, tout ornement superflu risquant de faire échouer la tentative. Après la parution de La Gare aux éditions Orage-Lagune-Express, cela apparaît tout autant dans ce puzzle en pleine composition qu'est Portraits d'écrivains où se construit l'image d'un anti-héros bien d'aujourd'hui car tranquillement rétif aux chimères du gagnant.

À bien relire Jean-Jacques Nuel, il apparaît que la figure stylisée de son personnage d’écrivain déambulant dans une dimension intermédiaire entre fiction et réalité dépasse largement le cadre de la fantaisie romanesque parce qu’elle s’inscrit dans un rapport au monde et à la société que ne renieraient pas le Bernardo Soares (Pessoa) du Livre de l’intranquillité, le Bartleby d’Herman Melville et le Marcovaldo d’Italo Calvino.