11 mars 2017
Carnet / Des jours variables
Pour aller à Saint-Claude (Jura), je descends la vallée profonde et encaissée de la route de Molinges avant de continuer tout en bas le long de la Bienne qui roule un flot vert et tumultueux en cette saison.
Sous la bruine serrée d’un jour sombre comme ce jeudi, avec les forêts de hêtres et d’épicéas à flanc de montagne, les bouquets de saules sur les berges de la rivière large et rapide et les abords de la route jalonnés de vieux engins de chantiers en proie à la rouille, on se croirait dans le décor d’un roman de Jim Harrison.
Ce jeudi après-midi était entièrement consacré à la boustifaille et au réapprovisionnement en whisky. Après un casse-croûte assez tardif et le café dont j’ai sans cesse besoin pour me doper, direction le caviste de la rue de la Poyat (La Ronde des vins) où je trouve presque toujours ce qu’il me faut.
On y est accueilli par le jeune Florian qui connaît parfaitement ce qu’il vend et qui conseille très bien le client. Mon choix s’est porté sur un Connemara, le Distillers Edition, légèrement différent de L’Original que je prends souvent, aussi tourbé mais plus fin et un peu plus fort (43%Vol. au lieu de 40%Vol.).
En vin rouge, je suis revenu à l’excellent Cabardès que le caviste m’avait précédemment fait découvrir, le vin d’un jeune couple, Stéphanie et Olivier Ramé qui ont repris le domaine viticole familial sur Ventenac-Cabardès près de Carcassonne.
Dans la foulée, je suis passé prendre du Comté à la crémerie Clément. Ensuite, un détour par Dortan chez Larçon où l’on peut se procurer la meilleure mortadelle à mon goût.
Une fois sur le territoire d’Arbent, j’ai remis à plus tard des courses à Oyonnax et suis remonté à Viry par la route habituelle. Par temps gris et sous la pluie, cette région rappelle vraiment des paysages décrits non seulement par Harrison mais encore par Raymond Carver dans ses nouvelles et ses poèmes.
Quant à Saint-Claude, sous-préfecture du Jura (précision pour ceux qui me lisent loin d’ici et qui sont à l’évidence beaucoup plus nombreux que les lecteurs locaux), certains quartiers de la ville fourniraient des décors parfaits pour des polars bien cafardeux. On pourrait le dire aussi, dans une moindre mesure, d’Oyonnax.
Pourquoi suis-je accroché à cette région si peu riante ? Sans doute à cause de mon manque de courage, de mon impérieux besoin de routine et de mon esprit conservateur. Mais d’un autre côté, si je m’étais exilé dans un petit paradis avec trois cents jours de soleil par an, serais-je encore enclin à écrire ?
Conscient de ma paresse, de mon absence de compétence et d’intérêt pour tout engagement social, humanitaire ou politique et de ma lancinante idée qu’il est aussi absurde de vivre que de mourir, j’en doute fort. C’est là qu’un verre de Connemara peut-être bienvenu. Il ne me manquait plus qu’un bourbon américain pour varier. J’ai fait une infidélité à mon Voodford Reserve de chez Labrot & Graham pour essayer un Bulleit qui me faisait de l'œil depuis quelques temps.
Changement radical de temps et de température le lendemain vendredi après des bourrasques nocturnes qui ont suffisamment secoué les frênes pour me fournir de nouvelles brouettes de bois sec. Les crocus violets et jaunes se déplient comme des papiers d'origami. Ce sont les plus sauvages qui s'épanouissent en premier, suivis par ceux achetés dans le commerce, plus gros et moins pressés!
Dans son fauteuil près de la baie vitrée, la chatte Linette s'en fiche. Seule compte sa sieste.
Vers 18h30, la lune risque son œil dans les branchages de frêne et j'en profite pour la photographier. Avant le crépuscule, les merles en sérénade pour confirmer le dicton : quand le merle a sifflé, l'hiver s'en est allé. Espérons.
15:44 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, prairie journal, autobiographie, whisky, tourbe, connemara distillers edition, cabardès, stéphanie et olivier ramé, vignes, ventenac-cabardès, carcassonne, comté, crémerie clément, larçon, mortadelle, bourbon bulleit, bourbon woodford reserve, labrot & graham, blog littéraire de christian cottet-emard, jim harrison, raymond carver, paysages, jura, ain, haut bugey, oyonnax, saint claude, lune frêne, merle
31 juillet 2014
Carnet / Truphémus à Saint-Claude et, toujours, le dîner au lac Genin.
J’ai bravé le cafard que m’inspire Saint-Claude pour visiter l’exposition Truphémus au musée de l’Abbaye. Une fois à l’intérieur de ce musée récent qui vaut le déplacement, on arrive à oublier la ville.
Je n’ai jamais été un grand amateur de l’œuvre de Jacques Truphémus mais il eût été dommage de ne pas profiter de la proximité de l’exposition à vingt kilomètres de chez moi pour essayer, sinon de changer complètement d’opinion, au moins de porter un regard différent sur le flou et les tonalités blafardes qui caractérisent une part de sa manière.
Il est vrai que j’étais resté sur mon impression désagréable des années 80 et sur le souvenir d’une couverture de la revue littéraire Grandes Largeurs reproduisant un intérieur de ces cafés enfumés et chichement éclairés qui constituent l’un des thèmes récurrents de Truphémus.
Bizarrement, ce sont deux de ces intérieurs de cafés, l’un avec la silhouette d’un homme en pardessus au comptoir et l’autre avec la silhouette de la serveuse, qui ont retenu mon attention à Saint-Claude. Mais j’ai surtout apprécié le regain de la couleur dans les toiles récentes de cet artiste qui porte avec une robuste prestance et une incroyable sérénité ses quatre-vingt-douze printemps !
J’ai eu aussi la bonne idée de regarder le film dans lequel il parle longuement de sa vie et de son rapport à la fois simple et presque ingénu à l’art en partageant ma visite en deux séquences distinctes, la première d’après ma seule approche, la seconde après avoir vu et écouté cet homme dont je ne connaissais ni la voix ni le visage. L’exposition présente d’ailleurs un autoportrait de 2002 qui a retenu un assez long moment mon regard.
Ma perception de la peinture de Truphémus a certes évolué grâce à cette exposition mais mon aversion pour sa vision « cartonnée » des plages de la mer du nord demeure. Peut-être est-ce dû au fait que mon premier éblouissement maritime d’enfant fut, un jour de grand soleil, celui de la lumière d’Ostende ou de Coccyde.
Mardi soir, dîner à l’auberge du lac Genin, le seul endroit de la région où, depuis plus de quarante ans que je m’y attable, je trouve encore de la poésie au mauvais temps. Comme d’habitude, accueil adorable et moment chaleureux d’une délicieuse simplicité.
Je n’ai pas vu un tel mois de juillet depuis les années 80, sous l’eau et dans le brouillard excepté le jour où je me suis enfermé chez moi pour ne pas assister au lancer de Cochonou *. Mon épouse et moi avons la possibilité de partir en vacances hors saison mais je plains ceux qui comptaient sur deux ou trois courtes semaines pour vivre un peu et qui sont déjà obligés de reprendre le collier. Cette année, nous risquons fort de réaliser sans été la jonction entre le temps des crocus et celui des colchiques.
* Passage du tour de France cycliste à côté de ma maison.
00:34 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jacques truphémus, tous les blancs possibles, musée de l'abbaye, saint claude, jura, peinture, donations bardone genis, blog littéraire de christian cottet-emard, arts plastiques, truphémus, revue grandes largeurs, littérature, mer du nord, ostende, coccyde, belgique, lac genin, auberge du lac genin, haut bugey, ain, charix, rhône alpes, france, juillet pourri, été pourri, pluie, grisaille, météo, crocus, colchique, lancer de cochonou, tour de france cycliste, sport, vélo, nuisance