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... mais j’ai participé samedi, comme il y a deux semaines, à la manifestation contre le passe vaccinal à Oyonnax, oh, surtout pour dire de ne pas être resté les bras croisés à critiquer.
Deux cents personnes au premier cortège, ce qui n’est pas si mal pour une bourgade comme Oyonnax, irrémédiablement comateuse sur les plans politiques et culturels, et ce samedi, une centaine au second rendez-vous, sans doute en raison du début des vacances mais aussi parce que des gens ont préféré se joindre aux convois de la liberté.
On peut penser aussi que la très incertaine perspective d’une prochaine suspension du passe de la honte (mais seule vaut sa suppression définitive) a pu contribuer à affaiblir la motivation des opposants les plus tièdes. Même si c’était le cas, baisser la garde serait une lourde erreur car la parole de ce gouvernement n’a pas plus de valeur réelle que l’argent qu’elle fait sortir du chapeau du diable, la planche à billets. Ils sont drogués aux « pass » , le pluriel est de rigueur parce qu’on a compris que ce qu’ils veulent n’est rien d’autre que la société de tous les « pass » possibles et imaginables pour tous, pour tout et partout.
Sur le terrain des cortèges et des rassemblements, même au fond des provinces comme les nôtres, les prises de parole donnent un bol d’air, celles du Comité des professionnels suspendus, celles des parents scandalisés par le sort fait aux enfants et aux jeunes (les grands oubliés de la folie furieuse gouvernementale), celles des citoyens pas forcément engagés sous une quelconque bannière mais qui constatent tout simplement que plus rien n’est désormais normal et décent dans ce pays comme ailleurs en Europe et celles d’un jeune de quinze ans, déjà bon orateur, qui a résumé en peu de temps ce que tant de journalistes et de commentateurs appointés ne sont plus capables de dire dans notre presse et dans nos médias subventionnés.
Bien évidemment dans cette petite manif, tout s’est passé dans le calme car personne n’a envie de tomber dans le piège du désordre. Au centre d’Oyonnax, un œuf lancé sur le cortège depuis un balcon a atteint son but, je me plais tout de même à le préciser, non pas parce que c’est dramatique mais parce que cela montre ce que certains ont dans la tête : un certain désordre.
Et puisqu’on parle tant de désordre à propos de l’opposition au passe de la honte, répétons la question autant qu’il le faudra : qui a mis le pays en morceaux depuis cinq ans et plus encore depuis l’obligation vaccinale déguisée ? Qui a créé le désordre ? Réponse : celui qui reviendra pour cinq autres années grâce à l’abstention et à la vieille gauche dont les rescapés, par les sortilèges de l’âge, de l’embourgeoisement et de la trouille, sont devenus les fachos d’aujourd’hui.
Mieux vaut s’en souvenir dès le premier tour de l’élection présidentielle : n’importe qui contre Ubu roitelet et sa jumelle au rictus qu’aucun photoshop n’arrivera à transformer en sourire. Ce serait dangereux pour les libertés? Ah oui ? Lesquelles ? Il y a certes toujours moyen d’en enlever encore mais celles qui sont déjà passées à la trappe soi-disant provisoirement, c’est déjà bien essayé, non ? Et pas par des khmers rouges ou des chemises noires.
Toutes les manifestations sont pleines de gens sympathiques ainsi que je l’ai vu aussi à celles de l’été dernier à Bourg-en-Bresse mais je sais que beaucoup de ces opposants au passe de la honte ne voteront pas dans deux mois parce qu’ils estiment déjà qu’il n’auront pas d’autre choix. S’ils n’y vont pas, on en reprendra pour cinq ans avec un risque accru d’obligation vaccinale. Alors les manifs, c’est bien gentil et bien pratique pour se sentir tout propre sur soi mais inutile si l’on ne finit pas le travail au bon moment, quitte pour certains à voter en se bouchant le nez comme on l’a d’ailleurs fait si souvent depuis si longtemps sans s’être pour autant transformé en extrémiste. D’ailleurs, les extrémistes, ce sont eux qui sont actuellement au pouvoir.
La plupart des politiciens défendent le même impératif moral qu’une cellule cancéreuse : il faut à tout prix continuer ce qu’on fait.
- Jim Harrison -
(Extrait de La recherche de l'authentique, éd. Flammarion)
On apprend tout le temps, est un de ces mantras qu’on entend tout au long de notre existence. Et si apprendre tout le temps ne se réduisait en réalité qu’à ajuster en permanence les savoirs fondamentaux ? (Je ne parle pas des savoirs techniques et culturels mais de l’expérience ontologique de la vie et de ce qu’on parvient parfois à en comprendre). Je me souviens avoir tiqué il y a très longtemps à la lecture de cette remarque d’un écrivain dont j’ai oublié le nom : à seize ans, un individu a fait le tour des expériences de la vie. Tout le reste n’est que répétition.
J’avais une trentaine d’années et une sorte de crise existentielle sur le dos lorsque je me suis arrêté sur cette idée qui m’a frappé parce que je la considérais comme juste. Trente-deux ans plus tard, j’aurais tendance à relativiser parce que j’ai atteint l’âge où l’on prend cette habitude. Je monterais un peu le curseur à dix-huit ou vingt ans pour les gens comme moi qui sont longs à la détente mais seize ans me semble une bonne moyenne pour comprendre qu’on a fait le tour et qu’après, on répète, ce qui ne dispense pas d’ajuster car si l’on n’ajuste pas, on s’embourgeoise, et cela dans tous les domaines du savoir et de l’expérience.
J’avoue piteusement que c’est en politique que je me suis le plus embourgeoisé dans ma vie, ce qui m’a conduit à croire que nos libertés individuelles fondamentales pouvaient être à peu près garanties par des systèmes politiques gouvernant au centre. Malheureusement, les centristes d'hier sont devenus les extrémistes d'aujourd'hui. Après de longs épisodes d’indifférence et d’abstention entrecoupés de rares coups de calcaires électoraux au gré des fluctuations de mon compte en banque, je suis devenu un centriste par conviction molle et paresse dure, les deux principaux ingrédients de la maturité qui est hélas parfois la sœur jumelle de la résignation.
Après avoir disparu d’à peu près tous les radars administratifs à partir de 2007 et m’être transformé en paisible fantôme social errant dans les nuées de ma campagne en 2009, je me suis vautré en de longues siestes dans ce que, politiquement, on appelle le centre, cette zone marécageuse où l’on vote comme les castors construisent leurs barrages, ce marigot qui peut parfois sentir un peu mauvais comme Venise en été mais ce n’est pas grave, on s’habitue car Venise est calme... Comme le centre... Le calme règne aussi au centre d’un cyclone. Le centre étant partout et nulle part, cela ne pouvait que convenir à mon esprit pas politisé pour deux sous.
Oui, je m’étais sacrément embourgeoisé depuis mes seize ans, déjà qu’à l’époque, au lycée, ma belle prof de français que j’aimais bien, elle-même de style et de maintien bourgeois de chez bourgeois, mécontente de me voir soutenir une grève, s’était vengée de ma trahison en déclarant non sans malice devant toute la classe que j’étais l’esprit le plus bourgeois de tous les élèves qu’elle avait connus dans sa carrière et que rien n’y changerait, encore moins une grève ou une manif ! Monsieur sèche les cours qui ne l’intéressent pas pour faire la grève et va défiler dans les rues mais la sonnerie du lycée n’a pas encore retenti qu’il saute sur son beau cyclomoteur tout neuf pour aller retrouver son petit confort domestique ! avait-elle persifflé, déclenchant évidemment l’hilarité de mes camarades de classe.
Ce qui a provoqué l’afflux de ces souvenirs est une autre phrase, parfaitement d’actualité, que je viens de lire et souligner à la fin du dernier livre de Jim Harrison, un ouvrage composé par l’éditeur puisque Harrison est mort en 2016.
La plupart des politiciens défendent le même impératif moral qu’une cellule cancéreuse : il faut à tout prix continuer ce qu’on fait.
J’aurais applaudi cette saillie à seize ans et j’applaudis à soixante-deux. Entre temps, je réalise que j’ai fait une sieste un peu longue... Je suis loin d'être le seul mais je vois bien hélas dans mon entourage d'amis et de connaissances qu'ils ne semblent aujourd'hui pas nombreux à vouloir ouvrir un œil.