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08 octobre 2021

Carnet / Cette assemblée de spectres

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À l'époque où je perdais mon temps dans la presse (années 80) et où je croyais aux maîtres en littérature. Photo P. Deschamps

Dans le Figaro littéraire de ce jeudi, quelques anecdotes sur le thème de la rencontre de l’écrivain débutant avec ceux qu’il considère (au moins provisoirement) comme ses maîtres. 
J’en ai surtout retenu cette question qui vaut réponse de Michel Tournier :  « Et puis est-ce bien intéressant, pour un jeune écrivain, de rencontrer ses maîtres ? Quand j’étais jeune, je n’en avais pas envie » .
Sans vouloir le reconnaître, dès que je me suis lancé dans ce que Jean Tardieu m’a décrit comme « le dur chemin de la création littéraire » dans la dédicace d’un de ses livres, j’avais la même opinion. J’avais pourtant élu mes maîtres mais malgré les occasions qui se présentaient à moi, quelque chose me retenait, sans doute un peu de timidité, pas mal de paresse mais aussi et surtout une sorte d’inexplicable épuisement relationnel qui me frappait déjà dans mes jeunes années et qui est arrivé aujourd’hui à son paroxysme. 
Je craignais en outre de me surprendre moi-même en flagrant délit de comportement courtisan et de passer ainsi aux yeux de mes prestigieux interlocuteurs comme un quémandeur d’appuis et de recommandations auprès des éditeurs. 
Je restais donc le plus souvent prudemment (lâchement ?) en retrait grâce à ma carte de presse qui me servait de prétexte pour approcher les écrivains que j’admirais (les autres, ça ne compte pas) quand les occasions se présentaient. 
Mon attitude fut à l’origine de récurrents malentendus car mes écrivains favoris pensaient que je ne les approchais que dans le seul but de faire mon travail alors que je m’intéressais à eux et à leurs œuvres pour des raisons beaucoup plus profondes. De plus, ils étaient parfois sur leur garde car les écrivains ont des rapports souvent compliqués avec les journalistes, ce qui est tout à fait compréhensible. 
De mon côté, depuis ma prime jeunesse, je suis très attaché à la civilité et aux conventions sociales de base, ce qui me rend sans le moindre problème capable de recadrer vite fait bien fait quelqu’un qui aurait la mauvaise idée de s’en dispenser à mon égard, fût-il autant décoré de tous les prix littéraires de la Terre qu’un maréchal soviétique bombant son torse pavé de médailles. 
Il y eut donc quelques interviews qui tournèrent court, très court, des entretiens au cours desquels des anges semblaient s’être donné rendez-vous sur la banquise pour passer en grand nombre mais aussi, heureusement, quelques rares moments de grâce, notamment ma première rencontre puis celles qui suivirent avec l’exquis Jean Tardieu.

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Mon vieil exemplaire d'Une voix sans personne dédicacé par Jean Tardieu


J’ai d’autres souvenirs simplement agréables ou drôles avec des écrivains. J’ai fait un bout de chemin en leur compagnie mais à bonne distance et continué parfois d’échanger quelques signes, de loin en loin, avec eux. Leurs livres dorment désormais dans ma bibliothèque toute neuve, rescapés de la dernière purge avant les prochaines car lorsque vient le soir, dans le ballet des ombres, il n’en reste et n’en restera, jusque sur les étagères d'un lecteur anonyme et insomniaque, que quelques-uns. Tel est le prix de l’écriture, cette assemblée de spectres. 

 

29 janvier 2021

Carnet / Ah, la bonne ou la mauvaise littérature !

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Chaque fois qu’on parle de livre et de « création » littéraire, (j’emploie les guillemets pour création car je ne crois en aucune création — mais il faut bien employer une convention de langage pour désigner cette production de l’esprit) la question du bon et du mauvais finit toujours par polluer le débat. Il faudrait pourtant aborder le sujet sous un autre angle.

Au lieu de s’enliser dans des critères totalement subjectifs visant à désigner ce que serait un bon livre ou un mauvais, mieux vaudrait établir la distinction entre un produit et ce qui n'en est pas un. Là encore, il est préférable de veiller à conserver une certaine flexibilité de jugement car un produit n’est pas forcément de mauvaise qualité. Reconnaissons tout de même qu’un livre qui est un produit a beaucoup moins de chance d’être bon qu’un autre parce qu’il est écrit et publié pour d’autres raisons que celles relevant de la seule motivation littéraire de l’auteur.

J’ai lu récemment un article du Figaro littéraire signé Mohammed Aïssaoui sur Les dix auteurs français qui ont vendu le plus en 2020. Il s’agit du palmarès du Figaro et de l’Institut GFK qui analyse le marché de l’édition et établit chaque semaine le classement des meilleures ventes (sources : Figaro littéraire du jeudi 21 janvier 2021).

On y retrouve dix auteurs que je n’ai jamais lu (je n’ai donc rien de négatif ou de positif à dire sur eux) et leurs chiffres de vente : Guillaume Musso, Virginie Grimaldi, Michel Bussi, Franck Thilliez, Joël Dicker, Marc Levy, Bernard Minier, Aurélie Valognes, Marie-Bernadette Dupuy et Agnès Martin-Lugand. On parle ici de chiffres de vente compris entre 1 509 662 exemplaires (Guillaume Musso, n°1 du classement) et 565 392 exemplaires (Agnès Martin-Lugand, n°10).

Ce classement, nous dit l’auteur, « est une photographie réelle de ce que les Français achètent vraiment. »

J’ai particulièrement retenu quelques lignes de cet article : « ... l’édition de poche et un important travail marketing sont des conditions nécessaires pour pérenniser sa place dans ce palmarès : l’auteur doit publier régulièrement (une fois par an pour la plupart) — c’est moi qui souligne — et ses livres doivent être disponibles en petit format, histoire de créer un cercle vertueux, chaque succès du grand format relançant le petit. »

Je crois que nous touchons là à un des grands maux de l’édition, l’obligation pour des auteurs de publier régulièrement, une fois par an, dans le souci et celui de leurs éditeurs d’occuper le terrain en permanence. Cette fuite en avant ne concerne bien sûr pas que les best-sellers que je viens de citer et sur lesquels, je le répète, je ne porte pas de jugement parce que je ne les ai pas lus.

Pour évoquer des auteurs que j’ai lus ou commencé de lire avant que leurs livres ne me tombent des mains (il serait trop long de citer des noms !), je constate comme beaucoup de lecteurs que chaque rentrée littéraire connaît une inflation d’ouvrages écrits à la va-vite dans le seul but d’honorer des contrats et de ne jamais quitter l’espace médiatique.

Comment peut-on croire, lorsqu’on connaît l’intensité de travail requise pour s’appliquer à un roman, que les livres écrits et publiés sous cette pression de la régularité de publication puissent être autre chose que des produits (comme, du reste, leurs auteurs) ?

C’est à mon avis un critère d’évaluation, de choix et, assumons le mot, de jugement, qui me paraît plus fiable et plus objectif que celui de la bonne ou de la mauvaise littérature.